Erfan* pensait que lui et sa famille avaient vécu toutes les humiliations possibles en Iran.
Son petit frère et sa cousine ont été expulsés de l’école secondaire. À 12 ans, il a dû écouter en silence un de ses enseignants raconter comment il avait agressé ses coreligionnaires. «Il disait avec fierté qu’il avait brûlé plusieurs mécréants à Yazd», raconte le jeune homme, rencontré dans un café montréalais.
À l’âge adulte, Erfan a perdu un emploi de dentiste, les autorités craignant qu’il utilise ses contacts avec ses patients pour les convertir.
Chaque fois, la même justification: Erfan et sa famille appartiennent à la plus grande minorité religieuse du pays, les bahaïs.
Un «culte» plutôt qu’une religion
On compte aujourd’hui en Iran entre 300 000 et 350 000 croyants de cette religion monothéiste. La République islamique, qui affirme tolérer les autres minorités religieuses, dont les chrétiens et les zoroastriens, n’a jamais caché son animosité à l’égard de la foi bahaïe, qu’elle considère comme un «culte» plutôt que comme une religion.
Depuis la révolution de 1979, les bahaïs voient leurs droits rétrécir comme peau de chagrin. Il leur est notamment interdit d’occuper des postes dans le gouvernement de la République islamique et quasiment impossible de compléter un diplôme universitaire, constate l’organisation Human Rights Watch.
«Après l’arrivée de Mahmoud Ahmadinejad à la présidence, les choses se sont corsées davantage», note Erfan, qui pensait alors avoir tout vu. Il y a cinq ans, en mai 2008, les forces de l’ordre ont arrêté sept des leaders élus de la communauté bahaïe.
Condamnés à 20 ans de prison pour «propagande contre la République islamique», ils sont toujours derrière les barreaux, et ce, malgré les appels répétés de la communauté internationale.
En sécurité à Montréal
Erfan a lui-même passé une dizaine de jours en prison. «La personne qui m’interrogeait me disait qu’il était Dieu pour moi. Qu’il pouvait me garder en prison jusqu’à la fin de ma vie», raconte aujourd’hui le nouveau Montréalais qui, après avoir été libéré, a décidé de faire le voyage vers le Canada.
«Je me sens en sécurité ici, mais je me demande toujours ce que vivront les autres bahaïs. Une dizaine de mes amis sont en prison. En quittant l’Iran, je laisse le gouvernement mettre plus de pression sur ceux qui restent», confie le jeune homme, convaincu que l’objectif premier des autorités iraniennes et de voir les adeptes du bahaïsme boucler leurs valises.
Que changeront les élections pour les bahaïs d’Iran? Dans le meilleur des cas, pas grand-chose, note Erfan.
Faute d’espérer une amélioration, l’Iranien espère que la situation ne dégénérera pas, notamment si les jeunes manifestent comme en 2009 au lendemain des élections. «Quand il se passe quelque chose dans le pays, les bahaïs sont blâmés pour tout», dit-il.
* Pour des raisons de sécurité, le nom de la personne interviewée et certains détails à son sujet n’ayant aucun impact sur le sens de ses propos ont été modifiés.

source : le 11 juin 2013
Laura-Julie Perreault
La Presse

http://www.lapresse.ca/international/moyen-orient/201306/11/01-4660041-bahais-diran-une-minorite-religieuse-blamee-pour-tout.php