Selon une prédiction maya, se trouver près du pic audois permettrait de rester en vie après le 21 décembre 2012. Sur ces confins de l’Aude, rien n’est d’aplomb ! A commencer par ce pic de Bugarach, baptisé “montagne inversée” parce que, sous la poussée phénoménale des Pyrénées naissantes, les couches géologiques ont fini cul par-dessus tête. Ainsi naquit le phare des Corbières, 1 231 m d’altitude et… sommet de “folitude”.

Oui, au pied de cette cime altière et crénelée, les têtes aussi sont parfois tourneboulées. Nul ici ne s’étonne de croiser des pèlerins en robe de bure, processionnant dans les champs et les bois, ou stationnant, par une belle nuit d’été, sur la route du col du Linas. « Un groupe était en méditation. J’ai dû attendre qu’ils finissent leurs simagrées pour poursuivre ma route », rapporte Gilbert Cros, premier adjoint de Bugarach, village éponyme blotti au pied de l’étrange montagne.

Certains illuminés tombent parfois la robe comme ce pénitent aperçu totalement nu, début décembre, par des randonneurs. Selon le maire, Jean-Pierre Delord, les élucubrations vont crescendo au fur et à mesure qu’approche la date fatidique de 21 décembre 2012… D’après un calendrier maya, ce jour marquera au pire la fin du monde et au mieux la naissance d’un monde nouveau. Pour échapper à l’une ou embarquer pour l’autre, il faudra ab-so-lu-ment se trouver le jour J à Bugarach. Mais gare aux embouteillages !

Agriculteur depuis 40 ans, après avoir été dessinateur industriel en région parisienne, Jean-Pierre Delord n’est pas homme à se laisser impressionner par la première prophétie venue. En revanche, en bon cartésien garant de l’ordre public, le premier magistrat juge la situation « inquiétante », et motive qu’il ait alerté les autorités. « Je commence à me demander ce qui va advenir à l’approche de 2012 quand je vois que des gens s’installent ou réservent déjà des hébergements. Sans compter que l’on commence à subir une spéculation foncière et immobilière ! » Sans rire, il interroge : « Faudra-t-il, comme dans le film Rencontre du troisième type, faire venir l’armée pour canaliser l’affluence ? »

Monsieur le maire ne se réfère pas à la légère au film de Spielberg, car internet regorge d’articles prétendant que le réalisateur américain s’est inspiré de Bugarach. Pourtant, il est aisé de vérifier que la montagne en question est Devil’s Tower, au Wyoming. Ce n’est qu’un des multiples fantasmes véhiculés auprès des amateurs d’ovnis et autres ufologues plus ou moins distingués.

Cette littérature prétend que la montagne chapeauterait un immense lac souterrain susceptible d’héberger des extraterrestres. Sont-ce les mêmes dont on attend la venue prochaine, à bord d’un immense vaisseau spatial auréolé d’un halo orange ? Mystère ! Sur telle vidéo, voici un ancien chercheur de la Nasa nous faisant écouter le ronflement des moteurs d’engins spatiaux captés par son magnétomètre à protons. « Ça fait un bruit de rotatives ! »

Pas de doute, Bugarach fait tourner les imprimeries. Là encore, internet égrène les publications aux titres alléchants où il est question de montagne sacrée, de secrets et mystères incroyables, et d’appels mystiques. Tout se mélange et se marie : mondes extraterrestres et souterrains, descendance du Christ, trésors des Cathares et des Templiers, présence des nazis, des services secrets israéliens, et même de François Mitterrand dont on dit qu’il fut plusieurs fois héliporté sur le pic…

« Bugarach, comme Rennes-le-Château tout proche, ont toujours attiré des farfelus en tous genres. Cela faisait partie du folklore. Mais avec internet et cette histoire de fin du monde, ça prend une ampleur incroyable », se désole l’adjoint Gilbert Cros. Le gérant de la Maison de la nature, un des principaux hébergeurs du coin, confirme le changement de clientèle : « Nous avions 70 % de randonneurs, maintenant c’est le même pourcentage d’amateurs d’ésotérisme. » « Cela nous colle une mauvaise image. Pourtant, nous avons bien d’autres choses à vendre : des paysages et produits du terroir », renchérit Gilbert Cros.

Cette mauvaise image découle aussi, selon le maire, d’un business actif : « Des coquins organisent des stages entre 500 et 800 € la semaine, soi-disant pour entrer en résonance avec la montagne. Pour ce prix, on vous présente un gourou, on vous fait processionner, on vous propose un baptême dans le lac et autres simulacres. Payable en espèces de préférence… »

Certaines de ces officines auraient pignon sur pic et dans les villages voisins. Mais la prudence semble régner et le journaliste de passage a finalement plus de chance d’entrer en contact avec un extraterrestre qu’avec un “marchand du temple”.

À quinze kilomètres à vol d’oiseau, sur l’éminence de Rennes-le-Château, le libraire Nicolas Miecret regarde le phénomène Bugarach avec fatalisme : « Nous sommes en présence d’un new age malsain dont la clientèle est ciblée. C’est un public de gens aisés qui ont rencontré un grave problème dans leur vie et qui s’accrochent au premier gourou venu. »

Oui mais alors, de quoi vont vivre les charlatans après le 21 décembre 2012 ? Jean-Pierre Delord a sa réponse : « Ne vous inquiétez pas ! Ils sont déjà en train de dire que ce pourrait être plutôt 2013. Ils préparent l’avenir de leur entreprise…

LE MIDI LIBRE / dimanche 19 décembre 2010

http://www.midilibre.com/articles/2010/12/19/ML-La-fin-du-monde-fait-monter-la-pression-a-Bugarach-1486809.php5