Et certains ne se privent pas de l’usurper, au mépris de la santé, déjà fragile, du patient. Faute de base légale, aucune suite juridique ne peut être réservée aux éventuelles plaintes (on en compte quelques dizaines par an, sans doute la partie visible de l’iceberg).
Mais cela va changer. Après des années de discussion et divers essais avortés, des parlementaires des six partis de la majorité ainsi que d’Ecolo et Groen, en bonne intelligence avec la ministre de la Santé publique, ont déposé ensemble, mardi, une proposition de loi « réglementant les professions de la santé mentale ». Son objectif est double : protéger le patient des charlatans et crédibiliser les professionnels. Son entrée en vigueur est espérée pour le 1er septembre 2016. En la matière, la Belgique est à la traîne. La Fédération des psychologues se réjouit d’ailleurs que la pratique de 12 000 professionnels sortira enfin d’une forme d’exercice illégal. Pas trop tôt !
Le sujet est d’importance. Selon l’enquête nationale de santé, un quart de la population belge dit être en proie à un sentiment de mal-être et 14 % des Belges estiment rencontrer des difficultés mentales sérieuses. Par ailleurs, en 2012, 283 millions d’antidépresseurs ont été consommés dans notre pays (+ 45 % en huit ans). Une meilleure prise en charge pourrait réduire cette consommation, et les dépenses publiques liées. Les besoins d’assistance psychologique sont donc grands. Mais les Belges ignorent à qui s’adresser. « Le secteur , est-il exposé en introduction de la proposition, est totalement illisible pour le patient. Nombreux sont ceux qui, tout en refusant d’aller consulter leur généraliste ou un psychiatre par crainte d’une prescription quasi automatique d’un traitement médicamenteux ou pour préserver un espace intime, hésitent néanmoins à se tourner vers d’autres professionnels de peur de tomber dans les mains d’un charlatan. »
La réglementation à venir amènera davantage de clarté et sécurité, sans pour autant exclure tout abus. Il y aura toujours bien des individus pour s’autoproclamer « coach de vie » ou « manager de l’esprit », convient la ministre Onkelinx. « Mais on pourra promouvoir les psychothérapeutes reconnus et mener des contrôles contre les pseudo-thérapeutes, y compris dans les sectes. » Concrètement, que prévoit la proposition ?
1 Reconnaissance. Les psychologues cliniciens et les orthopédagogues (qui viennent en aide aux personnes en situation de handicap) seront formellement reconnus comme professionnels de la santé, comme le sont aujourd’hui les médecins. Cela ne signifie pas que leurs prestations pourront faire l’objet d’un remboursement par l’assurance-maladie, mais c’est une première étape. « J’espère que ce sera un jour le cas et ce sera plus facile si ces prestations sont reconnues, commente Mme Onkelinx. Aujourd’hui, certaines mutuelles remboursent de la psychothérapie via l’assurance complémentaire, mais sur quelle base ? »
2 Habilitation. Pour pouvoir exercer, les psychothérapeutes devront disposer d’une habilitation, délivrée par le ministre de la Santé publique, après examen par le Conseil fédéral de la psychothérapie. Quatre orientations seront reconnues : la psychothérapie d’orientation psychanalytique (différente de la psychanalyse, voir ci-dessous) ainsi que les psychothérapies comportementale, systémique et expérientielle.
3 Formation. Les psychothérapeutes devront être porteurs d’un baccalauréat dans le domaine des professions de la santé, de la psychologie, des sciences de l’éducation ou des sciences sociales; être formés, à l’université ou en Haute Ecole, aux notions de base de la psychologie (qui seront définies par le Conseil fédéral); et avoir suivi une formation spécifique à la psychothérapie qui compte au moins quatre années de formation, dont trois années de pratique. Ceux qui pratiquent déjà depuis un certain temps pourront faire valoir leur formation et leur expérience. Par contre, ceux qui ne disposent d’aucune formation valable ne pourront plus utiliser le titre de psychothérapeute.
4 Sanctions. Pratiquer la psychothérapie sans autorisation ou usurper le titre de psychothérapeute pourra déboucher sur une peine de huit jours à trois mois de prison et une amende de 156 à 12 000 euros. Idem pour l’employeur de cette personne. Allez, retirez vite votre plaque ! L.G.
source :La Libre Belgique
06/11/2013
par Gérard Laurent
http://www.lalibre.be/actu/belgique/la-psychotherapie-ne-sera-plus-l-affaire-des-charlatans-5279c831357099b117a26391
Repères:
Psy-quoi ?
Psychiatre : médecin spécialiste des maladies mentales. Ses prestations sont remboursées par l’assurance-maladie. Il peut prescrire des médicaments et rédiger des certificats médicaux.
Psychologue : titulaire d’un master en sciences psychologiques. Il existe diverses branches : psychologue clinicien (thérapeute), psychologue d’entreprise, psychologue hospitalier,…
Psychothérapeute : davantage qu’un titre (qui n’est jusqu’ici pas reconnu par la loi, au contraire de celui de psychiatre ou de psychologue), ce terme recouvre une pratique de soins par des méthodes psychiques. Le psychothérapeute peut être psychologue, psychiatre ou avoir obtenu un diplôme complémentaire en psychothérapie.
Psychanalyste : il exerce la thérapeutique via une méthode de psychologie clinique consistant en l’investigation des processus psychiques profonds. Ce titre n’est pas reconnu non plus.
L. G.
http://www.lalibre.be/actu/belgique/reperes-5279c849357099b117a2651b
La dinguerie légitime et inguérissable du sujet
par Eric de Bellefroid
La psychanalyse est plus souvent décrite en termes de chapelles que d’institution unitaire. Il n’est pas si courant, en effet, comme l’illustre le cas présent, qu’elle se mobilise à l’unisson. Or, c’est bien ce qui s’est produit sous la coupole de la Fabep (Fédération des associations belges de psychanalyse) où freudiens, freudo-lacaniens, jungiens et toutes écoles confondues craignaient de se voir confisquer leur spécificité commune, même si le commentaire de l’Article 31 de ladite proposition de loi pose explicitement que « l’exercice de la psychanalyse et le port du titre de psychanalyste ne sont pas du ressort de la présente loi » .
Membre de l’Ecole de la cause freudienne (d’obédience lacanienne), Philippe Bouillot craignait ainsi que la loi ne prévoie un diplôme de psychothérapeute que bon nombre d’analystes, psychiatres ou psychologues, possédaient déjà.
« Le piège , insistait-il, est que nous pussions paraître opposés à toute réglementation, comme d’éternels hors-la-loi. Ceci n’est pas le cas. Il se trouvait juste un danger de voir la psychanalyse assimilée à une simple psychothérapie, ce qu’elle n’a jamais été et ne pourra jamais être. La psychanalyse, de fait, réserve a priori une place centrale à l’inguérissable – là où, comme disait Freud lui-même, « la guérison vient de surcroît » – tandis que la psychothérapie classique (thérapies dites brèves ou TCC) se conçoit comme une rééducation en regard des dysfonctionnements cognitifs ou comportementaux du sujet. »
La « folie » de l’analyste
Un haut responsable de la même Cause freudienne, Gil Caroz, redoutait également, pour sa part, « le rapt de la psychanalyse aux psychanalystes » . « Quand le commentaire de l’Article 31 de la loi pose que la psychanalyse n’en fait pas partie, nous aimerions tous que cette phrase soit inscrite dans le marbre, incluse dans la loi afin d’obtenir une réelle valeur juridique. »
« La façon dont la thérapie est ici définie , souligne-t-il, suppose effectivement que le psychanalyste est considéré comme thérapeute puisqu’il écoute les gens. Et cela ne peut justement pas aller ensemble. Car si la thérapie cherche le bien-être du sujet, et s’arrête en principe quand il va bien, l’analyse en revanche permet de réduire la répétition sans cesse des mêmes erreurs. »
Là où, au surplus, la thérapie adapte le sujet à son entourage, tentant par là de le « rendre normal », la psychanalyse met en valeur sa « dinguerie » intrinsèque, et en respecte l’absolue singularité. « Lacan lui-même professait que tout le monde est fou et que l’analyste lui-même ne doit pas considérer être au-delà de la frontière. »
Au regard de quoi, du reste, aucun diplôme de psychiatre ou de psychologue ne saurait protéger contre la « dinguerie » propre et nécessaire de l’analyste. Il y aurait là, par conséquent, un appauvrissement de la psychanalyse à priver de son champ des anthropologues, des sociologues, des historiens, des écrivains, etc.
http://www.lalibre.be/actu/belgique/la-dinguerie-legitime-et-inguerissable-du-sujet-5279c835357099b117a263b9