Il a tout d’abord annoncé la cata pour 1874, puis 1878, puis 1881, et finalement 1914. Mais la Bible a dû jouer des tours au bon pasteur, parce que le monde est toujours là, têtu et solide. Les Témoins de Jéhovah, qui sont des gens perspicaces, ont, eux, prévu la «fureur de Dieu» pour 1945, 1975, puis avant 1994. On est un tantinet en retard.

L’association «Énergie humaine universelle» prévoyait le passage dans la quatrième dimension, dû à l’inversion du courant de l’énergie, pour le tout début de l’année 1999. L’inverseur a dû tomber en carafe. Et ces dernières années, toute une série de sectes, de gourous, de chapelles ont prévu tantôt l’apocalypse nucléaire ou le «Big Crunch» ou le passage d’un trou noir glouton qui nous avalerait. Pour l’instant, on n’a rien vu qui ressemble à une catastrophe mondiale.

{{Le film «2012» créé l’événement}}

Autant dire que prévoir l’apocalypse est un vieux truc qui trouve toujours preneurs. Alors, quand le cinéaste Roland Emmerlich signe, voici trois ans, un film catastrophe à grand spectacle intitulé «2012», certains ont pris très au sérieux les prophéties des Mayas, l’une des plus fascinantes civilisations que la Terre ait portées. Pour ceux-là, le calendrier maya prend fin en 2012, et notre monde aussi. Depuis, des astrologues, des numérologues, des géophysiciens ont considéré que l’affaire était plausible, et même des experts scientifiques gouvernementaux ont fini par y croire! Et tout ce beau monde joue à se faire peur.

La date précise, selon le calendrier maya, serait donc le 21 décembre, vendredi prochain (lire en page 3). Mais les prophètes qui ont relayé cette terrifiante information expliquent aussi que Bugarach, belle curiosité géologique de l’Aude, avec un pic spectaculaire de 1 200 mètres d’altitude, serait sauvé! Cet endroit abriterait en fait une base extraterrestre secrète. C’est là qu’il «faut» donc être en ce jour de grande catastrophe. Bienheureux Bugarachois!

{{Internet en folie}}

Sous le pic de Bugarach se trouverait en effet un repaire farci d’instruments bizarres, et même des soucoupes volantes prêtes à décoller, et qui nous permettraient d’échapper au désastre planétaire. Ainsi, depuis deux bonnes années, la folie souffle sur Internet, qui relaye sans relâche l’effrayante prédiction venue du Mexique. Aux Etats-Unis des «survivalistes» ont déjà préparé leur bunker rempli de victuailles. La petite commune au sud-ouest des Corbières, à 37,8 kilomètres à vol d’oiseau de Carcassonne, a vu débarquer des personnages étranges, illuminés, convaincus ou terrorisés. On y trouve aussi bon nombre de curieux et quelques amateurs de bonnes blagues, sans compter des journalistes venus du monde entier pour observer les phénomènes – reste à définir quels phénomènes…
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{{Mais pourquoi Bugarach sera «sauvé» ?}}

Pour quelles raisons le petit village audois de Bugarach, avec son pic éponyme, serait-il donc le dernier lieu sur terre épargné par l’apocalypse ? On se perd en conjectures et les hypothèses, même les plus «abracadabrantesques», abondent.

En ces lieux isolés de la haute vallée de l’Aude, les légendes, colportées notamment par les réseaux sociaux, sont légion. Et tenaces. Le Pic est proche de Rennes-le-Château, où, dit-on, l’abbé Saunière aurait retrouvé le trésor des templiers si ce n’est celui des derniers Cathares brûlés vifs en 1244 à Montségur, à quelques encablures.

Il est dit aussi, chez les mystiques, que le corps du Christ reposerait sous la montagne où serait également enfermée l’Arche d’Alliance, le coffre qui, dans la Bible, contiendrait les Tables de la Loi!

D’autres rumeurs, tout aussi persistantes, et toutes aussi farfelues, font état d’une sorte de garage à soucoupe volante dans les galeries du Pic de Bugarach, une sorte de base pour des extraterrestres originaires de la constellation d’Orion prêts à secourir le genre humain. Ce mythe serait né dans les années soixante, sous la plume de Jean d’Argoun, un écrivain fasciné par l’ésotérisme.

Il y a aussi cette rumeur née de la particularité géologique des lieux, où, les couches géologiques supérieures seraient plus anciennes que les couches inférieures. Ce phénomène de «montagne inversée», qui se serait produit lors de la poussée des Pyrénées à l’époque de l’ère tertiaire, aurait pour conséquence une inversion des pôles magnétiques et l’on raconte que les avions seraient interdits de survol en raison de cette «anomalie géologique». Les géologues ont beau marteler qu’il ne s’agit que d’un anticlinal, à savoir «un pli dont le centre est occupé par les couches géologiques les plus anciennes» et que de telles montagnes, en France, se comptent par dizaines, rien n’y fait. La rumeur galope toujours alimentée par l’irrationnel.

Loin de cette agitation, les habitants conservent les pieds sur terre et, s’ils ne s’expliquent toujours pas ce délire collectif, sont plutôt satisfaits qu’on parle du village et entendent bien, tout au moins pour certains, en retirer quelques bénéfices.

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{{Chronique de Bugarach le regard de l’historien}}

«Le monde n’en finit pas de finir»
Les récits sur la fin du monde sont universels et remontent aussi loin que la mémoire humaine, écrivez-vous. à quel besoin répondent-ils ?

Le premier texte de fiction que l’on connaisse parle déjà d’une fin du monde : c’est le déluge dans Gilgamesh, poème écrit 2000 ans avant notre ère. Depuis, le monde n’en finit pas de finir, il y a eu des fins du monde à toutes les époques et cela nous renseigne aussi sur l’état d’esprit d’une civilisation, la façon dont elle se voit et dont elle envisage sa propre fin. Mais il est difficile de faire une généralité pour dire à quel besoin cela répond car il varie selon le temps, les cultures. Au Moyen Âge, par exemple, la fin du monde répond clairement à un besoin de réparation. L’Apocalypse de Jean est ainsi un moyen de punir les méchants et de récompenser les gentils.

{{Et aujourd’hui ?}}

Cela répond, me semble-t-il, à l’envie de voir changer un monde qui nous déplaît. On se dit qu’il y a des choses qui ne peuvent plus durer. économie, écologie : on attend la catastrophe qui nous montrera qu’il faut tout changer. La différence, cependant, entre nos sociétés et celles du passé, c’est qu’aujourd’hui, l’homme peut détruire lui-même la planète.

Autrefois, les dieux punissaient les hommes en provoquant la fin du monde. Mais depuis Hiroshima, précisément, on trouve beaucoup de récits, notamment dans la bande dessinée, où nous sommes la cause directe de l’apocalypse, soit par la guerre atomique, soit par notre inconséquence écologique et ces représentations sont plus angoissantes, car elles reposent sur des peurs rationnelles.

La grande différence avec le haut Moyen âge chrétien, lorsque l’espérance de vie était d’à peine 30 ans et les conditions de vie terribles pour la majorité, c’est qu’à cette époque, la fin du monde était une source d’espoir avec la résurrection. Alors qu’aujourd’hui, si on lit La Route de McCarthy, il n’y a plus d’espoir.

{{Quel regard portez-vous sur le phénomène Bugarach ?}}

J’évoque les Mayas dans mon livre, mais dans mes recherches, je n’ai jamais trouvé trace de Bugarach. Cependant, régulièrement, on trouve un endroit qui va être épargné par l’apocalypse. Là, c’est Bugarach. Mes parents sont dans le Gers, et je me souviens qu’il y a quelques années, une autre prédiction disait que seul le Gers serait épargné par la destruction du monde…

Les Fins du Monde de l’Antiquité à nos Jours, de Jean-Noël Lafargue, 45€, François Bourin éditeur.

Que nous disent les représentations picturales, cinématographiques et scientifiques de la fin du monde ? De la Mésopotamie à Fukushima, Jean-Noël Lafargue interroge à travers elles les religions, la fiction, la cosmologie pour dresser un panorama des peurs de disparition qui hantent l’humanité depuis la nuit des temps.

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{{La Dépêche à Bugarach}}

A compter de mardi, et jusqu’à la «Fin du Monde», le 21 décembre prochain, La Dépêche du Midi va publier, chaque jour, une page spéciale sur Bugarach. Sur place, notre envoyé spécial racontera la vie du village et le quotidien de ses habitants, évoquera les bouleversements de ce paisible village de 200 âmes confronté notamment au déferlement médiatique. De même nous suivrons l’événement vu du Mexique avec notre orrespondante Barbette Stern.

Outre ces chroniques, La Dépêche du Midi a cherché à comprendre comment était né ce phénomène irrationnel et, pour tenter de le décrypter, a sollicité plusieurs scientifiques. Nous publierons des interviews d’Hubert Reeves, le célèbre astrophysicien, d’Odon Vallet, spécialiste des religions, de l’essayiste et humaniste Albert Jacquart, ou du poète Serge Pey.

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{{Lettre du Mexique}}

{{El Tortuguero, la stèle de tous les fantasmes}}

Encore cinq k’in (jours) et le 13e Bak’tun s’achèvera. Tout se jouera le 4 Ahau 3 Kank’in exactement – soit le 21 décembre 2012 de notre calendrier grégorien. Cette date fatidique figure sur une stèle remontant à 669 après Jésus-Christ, et découverte en 1958 sur le site archéologique de Tortuguero, dans le sud-est du Mexique (Etat de Tabasco). Quelques hiéroglyphes gravés à la fin du long récit de la vie du gouvernant de la cité, Balam Ajaw, le seigneur Jaguar. Nulle allusion à une quelconque fin du monde. Nulle prophétie. Juste un fait.

Les descendants des Mayas multiplient les «purifications»
Selon la cosmogonie maya, c’est le 4 Ahau 8 Kumk’u (14 août 3114 avant J-C) que les dieux ont mis pour la première fois de l’ordre dans l’univers. La date mythique de la création du monde, en quelque sorte. Et le point de départ de la «cuenta larga» – le compte long -, divisé en périodes de durées différentes: 360 jours (tun), 7200 jours (ka’tun), 144.000 jours (Bak’tun). Les Mayas ont une vision cyclique du temps qu’ils mesurent en jours. Ainsi, tous les 400 ans environ, un Bak’tun se termine, un autre commence. Au cours de cérémonies rituelles, les prêtres implorent la clémence des dieux pour cette nouvelle étape.

Le 21 décembre, 1 872 000 jours (13 Bak’tun) se seront écoulés depuis l’année zéro des Mayas. La fin d’une ère de 5 125 ans que les quelque 5 millions de descendants de cette civilisation (dont l’apogée se situe entre 250 et 900 après J-C), présents du sud-est du Mexique au Guatemala en passant par le Belize et un petit bout du Honduras et du Salvador, ont commencé à célébrer en multipliant les «purifications» à l’encens.

Lors de la découverte de la stèle de Tortuguero, personne ne prêta attention à cette date, simple anticipation du déroulement de la «cuenta larga». Ce n’est que dans les années 1980 et l’émergence aux Etats-Unis du mouvement spirituel «New Age», patchwork de croyances revisitées et hétéroclites, qu’elle embrasa l’esprit de quelques adeptes de cette mouvance millénariste, donnant naissance à des interprétations apocalyptiques, ancrées dans la tradition judéo-chrétienne qui veut que le monde ait un commencement et une fin.

Cette vision ésotérique, alimentée par nos propres peurs, mêlant prophéties et pseudo-calculs scientifiques de convergences galactiques, a provoqué un sursaut d’intérêt international pour la culture maya que les prestataires de service mexicains de tous poils ont vite mis à profit!

{{Une immense horloge numérique}}

Au Mexique, la presse s’est emparée du sujet sur un ton sérieux ou pour moquer la prétendue fin du monde. Les caricatures et les petites blagues se multiplient à l’approche de la date fatidique. Le sujet envahit les ondes. Le catastrophisme se vend bien.

La fin du 13e Bak’tun approche! A Tapachula (Chiapas), à la frontière du Mexique et du Guatemala, une immense horloge numérique égraine les heures, les minutes et les secondes qui restent avant… Avant quoi? Seuls les Indiens mayas dorment tranquilles.

{{Ce pays où la vérité est ailleurs…}}

Bugarach, c’est au bout de la route qui monte longtemps. Une «marche» en pays cathare, comme on disait autrefois des territoires frontaliers du royaume – lorsque, de l’autre côté de la montagne dominant ce village des Corbières aux confins de l’Aude, régnait encore le roi d’Aragon. Bien avant l’invention de l’exode rural qui fit enfin rentrer Bugarach dans la liste de ces lieux où il ne se passe habituellement rien. Mais pendant longtemps. Comme disent les citadins.

«Grâce à quoi, ici, on a fait l’Europe en attirant des Allemands, des Hollandais, des Finlandais, des Irlandais, des Espagnols et des Anglais en quête de calme», rappelle, pince-sans-rire, Jean-Pierre Delord, maire de la commune depuis 36 ans, et dessinateur industriel de formation. Il a fait partie des premiers à ressusciter le village, au tout début des années soixante-dix, en venant s’y installer comme éleveur «parce qu’ici, les terres n’étaient pas chères».

Twin Peaks
Depuis ? Le touriste a appris à visiter les vaches aussi. Et les migrations saisonnières de randonneurs ont donc entraîné la création d’une centaine de lits pour héberger ceux qui viennent gravir les 1 231 mètres du fameux Pech de Bugarach, aujourd’hui déguisé en «Twin Peaks» brumeux – du nom de cette ville imaginaire d’un feuilleton américain où il se passe bien des choses bizarres. Façon sans doute de faire frissonner d’invisibles curieux. .. Ainsi que le note, dépité, un Alpin isolé venu voir ce qu’il croyait être les frontières du réel et qui repart, déçu de n’avoir croisé que le vent. Preuve qu’à Bugarach, la vérité est ailleurs.

Dans la salle du conseil municipal, pour commencer. Voyage dans le temps en soi, sous le regard de son étonnante Marianne peinte, «qui porte les traits de l’impératrice Eugénie», pointe le maire.

Et là ? Ah, là… «C’est la carte du réseau des grottes sous le Pech. J’en avais tellement marre d’entendre n’importe quoi sur la soi-disant base extra-terrestre souterraine que j’ai visité les six kilomètres de galeries avec les spéléos de l’Aude», poursuit Jean-Pierre Delord. Se mordant encore la langue d’avoir rapporté il y a deux ans au conseil municipal qu’un délire était en cours sur Internet concernant Bugarach érigé en «arche de Noé» pour cette officielle 183e fin du monde du 21 décembre 2012. «Il y a eu une fuite et ça a fait la une de la presse, puis Internet n’a fait qu’amplifier ce qui autrefois serait resté confiné entre quelques illuminés».

Eschatologie : discours sur la fin des temps. Millénarisme : croyance en l’avènement d’un nouveau royaume… Depuis, Bugarach s’est familiarisé avec le vocabulaire des gens compliqués. Et les réservations hors saison. «Nous avons vacances», prévient ainsi l’ardoise sur la porte de l’ancien presbytère où le propriétaire hollandais achève les travaux pour pouvoir accueillir les journalistes. Tandis qu’un Mirage cercle dans le ciel. «Car même pour l’Armée de l’Air, le Pech est devenu une curiosité» lâche le maire. Et les autorités préfectorales veillent au grain. Cette semaine, elles contrôleront les abords du site.

{{«Allo ? La station Mir ?»}}

Le téléphone sonne. Jean-Pierre Delord décroche. «Allo ? La station Mir ?», dit la voix à l’autre bout. Rien de grave : un copain qui se moque….

«Bonjour, c’est NBC News…», commence l’appel suivant… «Pfff», lâche le maire en raccrochant. «Car moi, j’aimerais bien qu’on parle de ce qui est vraiment important, ici, où on a réussi à maintenir l’école maternelle et 10 exploitations pour une commune de 198 habitants et où l’on protège nos terres agricoles, car il faudra peut-être un jour renourrir les gens avec la production locale.» La faim d’un monde qui produit et se nourrit mal : le vrai sujet pour l’élu paysan.

Source :La Dépêche.fr le 16 décembre 2012 par Pierre Challier