Le Devoir

Brian Myles

À l’image de la société civile, les juges sont divisés sur la question

La Cour suprême remet les pendules à l’heure en matière d’accommodements raisonnables. La poursuite du bien commun a préséance sur la satisfaction des mille et une croyances individuelles dans les affaires de l’État.

La Cour suprême a mis un frein aux demandes d’accommodements raisonnables pour des motifs religieux, hier, dans une décision partagée touchant la colonie huttérite de l’Alberta, en reconnaissant à l’État le droit de légiférer pour le bien commun, sans nécessairement respecter toutes les croyances individuelles.

Déchirée à quatre voix contre trois, la plus haute cour du pays a débouté les huttérites, qui ne pourront plus obtenir de permis de conduire sans photographie à l’avenir. Il en va de l’intégrité du système de délivrance des permis de l’Alberta, estime le tribunal.

La décision a son importance, car elle réaffirme la latitude du législateur dans l’élaboration des lois, malgré le «véritable défi» que pose «la portée étendue de la liberté de religion garantie par la Charte». Le fait de donner suite à chacune des revendications religieuses «pourrait nuire gravement à l’universalité de nombreux programmes […] au détriment de l’ensemble de la population», estime la Cour suprême. C’est donc aux élus que doivent revenir ces choix «difficiles» liés à la gouvernance. «Certains de ces choix peuvent empiéter sur les droits constitutionnels», précise le tribunal dans cette affaire.

Depuis 2003, l’Alberta impose des permis avec photo à tous les conducteurs de la province. Versées dans une base de données provinciale, les photos sont utilisées avec un logiciel de reconnaissance faciale, afin de réduire principalement les risques de vol d’identité et de fraude. Il s’agit d’un objectif «réel et urgent, susceptible de justifier des restrictions aux droits», estiment les quatre juges majoritaires.

Pendant 29 ans, les huttérites et d’autres groupes religieux avaient bénéficié de permis spéciaux sans photo, une pratique d’accommodement raisonnable avant l’heure. En se basant sur le deuxième commandement et le livre de l’Exode (20:4), les huttérites refusent en effet de se faire prendre en photo, une pratique qu’ils assimilent à l’idolâtrie. Environ 250 d’entre eux détenaient des permis spéciaux avant la réforme de 2003.

Fondée en 1528 dans l’actuelle République tchèque par Jacob Hutter, la secte des huttérites prône l’observance des enseignements des premiers Chrétiens, une séparation nette entre l’Église et l’État, un mode de vie rural et communautaire et la propriété collective des biens. Impliqués massivement dans l’agriculture, les huttérites aspirent à l’autosuffisance, mais ils entretiennent des relations commerciales avec le monde extérieur, d’où l’importance du permis de conduire pour leurs déplacements.

Selon les trois juges dissidents, la prise de photo obligatoire constitue «une forme de coercition indirecte» dans la mesure où les huttérites seront maintenant forcés de choisir entre le respect de leurs croyances religieuses ou la renonciation à l’autosuffisance de leur communauté. Les juges majoritaires croient au contraire que les huttérites pourront recourir à un service de transport privé, le cas échéant.

La Cour suprême rejette la logique des accommodements raisonnables lorsqu’il est question des lois et règlements édictés par le Parlement. Le fameux test de l’arrêt Oakes doit primer. Une loi empiétant sur un droit fondamental sera valide si elle poursuit un objectif réel et urgent, si l’atteinte au droit en question est minimale et si les effets bénéfiques de la mesure l’emportent sur ses effets préjudiciables.

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