Ils promettent aux malades une guérison sans l’aide de la médecine. Gourous ? Charlatans ? Les partisans de la « Biologie totale » affirment que toute pathologie résulte d’un choc psychologique, qu’il suffit de résoudre pour s’en sortir. En Belgique, ils sont une centaine à diffuser cette théorie, en vogue partout en Europe. Chloé Andries mène l’enquête sur cette nébuleuse depuis 2008, pour Le Soir et Télémoustique. A l’occasion du procès, à Liège, de Louis Vliegen, l’un des ex-chefs de file belges du mouvement, pour exercice illégal de la médecine et homicide involontaire, on vous refait la story.

Louis Vliegen n’est pas médecin. Cet assistant social, devenu psychothérapeute, comparaît pourtant en février devant le tribunal de Liège pour exercice illégal de la médecine, homicide involontaire et escroquerie. Au début des années 2000, l’homme aurait poussé une de ses patientes, Mme Schommers, atteinte d’un cancer de l’estomac, à arrêter tout traitement médical. C’est en tout cas ce qu’affirme la famille de la victime, décédée en 2002 des suites de sa maladie. Selon eux, Louis Vliegen aurait promis la guérison à sa patiente, grâce aux travaux d’un courant pseudo scientifique, « la biologie totale ».

Sa solution miracle : un suivi psychologique, un traitement à base de poudre de zinc et de magnesium, le tout accompagné de prières. (Pour le suivi du procès Vliegen, paru dans le Soir, c’est ici). L’expérience de la famille Schommers n’a rien d’un cas isolé. Plusieurs dossiers similaires impliquant des thérapeutes de la « biologie totale » sont à l’instruction en France et en Belgique. Quelques médecins issus de ce courant ont également été radiés ou suspendus de l’Ordre des Médecins en Belgique (Pour lire la première enquête de Chloé sur le sujet en Belgique en 2008, toujours dans le Soir, c’est là).
Vision délirante

Mais que propose exactement cette médecine du troisième type ? Comment expliquer son succès en Europe et mesurer son influence ? Et surtout, quels risques sanitaires peut-elle engendrer ?
Le postulat de la biologie totale est le suivant : toute maladie est générée par un conflit d’ordre psychologique, qu’il faut régler pour espérer une guérison. Créée dans les années 1990, par un médecin français, Claude Sabbah, qui s’est lui-même radié de l’ordre des médecins, elle poursuit les travaux de l’Allemand Ryke G Hamer, condamné pour exercice illégal de la médecine dans les années 1980, après avoir poussé un de ses patients à s’éloigner de la médecine conventionnelle.

Rejetée par la communauté scientifique, cette théorie connaît pourtant un réel engouement en Belgique. Pour Sandrine Mathen, en charge des dossiers santé au CIAOSN (centre d’information et d’avis sur les organisations sectaires nuisibles), « on estime à une centaine le nombre de thérapeutes et conférenciers de la biologie totale en Belgique. Un chiffre que l’on peut facilement multiplier si l’on prend en compte le nombre de personnes qui ont suivi les formations proposées par le mouvement. Dans cette nébuleuse, il faut néanmoins nuancer : tous les thérapeutes n’appliquent pas la théorie à l’extrême. Mais le risque sanitaire est réel ».
Lacune de la médecine

Du côté de la communauté scientifique, plusieurs médecins ont déjà étudié les théories des Dr Hamer et Sabbah. C’est le cas de Monique Lefebvre, psychiatre à Charleroi : « Les écrits du Dr Hamer relèvent d’une vision complexifiée et délirante qui mélangent des éléments de la biologie cellulaire, de la virologie… en y insérant sur un même plan du psychologique pour donner un sens à chaque maladie. Cette pseudo science peut donc pousser les patients à refuser tout traitement médical ». Pour le médecin, le danger est d’autant plus important que « ces propos délirants peuvent pourtant paraître cohérents pour des personnes étrangères à la médecine. » D’autre part, dans un système médical qui oublie trop souvent la prise en compte psychologique d’une maladie, la biologie totale peut attirer de nombreux malades. « Contrairement à la médecine traditionnelle dont les aspects techniques contribuent à une certaine déshumanisation, la biologie totale propose une plus grande écoute de la souffrance psychique et tend à apaiser l’angoisse par ses théories. Les patients ont besoin d’être rassurés, de trouver des explications. Confrontés à leurs angoisses, ils peuvent alors se tourner vers ce genre d’approche. »

C’est ce qui est arrivé à la famille B., dans les années 1990. « Nous venions d’apprendre que notre fille était atteinte de diabète. Nous étions anéantis, car nous connaissions la gravité de cette maladie et la difficulté des traitements », explique Iwan, 57 ans. Quand ils rencontrent un psychothérapeute qui leur parle d’une possible guérison de leur fille par les théories de Hamer, c’est la délivrance. « Cette rencontre nous est arrivée comme un rayon de soleil ». La famille se rend donc chez le psychothérapeute, pour une consultation. « Il nous a dit alors : le diabète est guérissable. L’astuce c’est de trouver l’origine du choc émotionnel qui a provoqué la maladie ». Leur fille suit donc une thérapie, pendant plusieurs mois. « Peu à peu, elle gérait de moins en moins bien son diabète, devenait dépressive. Au bout de 12 séances, le psychotérapeute lui a dit de diminuer voire arrêter son traitement ». Dès cet épisode, la famille B fait marche arrière. « Il jouait à l’apprenti sorcier. Nous n’allions pas entrer là-dedans. Il nous a répondu : « lequel d’entre vous ne veut pas qu’elle guérisse ?» Nous avons porté plainte ».
Abus de confiance

C’est cette ambiguité entre la prise en compte positive du versant psychologique d’une maladie et le rejet de la médecine qui en découle, qui pose question dans la biologie totale.
« Contrairement aux médecines parallèles, comme l’homéopathie, qui accompagnent les traitements conventionnels, les théories des Dr Hamer et Sabbah sont clairement antithérapeutiques. Elles peuvent séduire par un biais rassurant. Des symptômes de cancers avancés peuvent y être interprétés comme étant des passages obligés menant à une guérison », explique Monique Lefebvre. « Des thérapeutes modérés, sans grande connaissance médicale, ont pu s’y embarquer en toute bonne foi ». Résultat, la biologie totale, qui propose des formations pour devenir thérapeute sans obligation de diplôme en médecine, est devenue une nébuleuse difficile à cerner.

D’autant qu’au niveau juridique, les dérives dans le domaine psychologique et médical sont ardues à appréhender. Pour Inès Wouters, avocate spécialisée dans la défense des « minorités religieuses », « un tribunal ne peut juger quiconque sur ses croyances. La recherche, quelle qu’elle soit, doit pouvoir rester libre, de peur de tomber dans le dogmatisme religieux ou idéologique. D’un autre côté, l’abus de confiance sur le plan psychologique est un sujet délicat et très difficile à démontrer car il faut prouver une intention délictueuse. Quand elle existe, cela est répréhensible, mais il ne faut pas tomber dans la paranoïa. » Une paranoïa dans laquelle sont par contre déjà largement tombés quelques uns des chefs de file de la Biologie totale et consorts, allant jusqu’à développer des thèses complotistes, à base de certitudes de l’existence de camps de concentration préparés par les USA. (Lire à ce sujet Les prohètes du grand complot paru dans le Soir du 16 mars 2010 sur un certain Jean-Jacques Crèvecoeur).

Chloé Andries. Enquête parue dans Télémoustique le 15 février.