{{Le Courrier des maires-Novembre 2009}}

En l’absence de définition légale de la notion de «secte», les collectivités locales, leurs élus et leurs agents doivent, dans l’exercice de leurs compétences et dans leurs décisions, faire preuve de vigilance. Il leur faut concilier préservation de l’ordre public, libertés fondamentales (de pensée, de réunion, de culte) et principes de neutralité et d’égalité.

{{Sommaire

1. Urbanisme

2. Protection de l’enfance

3. Gestion des propriétés communales}}

{{Urbanisme}}

En matière de droit de l’utilisation des sols, les services instructeurs ont régulièrement à traiter des demandes de mouvements sectaires visant à bénéficier d’une autorisation de construire. Le refus de délivrance d’une autorisation d’urbanisme ne peut être fondé que sur des conditions objectives tirées de la violation des règles d’urbanisme, et non sur des considérations subjectives telles que l’appartenance vraie ou supposée du pétitionnaire à un mouvement sectaire.

Ainsi, n’est pas entaché d’illégalité le certificat d’urbanisme négatif opposé à une secte constituée sous forme d’association cultuelle qui sollicitait la commune pour une construction à usage d’édifice de culte, dès lors que l’article UE1 du règlement du plan d’occupation des sols autorise seulement les constructions à usage d’équipements collectifs ou de services (CAA Marseille, ch. 1, 17 oct. 2007, « Com. de Mougins », n° 05MA00225). Selon les juges d’appel, qui ont annulé le jugement du tribunal administratif de Nice du 17 novembre 2004, « un bâtiment destiné à l’exercice d’un culte ne saurait être regardé comme une construction à usage d’équipements collectifs ou de service au sens des dispositions [.] de l’article UE1 ».

Un permis de construire peut également être refusé en cas d’insuffisance du nombre d’emplacements de stationnement, dès lors que le projet du pétitionnaire ne prévoit que vingt-trois emplacements alors qu’il convenait d’en prévoir au minimum quatre-vingt. « Le permis litigieux prescrit la réalisation de quatre-vingts places de stationnement à l’intérieur de la parcelle alors que seules vingt-trois places sont prévues dans la demande de permis et qu’il ressort des pièces du dossier que l’espace disponible sur le terrain d’assiette de la construction autorisée ne permet pas l’aménagement de quatre-vingts places de stationnement ; [.] dans ces conditions, le maire, en délivrant le permis assorti de cette prescription, qui n’en est pas divisible, a entaché sa décision d’illégalité » (CAA Bordeaux, ch. 1, 23 février 2006, « Association X », n° 02BX02437).

En revanche, une association de défense des habitants d’une commune contre l’implantation de sectes ou de mouvements parareligieux ne saurait invoquer, à l’appui d’un recours contre un permis de construire, un motif tiré de ce que, en raison des croyances et des pratiques du pétitionnaire, la construction d’un lieu de culte serait à l’origine de troubles à l’ordre et à la sécurité publics. Un tel motif est en effet étranger à l’application des dispositions législatives et réglementaires relatives au permis de construire et est, par suite, inopérant (CAA Nantes, ch. 3, 27 mai 2004, « Association X », n° 00NT01987).

Il en va de même de l’exercice du droit de préemption urbain, qui ne peut être exercé que pour les motifs et dans les conditions prévues par le Code de l’urbanisme. Le juge administratif est donc fondé, à la requête de l’acquéreur évincé d’un immeuble, en l’espèce un mouvement sectaire, à censurer une décision de préemption illégale compte tenu de sa tardiveté (CE, sous-sections 1 et 2 réunies, 15 mai 2002, « Association X », n° 230015).

{{Protection de l’enfance}}

Dans le cadre de leurs compétences en matière de protection de l’enfance, les départements sont souvent confrontés aux risques sectaires, concernant notamment l’agrément des assistantes maternelles et familiales.
S’agissant des refus d’agrément, le juge de l’excès de pouvoir exerce un contrôle normal sur les faits et leur qualification juridique (CE, 4 novembre 1991, n° 107880, n° 109126, n° 111030 et n° 102611) et vérifie que les refus opposés aux demandes d’agrément sont fondés sur l’intérêt de l’enfant.

Mais un refus peut valablement être opposé à des candidats à l’agrément en raison de leurs prises de position sur des questions de santé, notamment leur opposition à l’usage de certaines méthodes thérapeutiques. Un tel motif conduit à bon droit le président du conseil général à considérer que les intéressés ne présentent pas des garanties suffisantes en ce qui concerne les conditions d’accueil qu’ils étaient susceptibles d’offrir à des enfants sur les plans familial, éducatif et psychologique (CE, 24 avril 1992, « Dépt. du Doubs », n° 110178).

L’appartenance à un mouvement sectaire et le prosélytisme de la requérante justifient à eux seuls le retrait de son agrément en qualité d’assistante maternelle. Celle-ci ne présente en effet pas les garanties de neutralité exigées pour l’accueil et l’épanouissement des mineurs confiés aux assistantes maternelles. De plus, le retrait contesté de son agrément d’assistante maternelle ne méconnaît pas la liberté de religion ni le principe de laïcité, et n’est pas entaché d’erreur d’appréciation (TA Versailles, 7 févriet 1997, n° 954414).

Le président d’un conseil général est fondé à refuser d’agréer en qualité d’assistante familiale pour l’accueil de mineurs à titre permanent une personne ayant reconnu qu’elle-même et son mari adhéraient à la doctrine d’un mouvement sectaire. Selon la cour, les menaces d’isolement social et de marginalisation auxquels les règles de vie qui en découlent exposeraient un mineur accueilli justifiaient que le président du conseil général puisse légalement refuser l’agrément sollicité au motif que les caractéristiques présentées par le couple risquaient de ne pas concourir à l’épanouissement de l’enfant accueilli (CAA Nantes, ch. 3, 19 juin 2003, 99NT02403).

Le fait, pour une assistante familiale, d’initier et de faire participer depuis plusieurs années aux activités du mouvement dont elle est membre les enfants qui lui avaient été confiés sans avoir consulté ni demandé l’autorisation du service, favorisant ainsi l’éloignement des fillettes de leur mère, présente le caractère d’une faute de nature à justifier l’ouverture d’une procédure disciplinaire. En revanche, ces faits n’ont pas un caractère de gravité suffisante afin de justifier le licenciement pour faute grave (CAA Nantes, 28 décembre 2001, n° 98NT02067).

De même, est illégal le licenciement d’une assistante maternelle au motif que le département était dans l’impossibilité de lui confier un enfant, dès lors qu’il apparaît que la requérante avait assuré la garde d’enfant de manière continue depuis près de vingt ans, qu’elle ne se voyait reprocher aucune insuffisance professionnelle ou acte de prosélytisme et qu’une telle décision était en réalité fondée sur les convictions religieuses de la requérante, à laquelle il était fait grief d’appartenir à un mouvement sectaire (TA Pau, 3 novembre 2005, n° 0401335).

{{Gestion des propriétés communales}}

A l’instar d’autres associations et organismes, les mouvements sectaires sont conduits à solliciter les communes pour la mise à disposition de propriétés communales, dans le cadre défini à l’article L.2144-3 du Code général des collectivités territoriales, pour y organiser des manifestations et des cérémonies diverses.

Le maire d’une commune ne peut valablement refuser la location d’une propriété communale à un mouvement sectaire au motif que, compte tenu des tarifs pratiqués par la commune, lesquels sont beaucoup moins élevés que ceux du secteur concurrentiel, la location d’une salle à de telles conditions équivaudrait à subventionner ladite association en violation des dispositions de la loi du 9 décembre 1905 (CAA Lyon, ch. 4, 28 juin 2007, n° 05LY00332).

Il ne peut davantage fonder son refus sur la crainte – ne reposant que sur des suppositions – que les salles communales soient l’objet de sollicitations répétées pour des manifestations à but religieux (CE, référé, 30 mars 2007, n° 304053).

Le refus d’une commune d’accorder à une association cultuelle la location d’une salle communale et faisant suite à plusieurs refus de même nature, précédemment annulés par le juge administratif, porte une atteinte grave et manifestement illégale à la liberté de réunion, dès lors qu’un tel refus n’est fondé ni sur une menace d’atteinte à l’ordre public ni sur un motif tiré de l’administration des propriétés communales ou du fonctionnement des services, mais seulement sur des considérations générales relatives au caractère sectaire de l’association (CE, référé, 30 mars 2007, n° 304053).

Le refus d’une commune d’autoriser l’exploitant d’un stade municipal à louer à une association cultuelle l’enceinte du stade pour y organiser une réunion de ses fidèles ne peut être fondé que sur des motifs tirés des exigences de l’ordre public ou des nécessités de l’administration des propriétés communales. En refusant d’autoriser cette location au motif que l’association requérante est une association cultuelle recensée comme un mouvement à dérives sectaires dans divers rapports parlementaires, lesquels sont dénués de toute valeur juridique, le maire a porté une atteinte illégale à la liberté de réunion (TA Paris, référé, 13 mai 2004, Ajda 2004, p. 1597).

{{Un article de Christophe Lonqueue, avocat au barreau de Paris. SCP Sartorio, Sagalovitsch et associés}}