Ces propos ont été tenus par Natacha Calestrémé, dans l’émission de France 2 « Ça commence aujourd’hui ». Selon cette spécialiste de développement personnel, l’endométriose dont souffre l’une des invitées présente sur le plateau s’expliquerait par ses aïeules victimes de fausses couches. Un extrait de l’émission diffusé sur les réseaux sociaux a fait bondir scientifiques et associations de patientes.

GUÉRIR SON « FÉMININ SACRÉ »

Immédiatement qualifiée de « charlatanesque », la thèse défendue par Natacha Calestrémé, sans aucun fondement scientifique, a conduit à une déprogrammation en catastrophe de l’émission. Mais l’autrice n’est pas la seule à invoquer des théories sans preuves pour expliquer l’apparition de l’endométriose. Sur les réseaux sociaux et YouTube, ainsi que dans les cabinets de thérapeutes médecines dites alternatives ou complémentaires, de nombreuses femmes atteintes de troubles féminins comme l’endométriose, le syndrome des ovaires polykystiques, touchées par l’infertilité ou le cancer du sein, sont soumises à ce type de discours. Voire se font proposer, moyennant finance, des traitements « naturels » ou ésotériques qui pourront les guérir de leurs maux.

C’est le constat que fait Marie-Rose Galès. Patiente experte sur l’endométriose, elle aussi a été confrontée à titre personnel à ce type de discours psychologisant. « On vous explique que si vous avez de l’endométriose, c’est que vous vous êtes fait violer. Que si vous avez des douleurs pendant les rapports, c’est que vous avez peur des pénis… On m’a même dit que mon endométriose était liée au fait que je ne voulais pas d’enfant, ce qui conduisait mon utérus à se rebeller contre moi. »

Non seulement prompts à expliquer les causes de la maladie, certains thérapeutes font aussi la publicité de traitements alternatifs à ceux proposés par la médecine conventionnelle. « On a plein de trucs magiques, de poudre de perlimpinpin », constate Marie-Rose Galès, qui souligne notamment l’engouement pour la « réconciliation du féminin sacré » que proposent certaines coachs santé. C’est notamment le cas de Peggy Favez, une « accompagnante certifiée en santé féminine » et professeure de yoga aux 21 000 abonnés Instagram qui affirme avoir combattu l’endométriose en rencontrant son « pouvoir de femme ». Et en a depuis fait son business. Sur son site, elle propose désormais du coaching pour diminuer les douleurs, ainsi que des retraites pour « prendre le temps d’écouter et de rencontrer ce qui se passe à l’intérieur de soi pour connecter à son intuition, à la douceur et à la puissance du féminin, d’être femme ». Le prix proposé pour sa dernière retraite de quatre jours ? Entre 760 et 1 160 euros, hébergement compris. De quoi agacer profondément Marie-Rose Galès. « D’un côté ça fait peur parce que quand on est désespérée, on est une proie facile, et de l’autre c’est tellement ridicule que ça en devient drôle. »

« LES FEMMES NE VEULENT PAS PERDRE LEUR SEIN, LEUR SANTÉ, LEUR FÉMINITÉ »

Cette promesse de guérison du « féminin sacré », Émilie Daudin l’a aussi entendue lorsqu’elle a appris, à l’automne 2020, qu’elle était atteinte d’un cancer du sein triple négatif. « On m’a proposé d’essayer le jeûne thérapeutique, pour “affamer le cancer”, parce que “le cancer se nourrit de sucre”. Un pharmacien herboriste m’a aussi proposé une huile essentielle anti-tumeur », se rappelle l’influenceuse et cheffe d’entreprise, désormais en rémission. « Le discours, c’est : tu ne guériras pas de ton cancer, il faut que tu guérisses de ton toi intérieur, de ton enfant. Ça consiste en du jeûne, en des consultations hors de prix pour guérir d’un traumatisme qui n’existe pas. » Selon elle, ces promesses de guérison pullulent sur les groupes de soutien au cancer présents sur Facebook. « Des personnes en sont régulièrement virées parce qu’elles essayent de vendre leur cure de jeûne elfique à 850 euros la semaine. Moi je crois très fort en la médecine donc je ne suis pas du tout du genre à chercher ce genre de réponse. »

« CES PRATIQUES OFFRENT SOUVENT UNE PROMESSE DE GUÉRISON, QUI PLUS EST DE MANIÈRE INDOLORE ET SUR UN COURT TERME »

Porte-parole de l’Union nationale des Associations de défense des Familles et de l’Individu victimes de sectes (UNADFI), Pascale Duval constate effectivement que les femmes sont particulièrement sensibles à ces offres lorsqu’il s’agit de leur santé. Cela s’explique, avance-t-elle, par le fait qu’elles sont, contrairement aux hommes, sujettes, dès la puberté et tout au long de leur vie à des problèmes de santé. Et plus elles sont malades, plus elles peuvent être vulnérables aux promesses faites par les auteurs de ces traitements soi-disant miracles. « Ces pratiques offrent souvent une promesse de guérison, qui plus est de manière indolore et sur un court terme, contrairement à traitement invasif qui peut durer des mois. C’est un confort psychologique et physique inespéré pour quelqu’un qui vient d’apprendre qu’elle a une maladie grave qui allait être invalidante pendant plusieurs années. » « Les femmes ne veulent pas perdre leur sein, leur santé, leur visage, leur féminité. Elles se tournent donc vers tout ce qui peut être alternatif en pensant que ça va les soigner », abonde Émilie Daudin.

Si ces « soins miracles » ont toujours existé, ils se font de plus en plus audibles dans notre société depuis une dizaine d’années, et ont même explosé depuis la crise du Covid-19. « La pandémie en a rajouté une couche sur un phénomène existant, souligne Pascale Duval, qui cite les noms de Guylaine Lanctôt, Jean-Jacques Crèvecœur et Thierry Casasnovas, dans le viseur de l’UNADFI depuis longtemps et dont les théories ont trouvé un fort écho ces deux dernières années. « Ces gourous guérisseurs sont les mêmes qu’il y a dix ans. Ce ne sont pas des gens qui sont arrivés par opportunisme avec la pandémie. En revanche, c’est par opportunisme qu’ils ont inclus le Covid parmi leurs spécialités. »

Pour Marie-Rose Galès, la pandémie a non seulement cristallisé les inquiétudes, voire le scepticisme des patientes vis-à-vis de la médecine conventionnelle, mais a aussi participé à l’ampleur de ces thérapies alternatives. « La crise du Covid a aggravé la pénurie de rendez-vous médicaux. Pour certains spécialistes, il faut maintenant attendre un an avant de consulter. Alors si le charlatan qui habite à côté est disponible en deux jours et que vous avez mal, c’est lui que vous consultez en priorité », analyse la patiente-experte, qui estime que « les médecins sont les fournisseurs officiels des charlatans » en pointant, dans le cas de l’endométriose, les violences gynécologiques pour expliquer l’essor des médecines complémentaires. « Quand vous vous faites maltraiter par les médecins, vous allez toujours préférer croire la personne qui est gentille avec vous, même si son traitement est inefficace. Je pense vraiment qu’il ne faut pas sous-estimer les charlatans, ce sont des gens très intelligents. »

DES CONSÉQUENCES PARFOIS DRAMATIQUES

Mais à quel moment le charlatanisme se transforme-t-il en dérive sectaire ? Car si certains thérapeutes sont adeptes de pratiques naturelles ou ésotériques, potentiellement inefficaces et parfois hors-de-prix, on ne peut pas les confondre avec des gourous. Car, comme Pascale Duval le rappelle, c’est « l’intentionnalité du praticien qui compte ».

Dans son rapport 2021, la Mission interministérielle de vigilance et de lutte contre les dérives sectaires (Miviludes) rappelle la « mission sensible » qu’est la distinction entre le charlatanisme ou la promesse commerciale trompeuse avec la dérive thérapeutique potentiellement sectaire. À l’UNADFI, deux éléments sont pris en compte pour qualifier cette dernière : la radicalisation de la victime dans ses croyances et l’emprise psychologique qui conduisent à une rupture de la victime avec elle-même, avec ses proches puis avec la société.

Et cette emprise sectaire peut avoir des effets dévastateurs sur la santé des femmes qui y sont soumises, en particulier lorsqu’elles se détournent, sous l’influence d’un thérapeute, de leur traitement médical. « Le préjudice le plus grave, c’est la perte de chance, explique l’oncologue et radiothérapeute Philippe Bergerot, président du Comité d’expertise en soins de support de la Ligue contre le Cancer. Sans traitement adjuvant comme la chimiothérapie, le cancer a de fortes probabilités d’évoluer, de métastaser et d’atteindre d’autres organes. »

Et même si sa vie n’est pas en danger, la qualité de vie de la patiente peut également être grandement altérée. « Dans le cas de l’endométriose, il n’y a pas de risque que vous mourriez parce que vous avez décidé de ne vous soigner qu’en phytothérapie. Mais je connais une personne qui ne voyait plus de médecins, à cause des violences subies, alors qu’elle avait vraiment besoin d’une opération. Le souci c’est qu’elle avait trop attendu, c’était une catastrophe, elle partait pour une opération très lourde, avec le risque que l’on ne puisse pas épargner tous ses organes », relate Marie-Rose Galès.

MIEUX ENCADRER LES MÉDECINES ALTERNATIVES, PAS LES INTERDIRE

Repérer les dérives thérapeutiques susceptibles de mettre en danger la vie des patientes est d’autant plus compliqué que toutes les personnes pratiquant une médecine alternative ne sont pas des charlatans ou des gourous en devenir, loin de là. Dans un document intitulé « Médecines alternatives et cancer », la Ligue rappelle d’ailleurs que le yoga, la sophrologie, l’acupuncture, l’hypnose, la réflexologie ou la naturopathie peuvent apporter aussi du confort de vie aux patientes lorsque ces disciplines sont exercées par des professionnels diplômés dans un cadre réglementaire.

Difficile aussi de repérer cet entrisme lorsque c’est un médecin qui l’exerce. Marie-Rose Galès raconte ainsi avoir signalé à la Miviludes un gynécologue diplômé de la faculté de médecine pour emprise psychologique. « Mon cerveau a commencé à tricoter de faux souvenirs. Ce qui a sauvé mon esprit, c’est qu’il y avait des détails incohérents auxquels se sont raccrochés ma raison. »

« LE YOGA ET LA MÉDITATION PEUVENT S’AVÉRER ÊTRE DES PORTES D’ENTRÉE DE MOUVEMENTS SECTAIRES »

« Comment aider les gens à distinguer médecines et pratiques de soins non conventionnelles si les médecins prescrivent eux-mêmes ces pratiques-là ? », questionne aussi Pascale Duval. C’est justement pour mieux accompagner les patientes pendant et après leur traitement de la maladie que la Ligue contre le Cancer propose gratuitement depuis quelques années un panier de « soins de supports ». Chaque année, 200 nouveaux patients bénéficient de ces ateliers d’art-thérapie, de relaxation, de méditation ou de socio-esthétique, animés par des professionnels diplômés. « Les soins de support ne guérissent pas, ils améliorent la qualité de vie, et permettent d’améliorer l’espérance de vie et de diminuer le risque de rechute », insiste le Pr Philippe Bergerot.

De son côté, la porte-parole de l’UNADFI plaide elle aussi pour un meilleur encadrement des pratiques de soins non conventionnelles qui, rappelle-t-elle, ne sont soumises ni au secret médical, ni à une quelconque réglementation, contrairement aux professions de santé. « Il y a des gens à qui cela fait du bien et qui ne sont pas sous emprise, entend Pascale Duval. Mais même le yoga et la méditation ne conviennent pas à tout le monde et peuvent s’avérer être des portes d’entrée de mouvements sectaires. Il est très important d’entendre le fait qu’à partir du moment où une méthode n’est pas validée par la science et pour laquelle il n’y a pas de cadre juridique, la dérive est possible, quelle qu’elle soit. »

Et d’ajouter : « Même si le yoga et la méditation sont aujourd’hui pratiquées en masse, cela ne veut pas dire qu’il n’y a pas de dérive. Bien au contraire. »