AVIGNON OFF : « La Grande Musique » de Stéphane Guérin

Autour du thème de la psychogénéalogie, Stéphane Guérin a écrit une histoire audacieuse sur le mystère de cette théorie, tandis que Salomé Villiers a su créer une jolie pièce drôle et romantique, servie par des acteurs merveilleux.

 

Une théorie fumeuse et dangereuse.

Ancelin Schützenberger, dans les années 1970, développe un concept et une pratique clinique autour de l’intuition que les traumas se transmettent entre générations, non pas par la parole mais par l’A.D.N. Au sein des familles, les névroses post-traumatiques se reproduiraient de génération en génération, les secrets et les anciens conflits impacteraient enfants et descendants. Ce concept de psychogénéalogie inspirera l’auteur de science fiction, Isaac Asimov. Cette théorie, si elle était confirmée, devra se débarrasser de toutes ses conséquences sur le discours raciste : il faudrait décider jusqu’à quelles générations les enfants nés, sans le savoir, d’un dictateur pourraient devenir des dictateurs  ; décider si les petits-enfants d’esclaves sont psychiquement aliénés, sans même connaitre leur origine, au titre du trauma des chaines portées. Ou décider quel sera l’A.D.N psychique des enfants nés des viols de guerre, etc.

La pratique n’a pas fait preuve ni de son efficacité ni de ses bases scientifiques, et elle  a connu plusieurs dérives sectaires, notamment en raison des risques de faux souvenirs induits, liés aux pratiques de certains thérapeutes.

Un théorie romantique.

En ces temps difficiles du début de 21eme siècle pour nos esprits qui se perdent dans des origines multiples et glissantes, où les réseaux sociaux ont isolé les êtres et où les revendications identitaires sont radicales car abandonnées au flou d’un monde globalisé, les théories simplificatrices rassurent. L’angoissé rêve de découvrir le pot aux roses de son mal-être, enjambant ses parents pour s »enfoncer dans son arbre généalogique. La pièce met en scène ce fantasme-là, celui d’un dévoilement thérapeutique de l’origine, et elle en est excitante.

On le sait : le devoir de mémoire des survivants de la Shoah a déclenché un ruissellement du trauma sur plusieurs générations, mais cette transmission n’est pas celle cachée telle que la décrit la psychogénéalogie. Pour son propos, l’auteur a mis en scène les camps de la mort nazis en évitant intelligemment la question juive. Dans sa famille, le crypto-trauma est oublié et seule la grand- mère, sorcière ou fée de l’occultisme, sera en lien avec le spectre de l’aïeul : Marcel Vasseur. La Shoah n’est qu’un motif de récit. Marcel Vasseur apparaît en tenue dépenaillée, et  viendra, de manière erratique, dire ses vérités, dévoiler le drame passé pour constater l’impact un tiers de siècle plus tard. Nous réaliserons des allers-retours dans deux époques.

Salomé Villiers a su  mettre en scène ces allers-retours dans le temps. Les comédiens, on y va pour eux d’abord, sont inoubliables dans leur maitrise d’une alternance entre humour et tristesse. Brice Hillairet, que nous avions applaudi en particulier dans Ma folle Otarie de Pierre Notte, interprète avec justesse le spectre, tandis que Hélène Degy , la merveilleuse Raphaëline Goupilleau, l’hilarant Bernard Malaka, Pierre Hélie ou Etienne Launay honorent de leur talent une direction d’acteurs efficace.

En final, la troupe construit sous un prétexte scientifique fumeux une pièce drôle et romantique pour Avignon 2021.

La Grande Musique de Stéphane Guérin Mise en scène de Salomé Villiers avec Héléne Degy, Raphaëlline Goupilleau, Pierre Hélie, Brice Hillairet, Etienne Launay et Bernard Malaka. Avignon OFF du 7 au 31 juillet au Buffon Théâtre  à 19h40

Visuel Affiche

 

source : 25 juin 2021 | PAR David Rofé-Sarfati

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