La campagne de certains milieux chrétiens conservateurs contre la candidate du pouvoir à l’élection présidentielle, Dilma Rousseff, qui sera opposée au second tour, le 31 octobre, au candidat social-démocrate José Serra, accusée de vouloir légaliser l’avortement, met en lumière la forte influence politique des Eglises au Brésil. Dans le pays le plus catholique du monde – 155 millions de fidèles -, les liens étroits entre politique et religion remontent au premier jour de sa découverte (1500), à la première croix plantée sur son sol, selon l’usage portugais, en même temps qu’était dite la première messe. Sabre et goupillon mêlés, au service de la colonie, de l’Empire (1808) devenu indépendant (1822), puis de la République (1889).

Dans sa première Constitution républicaine (1891), inspirée par le positivisme, le Brésil proclame, quatorze ans avant la France, la séparation de l’Eglise et de l’Etat. L’Eglise est alors dépouillée de nombreux privilèges, notamment de l’attribution d’argent public à ses écoles et ses hôpitaux. Elle les récupérera en 1934, après un lobbying intensif, sous le règne du président Getulio Vargas.

Le Brésil est aujourd’hui un Etat laïque, où la puissance de la religiosité populaire autorise l’Eglise, lors des échéances électorales, à réaffirmer ses valeurs et ses tabous – notamment l’interruption de grossesse – en intervenant si nécessaire dans le débat public. Pourtant, l’Eglise catholique continue d’abriter des courants politiquement divers. L’un d’eux reste fidèle à la “théologie de la libération” qui se voulait une analyse de la “force historique des pauvres ” à partir d’une relecture des textes bibliques au sein des “communautés ecclésiales de base”, lieux d’éducation populaire, de catéchèse et de résistance. Le président Luiz Inacio Lula da Silva a forgé son parti des travailleurs (PT) et son propre destin politique dans cette famille des catholiques de gauche.

L’émergence, au milieu du XXe siècle, puis l’essor des Eglises pentecôtistes, en majorité conservatrices, ont nourri une surenchère “droitière” sur le terrain des moeurs. Réunies en 23 groupes différents, les Eglises évangéliques ont fait du Brésil le plus grand pays pentecôtiste après les Etats-Unis. Elles représenteraient 20 % de la population, soit près de 40 millions de croyants. Elles conjuguent un piétisme protestant ancien, fondé sur des pratiques de guérison et d’exorcisme, et une modernité religieuse qui met en avant la ferveur et l’affectif.

Apparu dans les années 1980, le néopentecôtisme prône une idéologie du succès social baptisée “théologie de la prospérité”, où les pasteurs, souvent autoproclamés, promettent un “bonheur immédiat” aux masses privées des biens de consommation et invitées à les acquérir au moyen de miracles à accomplir.

Ce matérialisme à outrance autorise tous les abus. Exemple : l’Eglise universelle du royaume de Dieu garantit à ses ouailles l’ouverture en leur faveur “des écluses du Ciel”. A condition qu’ils aient, auparavant, et pendant des années, enrichi le trésor de Dieu en versant à l’Eglise le dixième de leurs revenus. Résultat : “l’Universelle” est devenue un empire médiatique et financier, dont le chef, “l’évêque” Edir Macedo, est accusé d’association de malfaiteurs et de blanchiment d’argent.

Il n’empêche : les nouvelles Eglises apportent souvent une réponse chaleureuse et fraternelle aux familles qui acquittent leur “dîme”. Là où règnent la pauvreté, la violence, la prostitution ou la drogue, là où l’Etat, trop absent, ne remplit pas son rôle, en matière de santé ou d’éducation, elles tissent un réseau d’entraide communautaire qui offre une certaine protection fondée sur la confiance. Elles offrent des services, des loisirs, des amitiés, des contacts pour un éventuel emploi. En retour, elles diffusent leurs consignes de vote, plus ou moins précises. Même la “dîme”, souligne le politologue Cesar Romero Jacob, joue un rôle intégrateur chez les pauvres non soumis à l’impôt : “Ils se sentent citoyens de quelque part.”

Une étude de la Fondation Getulio Vargas a dessiné une “géographie de la religion” au Brésil : la poussée évangélique se manifeste surtout dans les banlieues populaires des grandes villes. Là où la pauvreté a reculé, grâce aux transferts sociaux mis en oeuvre par le gouvernement Lula, l’Eglise catholique a regagné du terrain. Le président Lula rappelle volontiers que les évangéliques l’ont longtemps “diabolisé” : “Ils disaient que j’allais fermer les Eglises et changer la couleur du drapeau national.” En 2002, donné enfin favori, il tendit la main à “l’Universelle”, prête à voler au secours de la victoire et qui, depuis, l’a toujours soutenu.

Cette année, le groupe parlementaire évangélique a progressé de 50 % : 63 députés et 3 sénateurs ont été élus, le 3 octobre. Ils appartiennent à 14 partis. Leur priorité pour 2011 ? S’opposer à un éventuel projet “décriminalisant” l’avortement. Un texte de loi pourtant bien improbable, quelle que soit l’issue de la présidentielle. Non seulement Mme Rousseff et M. Serra ont exclu de légaliser l’avortement, mais ils n’osent même plus défendre ouvertement le statu quo, qui autorise celui-ci en cas de viol et de menace sur la vie de la mère. Ils préfèrent exalter le “droit à la vie”, ce slogan passe-partout emprunté aux “partis chrétiens”.

LE MONDE : Article paru dans l’édition du 27.10.10 •
http://www.lemonde.fr/idees/article/2010/10/26/bresil-quand-la-religion-s-immisce-dans-l-election-presidentielle_1431359_3232.html