Avant sa mort, l’artiste s’était soumis à plusieurs traitements naturels pour se « détoxifier » de sa trithérapie. Sa famille croit que ces traitements alternatifs ont donné à Bernard Lachance, séropositif, de faux espoirs, et que ses mentors conspirationnistes l’ont influencé dans son rejet de la médecine conventionnelle.

Bernard Lachance disait ne pas croire à la mort.

Dans une vidéo enregistrée sur son téléphone onze jours avant son décès, le chanteur de 46 ans se confie à son ami, un dénommé Hugues Holleville.

J’ai des problèmes de digestion, le corps ne garde rien, j’ai vomi une pomme. Sur l’écran, Bernard Lachance est squelettique, les yeux fiévreux et la mine terreuse. Il implore son ami de l’aider. On doit se parler, mon Hugues, Bernard est en train de mourir. Oh non, la mort, elle n’existe pas. Reviens-moi Hugues, il faut que tu me sauves ma vie.

L’ex-conjoint de Bernard Lachance, qui habitait toujours avec ce dernier, mais qui ne partageait pas ses idées complotistes et qui a demandé de ne pas être identifié par peur de représailles, explique que Hugues Holleville était plus qu’un ami : basé à Paris, il est un ancien médecin et offrait des conseils de santé à Bernard.

En réponse à la détresse de Bernard Lachance, Hugues Holleville lui recommande une consommation quotidienne de deux à trois litres d’eau salée, avec l’assurance que ce protocole va rétablir son système digestif en quelques jours. Mais Bernard Lachance ne s’est jamais rétabli : il est plutôt décédé moins de deux semaines plus tard.

Dans un document obtenu par Enquête, Hugues Holleville prétend qu’une préparation d’eau salée, qu’il appelle le plasma marin, peut servir à traiter toutes les guérisons immunitaires y compris les tumeurs […] les insuffisances organiques (respiratoires, rénales, hépatiques, etc.) et même les troubles psychiatriques, y compris l’autisme.

Le Collège des médecins n’a pas voulu commenter ce cas spécifique, mais souligne que ce genre de traitement n’a pas de bases scientifiques. Les problèmes de santé énumérés sont très complexes et les patients doivent agir avec une grande prudence à l’endroit des traitements qui leur sont proposés, écrit la porte-parole Leslie Labranche. Le Collège invite les patients à se méfier des traitements miracles et surtout à se questionner sur la formation et les compétences d’un individu avant d’avoir recours à ses traitements.

Sur son site web, où il dit viser l’autonomie santé par l’approche vibratoire du vivant, Hugues Holleville offre des formations payantes ainsi que des forfaits de soins et de coaching pouvant coûter plusieurs centaines d’euros. Il prétend entre autres que les virus n’existent pas et qu’il faut devenir magnétique pour mieux gérer sa vie dans la matrice.

En réponse aux questions d’Enquête, Hugues Holleville affirme que Bernard Lachance était un ami et non un patient, et qu’il ne lui avait pas prodigué de soins rémunérés. Il a attendu trois mois et d’avoir perdu énormément de poids avant de me contacter, environ une semaine avant la fin, je ne lui ai pas prodigué de soins, seulement des conseils relevant du bon sens, en constatant son état avancé de dénutrition.

Il ajoute que Bernard Lachance n’aurait jamais consenti à une hospitalisation, quel que soit mon avis.

L’ex-médecin, qui signe ses courriels Docteur Holleville, dit avoir été volontairement radié du Conseil de l’ordre des médecins de France, en 2019 : J’ai renoncé à la “licence de tuer” en toute légalité de cette médecine officielle, soutenue par les Big Pharma.

Un porte-parole du Conseil national de l’Ordre des médecins nous confirme que M. Holleville a bel et bien demandé sa désinscription, et que ce dernier n’a désormais plus le droit de se prévaloir de son titre de docteur ni de prendre en charge des patients. Son activité semble bien constituer un exercice illégal de la médecine, explique le porte-parole, précisant que ce type d’infraction est passible de deux ans d’emprisonnement et d’une amende allant jusqu’à 30 000 euros.

Soif de gloire

Bernard Lachance était un homme exubérant qui adorait chanter et divertir, selon sa famille.

C’était une personne intense, dans tous les sens du terme, quelqu’un qui aimait rire, qui était drôle, se remémore sa sœur aînée, Lise Lachance. Il aimait foncer, puis aller au bout de ses projets.

Sa sœur cadette, Marie-Claude Lachance, décrit un « gars de famille ». Il nous avait pris en photo avec une pancarte qui disait “C’est ma fête!”, se souvient-elle. Puis après, il nous arrivait avec un calendrier de l’année avec nos faces sur la date de nos fêtes pour qu’on pense à appeler tout le monde.

Mais le chanteur aura passé toute sa vie à pourchasser des rêves inatteignables. Il n’était pas capable de commencer en bas de l’échelle, il visait le haut de l’échelle, raconte Marie-Claude.

C’est le haut de l’échelle qu’il a atteint en 2009, quand ses efforts et sa voix lui ont valu une prestation devant un public international à l’émission d’Oprah Winfrey. Ce succès avait été de courte durée, et Bernard Lachance, qui n’a jamais réussi à faire carrière de sa musique, était tombé de haut.

Après sa carrière de chanteur, il a essayé d’être producteur, ça n’a pas marché, après il a essayé d’être animateur, ça n’a pas marché. Il a même appelé Ginette Reno, il voulait la produire.

Une citation de : Lise Lachance

Le diagnostic de séropositivité, il y a une douzaine d’années, a été comme un coup de massue, selon la famille. Bouleversé par les événements, Bernard avait cherché à se stabiliser en se rabattant sur l’élevage de chiens, une entreprise avec laquelle il avait eu énormément de succès. Pourtant, ce destin ne semblait pas le satisfaire : On ne comprend pas pourquoi il n’était pas heureux dans cette vie-là, confie Marie-Claude.

C’est avec les complots que Bernard aurait choisi de nourrir son mal de vivre. Un moment donné, je ne sais pas comment, il a vu une histoire de complot de génocide d’homosexuels, de sida et toute la patente, et il a sauté là-dedans à deux pieds, dit Marie-Claude. Il a fait des recherches, et dans sa tête, c’était vrai, c’était la vérité!

Bernard Lachance s’est mis à nier l’existence d’un lien entre le VIH et le sida, et par conséquent, à douter de son propre diagnostic. En juillet 2017, il a décidé d’abandonner sa trithérapie, ce protocole pharmaceutique qui augmente considérablement l’espérance de vie des personnes séropositives.

Pendant la pandémie de COVID-19, Bernard Lachance s’est mis à partager publiquement ses théories erronées.

Les croyances conspirationnistes qui prétendent que le coronavirus est une fausse pandémie orchestrée pour enrichir Big Pharma s’arrimaient parfaitement à sa position sur le sida. Du jour au lendemain, Bernard Lachance était populaire : il parcourait le circuit des chaînes YouTube complotistes et négationnistes, et était applaudi sur scène lors de manifestations contre les mesures sanitaires.

Il a été influenceur. Avant qu’il soit décédé, je voyais le conspirationniste. Quand il est décédé, j’ai vu la victime.

Une citation de :Lise Lachance, sœur de Bernard

Une radicalisation graduelle

Ça a commencé tranquillement, tout ça, raconte Marie-Claude Lachance. Elle explique que Bernard avait commencé à s’intéresser aux enjeux de santé liés à la consommation du lait et du sucre, développant une méfiance qui l’a mené vers les théories du complot. Après ça, c’était les vaccins et les chemtrails. Il a dit à mes enfants : “Regardez les avions, ils sont en train de nous empoisonner!”

C’est environ à cette époque, en 2017, que Bernard Lachance a découvert la Québécoise Guylaine Lanctôt – anciennement Ghislaine Lanctôt – médecin déchue qui avait fait les manchettes en 2009 à cause de son opposition au vaccin H1N1. En 2008, elle a été incarcérée pendant deux mois pour avoir refusé de payer ses impôts, un geste qui s’inscrit dans la mouvance de citoyenne souveraine, une philosophie anti-gouvernement qui encourage ses adeptes à se soustraire du système financier et de faire fi des lois.

Guylaine Lanctôt, ou Diesse Ghis, comme l’appellent ses adeptes, est très connue dans les cercles conspirationnistes québécois. Elle prétend entre autres que le VIH a été créé en laboratoire. Est-ce qu’il y en a encore qui croient que le sida est contagieux? demande-t-elle dans une vidéo filmée en 2014. C’est la plus grande imposture du siècle, le plus grand crime contre l’humanité après les vaccins.

Enquête a pu consulter les courriels de Bernard Lachance, qui révèlent une première mention d’une vidéo de Guylaine Lanctôt en mai 2017, soit quelques mois avant que l’homme séropositif ne cesse sa trithérapie. Puis ils ont multiplié les contacts.

Mais Guis (sic), je suis confus maintenant. Je croyais que l’escroquerie du SIDA était de faux test, pas un virus créé, lui écrivait Bernard Lachance le 7 septembre 2017, en réponse à un document que Lanctôt lui avait envoyé.

Si je comprends l’article, la maladie a été créée et donc est là?, lui demande-t-il, en élaborant sur une conspiration qui prétend que le VIH lui aurait été injecté par l’entremise d’un vaccin contre l’hépatite B. Effectivement je me suis fait avoir… mais j’ai besoin de la médication?!

Guylaine Lanctôt lui répond en citant son livre, un controversé tome intitulé La Mafia Médicale. Le Sida n’est pas une maladie, mais un syndrome (signes et symptômes) que l’on rencontre dans de nombreuses maladies. Tu as toutes les informations en main.

Son ex-conjoint nous confirme qu’au fil des années, Bernard a assisté à divers ateliers offerts par Guylaine Lanctôt, des conférences moyennant plusieurs centaines de dollars. C’est d’ailleurs lors de ces réunions qu’il se serait lié d’amitié avec Hugues Holleville.

Si les proches de Bernard Lachance se préoccupent maintenant de la relation qu’il entretenait avec Guylaine Lanctôt, c’est qu’ils croient que cette dernière est une des influences qui a fait basculer sa vie. C’est également une des dernières personnes avec qui il a parlé de son vivant.

La soirée avant sa mort, Bernard Lachance a passé 24 minutes au téléphone avec Guylaine Lanctôt. L’ex-conjoint était présent lors de cette conversation, et raconte que l’ex-médecin aurait conseillé à Bernard d’appeler un de ses contacts, une ancienne infirmière, qui est venue chez lui pour lui administrer un soluté par voie intraveineuse.

Malgré cette intervention, Bernard Lachance est décédé moins de 12 heures plus tard.

« J’ai essayé de le convaincre d’aller à l’hôpital »

Le médecin Michel Martel, ami de longue date de Bernard Lachance, était allé lui rendre visite environ une semaine avant son décès. Je l’ai trouvé cachectique, c’est-à-dire très très maigre. Lorsqu’il marchait du salon à la cuisine, on voyait qu’il était affaibli, sa démarche n’était pas super stable. Bernard lui a confié souffrir de diarrhée chronique et Michel Martel estime qu’il avait perdu environ 60 livres.

Il dit avoir conclu que Bernard était rendu au stade du sida, mais que ce dernier ne voulait rien entendre. J’ai essayé de le convaincre d’aller à l’hôpital, dit-il. Je lui ai fait comprendre – mais il le savait – qu’il était vraiment très malade et qu’il ne pouvait pas rester comme ça à attendre à la maison. Il disait qu’il faisait des traitements naturels, des poudres avec électrolytes et tout ça.

Dr Michel Martel, tout comme l’ex-conjoint de Bernard, a respecté la volonté qu’avait ce dernier de ne pas aller à l’hôpital. Il se désole cependant du manque de vigilance des gens à qui Bernard avait confié sa santé.

Il dit avoir tenté de convaincre Bernard que le protocole d’eau salé d’Hugues Holleville était inefficace. Il m’a dit : “Non, ce n’est pas vrai, tu as tort. Hugues m’a dit que j’étais pour guérir”, raconte Michel Martel. Moi, j’appelle ça un charlatan pur et simple. Je trouve qu’il n’avait pas la compétence pour juger de l’état de cette personne-là et lui donner des traitements, alors que cette personne avait besoin de soins beaucoup plus avancés que ce qu’il pouvait donner.

C’est à Guylaine Lanctôt que Michel Martel réserve ses paroles les plus sévères. [Bernard] était mourant de façon évidente, affirme-t-il. Elle l’a très mal conseillé, et elle était médecin, donc si elle n’a pas vu ça malgré sa formation, je ne comprends pas.

Les courriels consultés démontrent que Guylaine Lanctôt avait approché d’autres personnes pour les soins de Bernard. Dans un courriel envoyé le 30 avril, elle le met en contact avec une amie en Europe, qui se serait guérie de plusieurs cancers. Son mari est médecin recyclé, maintenant en médecine de Hamer, écrit-elle, une référence à la Biologie totale ou Médecine nouvelle germanique, pratique controversée qui prétend qu’il est possible de se guérir par la pensée.

Michel Martel souligne qu’en conseillant un soluté à Bernard, Guylaine Lanctôt aurait potentiellement enfreint la loi : la prescription d’un tel produit est un acte médical réservé à ceux qui détiennent les certifications requises.

Une porte-parole du Collège des médecins n’a pas voulu commenter ce cas spécifique, mais confirme les propos de Michel Martel. Une personne qui n’est pas un médecin et qui recommande à une autre personne la pose d’un soluté peut s’exposer à faire l’objet d’une enquête par le Collège pour exercice illégal de la médecine, rapporte Leslie Labranche.

D’après nos vérifications, la femme venue administrer le soluté n’aurait pas non plus eu le droit de poser ce geste : elle n’est pas inscrite à l’Ordre des infirmières et infirmiers du Québec, ni à l’Ordre des infirmières et infirmiers auxiliaires.

Selon Leslie Labranche, ce genre d’action pourrait également mener à des sanctions. Une personne qui administre un soluté, alors qu’elle n’est pas autorisée ou n’ayant pas la compétence pour le faire, peut aussi s’exposer à une telle enquête (utiliser une technique dont les traitements sont invasifs/utiliser une technique dont les traitements présentent des risques de préjudice).

Ni Mme Lanctôt ni l’ex-infirmière n’ont donné suite à nos appels. Selon nos informations, des enquêteurs de la Sûreté du Québec ont souhaité les rencontrer pour obtenir leur version des faits.

Michel Martel ne croit pas que ce soit ce soluté qui ait causé la mort de Bernard Lachance. Mais il se désole qu’aucun des intervenants sur qui Bernard comptait ne semble lui avoir conseillé d’aller à l’hôpital. Un enfant de 12 ans qui l’aurait vu lui aurait dit d’aller à l’hôpital, n’importe qui pouvait le voir.

Le médecin jette le plus gros du blâme sur Bernard Lachance lui-même. C’était sa décision quelque part aussi, il a décidé d’écouter ces gens-là.

Des milliers de dollars en produits naturels

Si Bernard Lachance avait choisi de se détoxifier à l’aide de différents régimes naturels, c’est que son réseau conspirationniste ainsi que les sources qu’il consultait l’avaient amené à croire qu’il s’agissait d’un mal nécessaire pour se purger de sa trithérapie, qu’il avait pourtant cessée il y a près de quatre ans.

Son ex-conjoint nous a expliqué que Bernard avait dépensé des milliers de dollars sur des produits naturels, dont des laxatifs et des suppléments diététiques qui lui avaient été recommandés. Dans ses dernières semaines, il se nourrissait presque exclusivement de ces produits, convaincu qu’ils l’aideraient à se purifier.

Ce qui est pathétique dans cette histoire-là, c’est que Bernard a toujours dit qu’il ne voulait pas enrichir les compagnies pharmaceutiques, dit Marie-Claude Lachance. Mais il s’est reviré vers les produits naturels, et ces produits coûtent une fortune, il en avait pour des milliers de dollars.

Selon la famille, une grande partie de ces suppléments lui auraient été recommandés par Amélie Paul, une chanteuse et youtubeuse qui est devenue très populaire pour ses prises de position contre les mesures sanitaires de la COVID. Elle anime d’ailleurs une série de vidéos avec Guylaine Lanctôt, des capsules qui décortiquent les croyances de Diesse Ghis.

Bien qu’Amélie Paul se dise naturopathe, son nom n’apparaît dans aucun des bottins des associations professionnelles liées à ce milieu.

Enquête a pu consulter les messages textes et audio échangés entre Amélie Paul et Bernard Lachance, qui démontrent une très grande complicité. La youtubeuse lui confie notamment que, pendant la pandémie, elle a fait plus d’argent en quatre mois que son salaire total de l’année précédente, grâce aux dons obtenus sur des plateformes de sociofinancement et la Prestation canadienne de la relance économique (PCRE, l’aide financière liée à la COVID) qu’elle dit avoir récoltée.

My God, je ne devrais pas te dire ça, ça laisse des traces, dit-elle dans un message vocal où elle se vante d’avoir exploité la faille jusqu’à la fin. Là, je te dis les vrais chiffres, mais moi j’ai un bon comptable assez borderline, faque il va m’arranger de quoi, parce que ce n’est pas déclaré, moi, c’est des dons.

Au-delà de cette amitié, Amélie Paul offrait aussi des conseils de santé à Bernard Lachance : elle lui conseillait des suppléments et des aliments, et lui donnait son avis sur ses symptômes.

Langue blanche = détox! lui écrivait-elle le 20 avril. Cesse de t’inquiéter. Tout est parfait. Ton corps ne va pas se laisser mourir, il va te le dire quand ça sera le temps de manger plus.

Selon l’ex-conjoint, Amélie Paul lui avait également conseillé d’acheter pour plusieurs milliers de dollars des suppléments naturels, dont plusieurs produits de la marque Immunotec qui se vendent pour au-delà de 100 $ la boîte sur le site de l’entreprise. Sur place, notre équipe a constaté la présence d’une panoplie de sachets et de bouteilles de ces produits, ainsi qu’une foule d’autres vitamines et poudres.

Nous avons également confirmé qu’Amélie Paul est représentante de vente pour Immunotec. La youtubeuse n’a pas donné suite à nos questions, qui cherchaient à savoir si elle avait tiré profit des produits achetés par Bernard Lachance, entre autres, mais selon le modèle d’affaires décrit sur le site de la compagnie, les vendeurs touchent une commission.

Immunotec n’a pas non plus répondu à nos questions concernant les ventes d’Amélie Paul, pour des raisons de confidentialité. Ils précisent cependant que la compagnie n’offre aucun conseil médical et que leurs consultants ne sont pas des employés. Ces propriétaires indépendants sont formés pour s’en tenir aux recommandations approuvées par Santé Canada, écrit un porte-parole.

Le 24 avril, un peu plus de deux semaines avant le décès de Bernard Lachance et alors que ce dernier peinait à manger, Amélie Paul lui conseille de la chloro et de l’aloès à mixer avec un laxatif. Entk tu fais tout un nettoyage de ton ancienne vie.

Le 30 avril, quand Bernard Lachance lui annonce qu’il ne pèse que 114 livres, Amélie Paul lui répond avec un message audio enjoué. 114?? Putain, t’es plus maigre que moi!

Le Collège des médecins n’a pas voulu commenter ce cas spécifique, mais se dit préoccupé et souligne qu’au Québec, un naturopathe ne peut ni déterminer un plan de traitement ni prescrire des traitements pour un problème de santé, car ces actes sont des activités réservées en vertu des lois professionnelles.

Après le décès de Bernard Lachance, Amélie Paul s’est brièvement retirée des réseaux sociaux, affirmant avoir besoin de vivre son deuil. J’ai subi beaucoup de haine et d’intimidation sur Facebook comme quoi j’avais du sang sur les mains, que j’étais une meurtrière et que c’est de ma faute si Bernard est décédé, a-t-elle écrit sur sa page Facebook.

Dans une vidéo en direct diffusée le 27 mai, elle affirme avoir reçu des demandes de journalistes auxquelles elle ne compte pas répondre.

Étant pas capable de m’expliquer clairement, je sens que je me ferais démolir, dit-elle. Vous voulez dire que c’est ma faute que Bernard ne prenait pas ses pilules? Ça faisait quatre ans qu’il ne les prenait plus, et il était assez grand pour décider par lui-même. Donc, le bon dieu en personne aurait dit à Bernard de prendre ses pilules il ne les aurait pas pris, ok?

« Si Bernard avait pris son traitement, il serait encore ici »

À la suite du décès de Bernard Lachance, les réseaux complotistes ont fait circuler une rumeur prétendant que le chanteur avait été assassiné par Big Pharma à cause de sa prise de position.

Ghis Lanctôt a fait écho à ces propos conspirationnistes lors d’une vidéo filmée le 27 mai avec Jean-Jacques Crèvecoeur, célèbre militant anti-vaccin qui s’est déjà vanté d’avoir convaincu des hommes séropositifs de cesser leur trithérapie.

Je l’ai connu il y a quelques années, il m’avait découverte par une vidéo et il s’est adressé à moi, et donc je l’ai suivi, pas suivi comme tel, je l’ai vu évoluer dans cette décision de dire, d’exposer l’imposture du VIH égal sida, explique Guylaine Lanctôt de Bernard Lachance. Au début il était tellement en colère, je lui ai dit : “Tu ne peux pas faire ça comme ça, tu vas te faire tuer”

Elle ajoute que sa mort n’est pas étonnante, et que Bernard connaissait les risques. On va dire que c’est suspect, la manière dont il est mort, dit Jean-Jacques Crèvecoeur. Oui oui, répond Guylaine Lanctôt. Il était en grande forme et en trois mois il a dégringolé à toute vitesse.

Sa famille croit que ce sont plutôt ses croyances conspirationnistes qui auront eu raison de lui, en le convainquant de cesser sa trithérapie, de boycotter l’hôpital et de faire confiance à des traitements alternatifs.

Il a fait des purges pour se nettoyer, puis il s’est mis à se déshydrater, au point de n’avoir, il n’avait que la peau et les os à la fin, se désole Lise Lachance. Il y a demandé, il a crié à l’aide à ces gens qui l’aidaient et de cette gang-là personne ne lui a dit d’aller à l’hôpital, évidemment.

Le Dr Réjean Thomas juge que les soins reçus par Bernard Lachance avant son décès sont totalement inacceptables : Est-ce que ces gens-là croient tellement à leurs traitements? Ils l’ont vu mourir, ils l’ont vu dépérir, et de continuer, de purger des gens et de faire boire de l’eau salée et des choses comme ça. C’est ce qui est difficile à croire, à comprendre pour nous, c’est pourquoi il continuait, il devait voir que ça n’allait pas bien.

Il souligne que l’espérance de vie d’une personne VIH est aujourd’hui presque la même qu’une personne non-VIH, grâce à la trithérapie : Si Bernard avait pris son traitement, il serait encore ici.

Un double deuil

Pour les proches de Bernard Lachance, le deuil de l’ancien Bernard a commencé il y a des années. Tout le monde s’était éloigné de lui, toute la famille, tous ses amis proches, se désole Marie-Claude Lachance. Vivre avec un conspirationniste comme ça, c’est insoutenable.

Michel Martel avoue qu’il avait lui aussi dû cesser de voir son ami, qui parlait incessamment de ce prétendu complot du sida. Pour lui, ce n’était pas juste une croyance, c’était son mode de vie, c’était devenu sa motivation de vie, dit-il. Je m’ennuyais de mon ami Bernard que j’avais connu avant, avec qui on allait manger, qui prenait un verre, qui était drôle, qui avait un sens d’autodérision, un sens de l’humour, qui était intelligent dans ses propos.

Marie-Claude Lachance est convaincue que Bernard est tombé sous le sort des mauvaises personnes. Il se nourrissait de fausses informations, j’ai la certitude que Bernard s’est fait manipuler, explique-t-elle. Il a voulu répandre la bonne nouvelle, il voulait sauver les gais du gros complot VIH-sida.

L’idée que son frère aurait convaincu d’autres personnes séropositives de cesser leur trithérapie bouleverse Lise Lachance. Bernard, c’est un gars très charismatique, dit-elle. Et quand il croit à quelque chose, il est très convaincant.

L’influence de Bernard sur la communauté séropositive est bien réelle, confirme le Dr Réjean Thomas. Les vidéos publiées sur la chaîne YouTube du chanteur cumulent des centaines de milliers de visionnements et, selon le médecin, elles auraient convaincu plusieurs personnes ici et en France de cesser leur trithérapie.

Cependant, il croit que la mort du chanteur sera tout aussi influente : Le lendemain de son décès, plusieurs personnes ont téléphoné pour nous dire qu’ils avaient arrêté la trithérapie et qu’ils allaient la reprendre, dit-il.

Le coroner Pierre Bélisle confirme que la mort de Bernard Lachance fait l’objet d’une enquête du coroner, mais que les conclusions ne sont pas attendues avant plusieurs mois.

source :

Radio-Canada

SIGNÉ PAR BRIGITTE NOËL ET EMMANUEL MARCHAND

LE 2 JUIN 2021

https://ici.radio-canada.ca/recit-numerique/2523/bernard-lachance-conspirationniste