Molenbeek, l’une des communes les plus touchées à Bruxelles par le départ de jeunes en Syrie, lance depuis 2014 des actions sociales pour aider les jeunes contre ce phénomène.

« Nous travaillons sur deux aspects : l’encadrement des familles, et la prévention contre le djihadisme », explique Sarah Turine (Ecolo), échevine de la jeunesse et de la cohésion sociale à Molenbeek. Molenbeek compte depuis 2013 17 personnes parties combattre en Syrie. Dans les rues de la commune, on remarque de temps en temps des patrouilles policières qui interpellent dans des lieux suspects. Une centaine de caméras ont déjà été installées.

{{Accompagnement social}}

Outre la surveillance accrue, Molenbeek met en place des actions sociales. En novembre, grâce à un subside du ministère de l’Intérieur, elle engage un chargé de prévention qui travaille dans l’anonymat. « Au début, sa mission n’était pas claire, car nous devions observer les manques et agir en conséquence » précise Sarah Turine. « Il travaille en partenariat avec une psychologue active depuis des années à Molenbeek et proche des familles. »

Ensemble, ils accompagnent des familles en crise, prennent contact avec le secteur associatif, dont les maisons de quartier. « Ils travaillent pour l’instant avec une dizaine de familles. Certaines craignaient qu’un de leurs membres parte en Syrie », ajoute Sarah Turine.

Quand une famille suspecte un proche d’être en contact avec un enrôleur, de glisser vers la radicalisation, elle peut en informer un acteur social. « Il est indispensable qu’on noue un lien de confiance avec les familles, qu’on les rassure sur notre méthode de travail. »

En mai 2014, la commune avait organisé un premier séminaire avec différents acteurs sociaux. Plusieurs formations leur sont apportées durant toute l’année sur les raisons qui mènent les jeunes à s’enrôler en Syrie, sur les conditions dans lesquelles ils vivent à Molenbeek, sur le discours des recruteurs.

{{Auprès des jeunes}}

« Nous devons prouver aux jeunes que nous avons confiance en eux afin qu’ils aient à nouveau confiance aux institutions », observe Sarah Turine. En octobre 2014, Molenbeek fonde le Conseil des Jeunes. 15 personnes, entre 16 et 25 ans, ont été élues au suffrage universel par 600 jeunes. Une fois par mois, le Conseil se réunit pour échanger des avis sur de multiples sujets. Et 3 fois par an, il part rencontrer d’autres jeunes de la commune pour discuter des sujets qui les touchent.

En mai dernier, Molenbeek a organisé une rencontre dans une maison de quartier entre une quarantaine de jeunes et Mourad Benchellali, un ancien partisan du djihad. Français originaire de Lyon, il part en Afghanistan en 2001, à 19 ans, où il est enrôlé dans un camp d’entraînement du mouvement salafiste djihadiste Al-Qaïda. Il parvient à s’en échapper, mais se fait arrêter par l’armée américaine qui l’envoie au centre de détention de Guantanamo entre 2002 et 2004 ; transféré ensuite dans une prison française et libéré finalement en 2006. Il raconte ses périples dans son livre « Voyage vers l’enfer ».

Autre activité, ce samedi 20 juin, lors de la neuvième Fête de la Musique à Molenbeek, 16 associations dressent sur la place communale une rupture du jeûne – cette semaine étant la première du mois de ramadan. Plusieurs jeunes de Molenbeek participeront activement à l’organisation pratique du festin aux multiples traditions culinaires. Ils devront entre autres assurer les rencontres entre les festoyeurs.

Skan Triki
source :
http://pro.guidesocial.be/actualites/lutte-contre-le-radicalisme-a-molenbeek.html

http://pro.guidesocial.be/actualites/l-accompagnement-des-familles-contre-le-radicalisme-a-molenbeek.html

L’accompagnement des familles contre le radicalisme à Molenbeek

Pour notre dossier sur la lutte contre le radicalisme à Molenbeek, nous avons rencontré Olivier Vanderhaegen, fonctionnaire de prévention. Il nous parle du travail de la cellule anti-radicalisation de la commune, dont il s’occupe avec d’autres collaborateurs.

{{ Pouvez-vous nous parler de votre mission ?}}

Notre tâche principale est le suivi des familles. Elles nous contactent souvent pour des jeunes qui sont partis de la Belgique ou qui sont en voie de radicalisation. Quand un jeune est dans le deuxième cas, il nous est encore possible de faire quelque chose, d’essayer de comprendre avec ses proches le contexte familial, scolaire et autre. Dans l’autre cas, cela devient un dossier judiciaire. Nous ne pouvons alors qu’informer la famille sur cette procédure et l’accompagner pour garder contact avec la personne partie.

{{Qu’envisagez-vous pour un jeune revenu ?}}

Certains sont revenus, mais nous ne sommes pas encore confrontés à ce genre de situation. Si un jour nous devons nous en occuper, cela se ferait d’abord à l’initiative de la famille, et ensemble nous réfléchirions au logement, à l’insertion professionnelle, à la scolarité du jeune. Comme personne n’a de méthode « clé sur porte » contre la radicalisation, nous apprenons peu à peu. Chaque cas est différent et nécessite des solutions appropriées. Nous distinguons deux profils. Celui du jeune défavorisé, ayant abandonné l’école, victime de discrimination, tombé dans la délinquance, et qui à un moment trouve une identité positive dans la religion et se radicalise. Et celui de jeune diplômé, inséré en société, qui décide aussi de partir.

{{
Et dans tout cela les histoires de chacun…}}

Bien entendu, chaque jeune a un parcours qui lui est propre. En général, nous constatons que dans la plupart des familles où le jeune a décidé de partir, il y a eu une rupture. Cela peut être un décès, un divorce des parents… Il est assez rare qu’un seul problème explique les motifs de la radicalisation. Nous en avons remarqué trois phrases : la jeune rompt avec son tissu associatif, ensuite il ne fréquente plus l’espace public, les endroits où se rassemblent les copains, et enfin il tend à s’isoler, est de moins en moins proche de la famille, il discute sur internet à des recruteurs ou les rencontre à l’extérieur.

{{Combien de familles suivez-vous ?}}

Actuellement, quinze familles. Quinze histoires différentes. Quand un parent vient nous signaler que son enfant est en voie de radicalisation, nous conseillons une première chose : n’essayez pas de lui dire que ce qu’il croit est faux, cela ne fonctionnera pas. On lui a mis dans la tête que ce qu’il croit est la vérité, et il estime que tous ceux qui vont essayer de le contredire sont dans l’erreur, cela va renforcer sa certitude.

{{Si vous conseillez à un parent de ne pas avoir un contre-discours avec son enfant, que lui conseillez-vous de dire ?}}

De savoir ce qui s’est passé pour tisser à nouveau les liens. Durant ces conversations, nous travaillons avec quelques psychologues et nous essayons de comprendre, dans le parcours de l’enfant, là où il y a eu une rupture.

{{Convoquez-vous le jeune ?}}

C’est assez rare. Si par exemple les parents disent à son enfant qu’ils sont venus nous trouver pour l’aider, il est clair qu’il va se sentir trahi. Il y a risque alors de rupture totale avec la famille.

{{Avez-vous empêché certains départs ?}}

Comme nous travaillons avec ce que les familles nous disent et leurs craintes, il arrive que le jeune ne soit pas forcément lié à un phénomène de radicalisation, plutôt à une crise d’adolescence, d’identité… Nous avons toutefois empêché certains départs grâce aux liens familiaux. Il arrive que nous travaillions avec des parents qui ne souhaitent pas donner leur nom. Si un jeune est parti, nous informons ses proches sur ce qu’ils peuvent faire, dont un signalement, par eux ou nous aux autorités policières qui transmettent ensuite aux aéroports.

{{Que prévoyez-vous comme alternative à la prison au retour du jeune ?}}

Certains jeunes qui reviennent ne sont pas des radicaux. Si on les met en prison, il est clair qu’ils vont se radicaliser là-bas. Aux niveaux préventif et curatif, nous devrions aller voir ce qui se fait ailleurs. Nous allons par exemple observer les solutions aux Pays-Bas qui ont une forte longueur d’avance sur la Belgique. Nous comptons aussi voir au Danemark les programmes intensifs de réinsertion sociale.

par Skan Triki
http://pro.guidesocial.be/actualites/l-apprentissage-quotidien-des-travailleurs-sociaux-contre-le-radicalisme-a-molenbeek.html

Les maisons de quartier sont au plus près des habitants. Elles travaillent étroitement avec les services de prévention de la commune, notamment avec la cellule anti-radicalisation engagée grâce à l’aide de 40.000 euros du ministère de l’Intérieur. La commune, qui lutte contre le radicalisme, apprend peu à peu prévenir sur ce phénomène les jeunes et leurs familles.

Il y a déjà eu un progrès considérable, et les activités pour sensibiliser sur ce problème ne manquent guère, comme les cafés citoyens, les débats entre témoins de groupes radicaux, parents victimes, jeunes, travailleurs sociaux.

Formation « test-erreur »

Naji Hakim a travaillé une dizaine d’années en maison de quartier. Il est depuis un an directeur adjoint de l’axe proximité. Il coordonne les éducateurs de rue et les maisons de quartier. Cela représente une soixantaine de personnes dont la plupart ont grandi à Molenbeek et connaissent bien les familles.

« Comme le phénomène du radicalisme est récent, les travailleurs sociaux apprennent peu à peu à prévenir les jeunes sur cette question. Il n’y a pas de méthode type, de modèle établi. On connaît les jeunes qui sont partis en Syrie. Ils ont des points communs, mais il n’y a pas un cas semblable à l’autre. Une chose essentielle est de garder contact entre le jeune, ses proches et nous. »

Problèmes racines en société

Chez les travailleurs sociaux, Naji Hakim constate qu’il est de plus en plus aisé d’aborder la question du radicalisme grâce aux débats qu’ils organisent.

« On sait en discuter beaucoup plus sereinement. Il y avait beaucoup de réticence et d’incompréhension. Il ne s’agit pas de faire un débat théologique. On réfléchit à comment faire en sorte de remettre en question une personne qui croit qu’un extrémisme religieux et la pure vérité. Nuancer et susciter le doute. »

Pour les prochains débats, Naji Hakim aimerait aborder avec des collègues, des intervenants et des jeunes, davantage de questions de fond. « Il faudrait voir quelle est la part de responsabilité de la société avec le phénomène de radicalisation. Un peu comme celui de la délinquance. Ouvrir le débat, ça se fait à tous les niveaux. »

Skan Triki