Un article [de la Charte de la laïcité]m’a gêné : celui qui indique qu’ «aucun élève ne peut invoquer une conviction religieuse ou politique pour contester à un enseignant le droit de traiter une question du programme.». Bien sûr, mais un enfant doit aussi pouvoir argumenter en fonction de ses propres convictions, même à l’école qui doit lui apprendre à débattre.

Il ne s’agit pas de faire ici le “procès” de M. Baubérot, dont d’autres semblent vouloir se charger dans les commentaires qu’ils lui adressent sur son blog. Je n’en ai de toute façon pas les compétences, et quand bien même les aurais-je que je n’en aurais pas l’envie.

En introduction, il me faut d’ailleurs bien préciser, pour ne pas faire dire à M. Baubérot plus (ou moins) qu’il ne dit, qu’il entend par ces quelques mots résumer très succinctement les idées que lui a inspirées la lecture de la “Charte de la laïcité à l’École” proposée par le Ministère de l’éducation nationale. Il explique lui-même que le commentaire original qu’il a fait de cet article de la “Charte” est bien plus développé que ça, et j’imagine que son propos “réel”, livré ici “brut” en cette simple phrase, est certainement bien plus élaboré, nuancé au besoin, éclairé, argumenté.

Néanmoins, puisque je n’y ai accès, moi, que sous cette forme-là, je dois avouer que je reste dubitatif quant aux causes et aux conséquences de ce qu’il dit ici.

Sur les causes, parce que l’idée sous-jacente (telle que je la perçois) me semble ressortir de ce que J-C Michéa appelle le “libéralisme culturel”, qui tendrait à mettre plus ou moins l’élève et l’enseignant sur une sorte de “pied d’égalité”. Les “convictions” de l’élève devraient pouvoir se confronter à l’enseignement du professeur, d’égal à égal a-t-on l’impression, dans un débat. En certaines occasions, les élèves sont effectivement appelés au débat, à défendre un point de vue, une opinion, voire une conviction, et c’est une excellente chose. Mais il me semble que ce n’est pas là la condition la plus “naturelle” et permanente de l’élève, qui reste, somme toute, un enseigné.

Et s’ils sont légitimement en droit d’attendre que leurs convictions ne soient pas bafouées, tournées en ridicule, un cours de sciences, par exemple –puisque je crois que c’est ce qui est au cœur de la question– n’est pas le lieu pour un “débat” : il y a d’un côté un homme ou une femme qui possède un savoir et doit le transmettre, et de l’autre des jeunes gens, ignorants de ce savoir, qui doivent l’assimiler.

Une éducation repose sur le principe qu’il y a une différence entre l’enseignant et l’enseigné, et que sous ce rapport-là, ils ne traitent pas d’égal à égal.

Sur les conséquences: cela voudrait-il dire (toujours si je prends “au pied de la lettre” l’idée exprimée par M. Baubérot sous cette forme succinte et non nuancée) qu’un élève qui serait devenu fan de Faurisson, grâce à la pub qui lui fit Dieudonné, serait légitime à “argumenter” ses convictions et “débattre” de l’historicité des chambres à gaz?

L’exemple est certes caricatural, mais malheureusement, certains témoignages tendent à montrer qu’on en est déjà là. J’imagine que cela reste minoritaire, et que M. Baubérot s’intéresse à ce qui est caractéristique de notre société (et pas à ses dérives ponctuelles), néanmoins je ne suis pas sûr qu’on puisse faire l’économie de ces “dérives ponctuelles” : si l’on pose comme principe le droit de l’élève à débattre “en fonction de ses propres convictions”, c’est que ce n’est pas à “nous” de décider de ce que seront lesdites “propres convictions”, il faut faire avec ce qu’elles seront, c’est-à-dire avec ce que l’élève aura décidé qu’elles seront!

Même sans aller jusqu’à ces extrêmes, se pose à moi la question de ce que sont réellement ces “convictions”, censées être celles –propres– de l’élève.

J’ai été élevé chez les Témoins de Jéhovah. Et lorsque j’étais jeune écolier, puis collégien, puis lycéen, j’ai été formé pour “résister” au cours de sciences-nat’ où l’on m’apprendrait que l’Homme partage un ancêtre commun avec les singes. Et je ne parle pas que de résistance passive (qui consisterait à refuser l’enseignement en mon fors intérieur), j’ai été encouragé par les responsables de cette organisation à débattre (justement) avec mes professeurs, à objecter, à contredire, et au besoin à appuyer mes interventions sur la littérature créationniste produite par les Témoins de Jéhovah.

Moins “microcosmique”, on pourrait citer les ouvrages d’Harun Yahya ou de Jonathan Wells, qui encouragent eux aussi les élèves à “débattre” avec leurs enseignants sur ce thème de l’évolution, proposant à ceux-là des listes d’arguments créationnistes à opposer en cours à ceux-ci, pour les “piéger”.

Se pose donc la question de savoir de qui les “convictions” seraient défendues lors de ces “débats”. Qui argumentera ces convictions créationnistes? Dans quelle mesure sont-ce vraiment les “convictions propres” de ces élèves quand, concrètement, ils répètent (même le plus sincèrement du monde) des arguments qui auront été savamment élaborés par d’autres, et transmises à eux parfois par des structures militantes fort bien organisées? À travers ces élèves, et sous couvert de ce qui serait “leurs” convictions, n’est-ce donc pas plus ou moins aux responsables jéhovistes ou autres fondamentalistes –chrétiens ou musulmans– qu’on donnerait ainsi le droit d’intervenir en cours de sciences?

Encore une fois, je ne livre ici que les réflexions qui me sont venues à lire une courte phrase, qui ne résume pas exhaustivement la pensée de son auteur. Je ne prétends pas du reste que, a contrario, refuser à l’élève toute expression de ses convictions serait une solution souhaitable, je ne pense même pas qu’elle serait viable!

Disons que je regrette que M.Baubérot ait placé cette petite phrase en “annexe” d’un billet, à la va-vite, alors que c’est la partie que j’aurais aimé qu’il développe. Mais c’est très personnel, et M.Baubérot n’est pas à mon service…

source : 19 mars 2014 par Deus Aderit
http://blogs.mediapart.fr/blog/deus-aderit/190314/bauberot-jehovah-et-le-prof-de-svt