{{Les libertés fondamentales}}

Selon Philippe Bénéton dans «Les fers de l’opinion», la liberté se définit d’abord par opposition la contrainte. Si nous pouvons décider de notre mode de vie, de nos choix politiques et intellectuels, religieux, affectifs, sans y être obligés par une personne ou par une armée, nous disposons des libertés fondamentales.

La première liberté est relative au corps et à sa libre disposition. En démocratie on ne peut pas être emprisonnés – donc limités dans l’usage de notre corps – pour nos opinions, notre religion, notre appartenance politique. On ne peut non plus contraindre deux personnes à se marier contre leur gré, ou obliger quelqu’un par la force à choisir un travail contre sa volonté.

Cette première liberté se réfère donc au corps et à ce qui en découle, comme la liberté de mouvement, de vote (notre corps prend le bulletin qu’il choisit sans contrainte pour le glisser dans l’urne), d’appartenance religieuse (notre corps se rend dans le lieu de culte de notre choix), etc. La contrainte qui s’oppose à la liberté devra agir sur le corps pour que la liberté soit réellement empêchée.

Une remarque cependant, et de taille: disposer de notre corps selon notre choix et notre volonté n’est pas illimité. Il y a la limite du corps de l’autre. Disposant dans les sociétés occidentales des mêmes droits à l’existence, les corps se limitent mutuellement. C’est la règle.

{{Conditions de la liberté}}

Le meurtre, ou toute atteinte au corps de l’autre, est prohibés parce que manifestant une contrainte qui empêche la liberté. Celle de l’autre ou la nôtre: la liberté est Une. En démocratie libérale la liberté n’est réalisée en tant que condition de vie que si elle est réciproque.

La liberté des corps n’est pas subordonnée à un pouvoir mais à un contrat. Le contrat implique des droits et devoirs, et une réciprocité dans le respect des dispositions prévues. Le mariage, l’adhésion à un parti politique, un emploi, sont encadrés dans des règles établies par contrat, donc avec l’assentiment et l’accord des deux parties. Les contrats sont eux-mêmes garantis par des lois édictées par l’Etat de droit, c’est-à-dire une forme d’organisation politique où la justice est en principe la même pour tous. En principe car il peut y avoir de la corruption ou des privilèges abusifs. Corruption et privilèges sont les produits de la psychologie humaine. Les privilèges abusifs agissent comme des contraintes, puisqu’il augmentent les droits des corps des uns en limitant les droits des autres par la place supplémentaires qu’ils prennent dans la vie sociale. Toutefois les privilèges ne sont pas tous abusifs (on les appelle alors des droits, comme le droit à un salaire supérieur pour le même travail selon l’ancienneté), et on ne peut comparer notre démocratie, même imparfaite mais qui fonctionne, à des régimes totalitaires comme on en a connu au XXe siècle et avant. Malgré les imperfections la liberté reste un pilier de notre culture philosophique et politique.

Une autre condition de la liberté est aussi liée au corps: c’est la propriété. Que je sois propriétaire ou locataire de mon logement (le contrat de location me donnant des droits), les lois sur la propriété privée me garantissent une sécurité dans mon domicile. Personne ne peut venir me le prendre sans mon accord. De même les biens que j’acquiers par mon travail ne peuvent être saisis par vol ou par force. Mes biens sont le produit du travail de mon corps et toute atteinte comme le vol doit être considérée comme une atteinte au corps, bien qu’avec moins de gravité que dans le cas du meurtre.

La liberté est donc garantie par une matérialité, celle du corps, ou ayant un rapport au corps. L’empêchement à la liberté est une atteinte au corps. Sans contrainte corporelle ou liée au corps, pas d’empêchement à la liberté. Dans cette conception la contrainte psychologique ne peut exister que s’il y a un risque matériel: la menace de recours à la force ou de privation d’un élément légitime. Obtenir les faveurs affectives ou autres d’une personne en la menaçant de la priver de quelque chose qu’on lui doit est une contrainte matérialisée. Il y a un risque corporel ou de perte matérielle.

{{Et s’il n’y a pas de contrainte corporelle?}}

Dans certaines situations on parle de contraintes psychologiques. Par exemple en ce qui concerne l’engagement dans un mouvement sectaire. L’adepte serait mis dans l’obligation de suivre le groupe. On invoque alors un ensemble de mécanismes de domination-soumission qui rendraient l’adepte incapable de décider par lui-même, par peur d’être rejeté par exemple, ou par l’entraînement des autres adeptes.

S’il peut être difficile de résister à un groupe ou à une personne à laquelle on donne un pouvoir sur soi, il n’y a pas pour autant d’empêchement à la liberté s’il n’y a pas de contrainte ou de menace physique. Tout engagement sera considéré comme un choix personnel réfléchi et lucide. On part du principe que les individus sont autonomes affectivement et ne se mettent pas volontairement en dépendance de quelqu’un d’autre. Ils ne donnent pas de pouvoir à quelqu’un sur eux. Plus facile à dire qu’à faire? Et bien c’est ce vers quoi il faut tendre. Si l’on dédouanait chacun de ses choix, même erronés, même inspirés par une soumission qui n’a pas été contrainte matériellement, on encouragerait à l’irresponsabilité et l’on ne favoriserait pas une société libre et indépendante. La contrainte physique ou matérialisée, ou la menace ayant une incidence matérielle à laquelle nous ne pouvons nous soustraire, sont nécessaires pour parler d’empêchement à la liberté.

Judiciariser la vie dans tous les domaines, donner à l’instrument judiciaire un pouvoir pour régler à ma place ce qui est au fond de mon ressort, c’est m’empêcher de grandir et de trouver ma place sur Terre. C’est maintenir les individus et la société dans un état d’enfant dépendant du parent.

Considérer que l’on est manipulé par un groupe ou un gouvernement est d’une part encourager une vision paranoïaque du monde c’est ruiner notre libre disposition de nous-mêmes. D’autre part c’est déconsidérer notre capacité à dire non et à poser nos limites. Quoi qu’il nous en coûte nous devons considérer nos choix et notre pensée comme étant sous notre stricte responsabilité. Et donc, à nous d’anticiper, de réfléchir, et de ne pas aliéner notre pouvoir sur nous-mêmes.

Source : TRIBUNE DE GENEVE du 30 août 2011