MONTRÉAL — Québec doit se pencher sur les limites de la liberté de religion pour mettre un terme aux dérives qui, dans tout autre contexte, seraient illégales.

La porte-parole péquiste en matière de laïcité, Agnès Maltais, a lancé lundi une pétition pour réclamer une commission parlementaire sur les religions telles que les Témoins de Jéhovah ou l’Église de scientologie, dont certains éléments d’endoctrinement et des codes de vie sont, à son avis, préjudiciables à leurs membres.

 

«Les religions, même les sectes, peuvent exister», a-t-elle précisé, mais il est plus que temps, selon elle, «d’examiner la possibilité que, sous le couvert de la religion, des gestes illégaux puissent être posés».

«Jamais on n’a examiné le travail d’endoctrinement de ces sectes sous l’angle que nous proposons», a-t-elle fait valoir.

Prenant pour exemple la mort d’Éloïse Dupuis, cette femme de 27 ans, témoin de Jéhovah, décédée en octobre 2016 en donnant naissance à son enfant parce qu’elle refusait une transfusion sanguine, Agnès Maltais estime qu’il est temps de se pencher sur l’espace accordé aux religions qui se livrent à ce qu’elle qualifie de «dérive sectaire» au nom de la liberté de culte.

Devenir martyr ou perdre son paradis

La députée était accompagnée d’ex-membres de certaines de ces organisations et de proches, dont Manon Boyer, la tante d’Éloïse Dupuis, qui a dénoncé l’endoctrinement et les faussetés véhiculées au sein des Témoins de Jéhovah.

Elle a raconté que durant sa dernière semaine de vie, sa nièce «était littéralement séquestrée», entourée d’«anciens» (les dirigeants des Témoins de Jéhovah) dans sa chambre d’hôpital en tout temps qui «interdisaient l’accès aux non-témoins» et s’assuraient qu’elle «ne change surtout pas d’idée».

«On lui a mis de la pression jour après jour, lui faisant valoir qu’elle serait un modèle, un exemple, une martyre qu’on citerait dans les pages du « Réveillez-vous » (la revue des Témoins). On lui a rappelé que si elle acceptait du sang, elle serait rejetée, elle perdrait sa place au paradis.»

Agnès Maltais ne s’étonne pas de la réaction du ministre de la Santé dans ce dossier. «Ce que dit le docteur (Gaétan) Barrette, et je le comprends, c’est qu’il ne veut pas toucher au consentement libre et éclairé», dit-elle, mais son questionnement porte plutôt sur ce qui sous-tend la décision d’Éloïse Dupuis.

«Il faut questionner la valeur du consentement quand il y a un endoctrinement depuis la plus tendre enfance», fait valoir la députée, une réflexion que Manon Boyer, pour sa part, a déjà complété.

«Quelqu’un peut-il encore prétendre que le refus de ma nièce à des soins de santé était libre et éclairé?», lance-t-elle, ajoutant, rapport du coroner Luc Malouin à l’appui, qu’«avec une transfusion de sang, Éloïse serait avec nous aujourd’hui; avec une transfusion de sang, son fils aurait une mère».

Mme Boyer rappelle que sa nièce a passé 25 de ses 27 années de vie à subir l’influence des Témoins de Jéhovah, dont l’interdit de transfusions sanguines relève davantage de «la fraude intellectuelle» que de la religion.

Ainsi, elle a soutenu que les autorités des Témoins de Jéhovah mentent à leurs membres sur les risques d’infection liés aux transfusions «sur la base de fausses statistiques», prêtent aux substituts sanguins «des propriétés qu’ils n’ont pas», font croire aux fidèles «que les médecins sont manipulés par Satan» ou même «que la personnalité du donneur est transférée à la personne qui reçoit du sang».

Fraudes d’aînés et abus d’enfants

Agnès Maltais a par ailleurs fait valoir que le fait d’imposer des pressions sur des citoyens, notamment des personnes âgées, pour obtenir de l’argent est considéré comme une fraude en toute autre circonstance.

«Pourtant, des groupes à dérive sectaire font des pressions auprès de personnes de tous âges pour qu’elles donnent des fonds, déplore-t-elle. Est-ce qu’on peut examiner à quelle limite ça devient de l’extorsion?»

Elle a aussi rappelé la triste saga de la secte Lev Tahor, dont les pratiques avaient amené les autorités de protection de la jeunesse du Québec et de l’Ontario à émettre des ordonnances pour leur retirer la garde des enfants, un échec retentissant alors que les membres de la secte avaient eu le temps de fuir à chaque occasion en raison des hésitations des autorités à intervenir auprès d’un groupe religieux.

«Lev Tahor, je l’ai encore sur le coeur, a laissé tomber Mme Maltais. On a laissé partir des enfants — ils se sont sauvés en Ontario et ensuite en Amérique centrale — des enfants qui auraient dû être protégés par la Direction de la protection de la jeunesse.»

L’obsession du respect des croyances

Bien consciente du droit à la liberté de religion inscrit aux chartes, la députée de Taschereau ne propose pas d’interdire quelque religion que ce soit, mais elle veut que le législateur se penche sérieusement sur les moyens d’intervenir en matière de protection des enfants, de protection des aînés et de défense du droit à l’intégrité physique des personnes au sein de ces communautés fermées.

Elle estime également que le gouvernement a la responsabilité d’organiser un soutien pour les personnes qui cherchent à quitter ces organisations et de leur assurer un accès à la justice, souvent nécessaire.

«Ce sont des vies gâchées et ce sont plusieurs années à essayer de se réintégrer en société», a fait valoir de son côté Michel Laflèche-Francoeur, un ex-membre de la Mission de l’Esprit-Saint et de l’Église de scientologie.

Manon Boyer n’a toutefois pas caché un certain scepticisme face au gouvernement Couillard qui a, selon elle, «une obsession du respect absolu des croyances religieuses quelles qu’elles soient».

Agnès Maltais a fait écho à ce sentiment en commentant la réaction du premier ministre Philippe Couillard au décès d’Éloïse Dupuis: «La réponse de M. Couillard, c’est comme tout ce qui touche à la liberté de religion, c’est devenu un concept tellement sacré qu’on ne peut plus questionner ce que, parfois, cela recouvre.»