Le ministre de l’Éducation Yves Bolduc a déclaré qu’il allait sévir à l’endroit des écoles juives hassidiques illégales. Mais mettre au pas les établissements qui ne respectent la loi depuis des années, une tâche de laquelle ses prédécesseurs ont eu du mal à s’acquitter, ne sera pas chose simple.
« M. Bolduc va peut-être vouloir s’occuper d’une ou deux écoles qui ne sont pas aux normes, mais il ne pourra pas [faire beaucoup plus]. Tu ne fermes pas une école 24 heures après avoir vu un reportage sur un couple qui a inventé une histoire pour se protéger », a dit Alex Werzberger, qui préside la Coalition des organisations hassidiques d’Outremont (COHO). Il réagit à un reportage de Radio-Canada dans laquelle une famille juive hassidique, qui a déserté la communauté Tosh de Boisbriand, reproche au gouvernement québécois de ne pas en faire assez pour scolariser les enfants de cette communauté religieuse.
Visiblement furieux, M. Werzberger a défendu les gens de sa communauté. Selon lui, les cas d’écoles qui opèrent sans permis se comptent sur les doigts d’une seule main et leur sort sera décidé en cour puisque le gouvernement les poursuit. Mais les autres écoles de la communauté oeuvrent en toute légalité. « La plupart de nos écoles ont un permis. […] Je n’aime pas qu’on dise qu’on fait des choses illégales. Ce sont les bandits qui font [de telles] choses », a dit M. Werzberger.
Programme non respecté
Année après année, les rapports des inspecteurs de la Commission consultative de l’enseignement privé soulignent pourtant les problèmes de ces écoles juives orthodoxes qui, même en étant subventionnées, embauchent des enseignants sans brevet, ne respectent pas le programme de formation de l’école québécoise ou le régime pédagogique. M. Werzberger reconnaît que les écoles ne respectent pas à 100 % la loi, mais rappelle qu’il y a eu beaucoup d’efforts faits, à la demande du ministère. « Beaucoup de choses sont en négociation avec le ministère et il y a encore des choses à peaufiner. Je ne dis pas qu’elles sont complètement en règle », a-t-il admis.
Ses deux filles parlent français et ont eu les cours prescrits par la loi, insiste-t-il. Et la science ? « Il y a certaines choses sur lesquelles on a notre mot à dire. »M. Werzberger croit qu’en démocratie, on doit respecter les divers points de vue. « Si dans les écoles laïques on dit que l’homme est descendant du singe, c’est leur privilège. Mais tu ne peux pas forcer personne. […] Nous, on ne pense pas ça. »
La peur de l’antisémitisme
Dans sa colère, M. Werzberger est même allé jusqu’à remettre en question les raisons invoquées par la famille qui a quitté Boisbriand. Selon l’homme qui prétend bien connaître les membres du couple, ce n’est pas le manque d’éducation qui était en cause, mais d’autres problèmes internes.
Pourtant, le couple est sans équivoque dans le reportage télévisé : la communauté Tosh veut volontairement maintenir les gens dans l’ignorance. Et si Québec n’agit pas parce qu’il a peur d’être taxé d’antisémitisme, ça a l’effet contraire, dit le père de famille qui scolarise maintenant ses enfants à l’école des Cinq-Continents à la CSDM.« L’antisémitisme, d’après moi, c’est de ne pas aider les enfants juifs. »
Sandrine Malarde, qui a fait son mémoire de maîtrise à l’Université de Montréal sur la désaffiliation religieuse chez les communautés juives orthodoxes, explique qu’il faut beaucoup de courage pour quitter les communautés juives hassidiques. Sur les plans psychologique et émotionnel, d’une part, parce que cela signifie souvent tout laisser et trahir les siens : sa famille, ses enfants, ses amis. Ensuite, parce qu’il faut tout recommencer à zéro. « Quand ils sortent, ils ne connaissent personne. Ils doivent se remettre à niveau en éducation pour pouvoir trouver un travail, et parfois, ils ne parlent pas français. Ils sont très peu outillés pour fonctionner dans la société dont ils ne connaissent pas les codes », a indiqué la sociologue.
Elle a remarqué que leur principale motivation à délaisser leur communauté religieuse était souvent le désir d’individualité. « C’est l’envie de vivre pour soi-même. Dans la communauté, ils se sentent trop brimés dans leur curiosité intellectuelle. »
Fin aux subventions
Réagissant au reportage, le ministre Bolduc a assuré qu’il était prêt à couper les subventions aux écoles qui ne donnent pas les matières obligatoires. « Elles sont illégales. Nous devons les fermer. C’est aussi simple que ça », a-t-il déclaré à l’entrée du Conseil des ministres. « C’est une chose de couper les subventions, mais après, si les écoles continuent sans être subventionnées, ça pose un autre problème », constate pour sa part Mme Malarde.
Selon elle, fermer une école du jour au lendemain ne réglera pas tout. « Ce n’est pas forcément automatique que les parents vont inscrire leurs enfants au public. La religion, c’est ce qui régit l’organisation sociale de la communauté et c’est fort », dit-elle en précisant toutefois que certaines communautés sont plus ouvertes que d’autres.
La conseillère indépendante dans Outremont, Céline Forget, veut bien croire en la bonne volonté du nouveau ministre. « On verra. J’ai peut-être tort, mais j’y crois toujours. J’espère qu’il est conscient qu’il y a des générations d’enfants qui finissent sans aucun diplôme », a-t-elle souligné. Le ministère de l’Éducation est au courant depuis longtemps, soit avant 2006, ajoute-t-elle. Elle rappelle aussi que trois écoles illégales opèrent sans permis, dans Outremont et le Plateau-Mont-Royal. « Ce sont des situations embêtantes pour une municipalité qui doit donner un permis d’occupation à une école qui n’est pas légale », a-t-elle dit, en expliquant que cela s’est déjà produit.
M. Werzberger croit que le gouvernement libéral sera plus « ouvert à la négociation », contrairement au Parti québécois, qui « voulait nous enlever la kippa ». « Ce n’est pas un cul-de-sac. Nous sommes ouverts à la négociation. »
source : Le Devoir
1 mai 2014 | Lisa-Marie Gervais
http://www.ledevoir.com/societe/education/407057/Ecolesillegales-bolduc-aura-fort-a-faire-dixit-les-hassidim