Les Echos
14/06/2012
Par Cédric Duval | 14/06 | 07:00

Face au cancer, les médecines douces ne peuvent remplacer les traitements conventionnels que sont la chirurgie, la radiothérapie ou la chimiothérapie. Mais de nombreux patients y ont toutefois recours, même si le phénomène est difficile à chiffrer – il varie de 28 % à 60 % selon les études. Homéopathie, régimes diététiques, suppléments alimentaires, phytothérapie et acupuncture y figurent en bonne place parmi les méthodes utilisées. Comment expliquer un tel engouement pour des thérapies dont l’efficacité n’est pas prouvée scientifiquement ?

En France, plusieurs enquêtes de terrain se sont penchées sur cette question. Elles montrent, à l’instar de l’étude Simon publiée en 2007 par la revue « Bulletin du cancer », que ces médecines alternatives sont essentiellement utilisées pour mieux supporter le traitement anticancéreux. Il s’agit de lutter contre ses effets secondaires : vomissements, nausées, fatigue, chute des cheveux, brûlure, stérilité… « Dans la mesure où le cancer est devenu une maladie chronique, avec laquelle il est possible de vivre de nombreuses années, il est logique que les patients multiplient les possibilités pour améliorer leur quotidien, explique Norbert Amsellem, responsable des sciences humaines et sociales à l’Institut national du cancer (Inca). Or force est de constater que la plupart de ceux qui recourent aux médecines alternatives jugent que leur état général s’est amélioré grâce à elles. » Ce qui pousse certains patients à continuer à les pratiquer après l’arrêt des traitements conventionnels pour limiter les risques de rechute.

Autre motivation mise en avant par les malades : renforcer les défenses immunitaires, dans le but de mieux combattre la maladie. Ces pratiques alternatives sont alors sollicitées pour « combler un vide », source d’anxiété, entre deux séances de chimiothérapie. Par ailleurs, les patients sont parfois tentés de les utiliser comme une arme thérapeutique supplémentaire. « Dès lors que les chances de guérison ne dépassent pas 80 %, les malades font généralement appel aux médecines non conventionnelles dans l’espoir d’augmenter leurs chances, comme ce fut le cas pour la tuberculose et comme c’est le cas actuellement pour le sida », explique Simon Schraub, professeur émérite au Centre régional de lutte contre le cancer de Strasbourg.
Besoin d’écoute
Des raisons plus personnelles sont aussi pointées par les études. Ce qui attire, c’est le côté « doux » de ces pratiques, par opposition aux médicaments, considérés comme « toxiques ». C’est aussi une façon de ne pas subir passivement la maladie et son traitement. « Beaucoup recherchent une forme d’écoute, souhaitent qu’on s’intéresse à leur mode de vie, à leur sommeil, à leur alimentation par exemple, pour être considérés dans leur globalité », explique Béatrice Paquier, acupuncteur et anesthésiste-réanimateur au Centre médical Ambroise-Paré à Lyon. « C’est aussi un besoin d’irrationnel devant un danger que l’on ne maîtrise pas, une demande d’espoir », ajoute pour sa part Simon Schraub.

Anne-Cécile Bégot, sociologue au CNRS, a montré que ces médecines permettent par ailleurs de donner un sens à la maladie. « Contrairement à ce qu’on pourrait penser, les progrès médicaux n’ont pas éliminé les interrogations : pourquoi moi ? pourquoi ici ? pourquoi maintenant ? Avec les thérapeutes non conventionnels, certains cherchent à identifier l’origine de leur maladie, notamment à partir de chocs psychologiques. »

Confrontée à ces évolutions, la médecine classique redoute de voir les patients interrompre leur traitement et quitter le système de soins. Dans son rapport 2011, la Miviludes attirait notamment l’attention sur ce phénomène. En pratique, le nombre de personnes concernées semble cependant limité à ce jour. « Certains patients ne sont pas convaincus de l’efficacité des médecines non conventionnelles auxquelles ils ont recours, mais ils se disent que si ça ne leur fait pas du bien, au moins, ça ne peut pas faire du mal », observe Anne-Cécile Bégot.

On observe toutefois que de plus en plus de malades sont demandeurs de communication avec leur médecin sur ces questions. Ce qui oblige la communauté scientifique à prendre en considération ces nouvelles pratiques. En France, la reconnaissance institutionnelle de certains traitements comme l’homéopathie ou l’acupuncture, via leur remboursement par la Sécurité sociale ou les mutuelles, va dans ce sens. De même, l’Assistance publique-Hôpitaux de Paris (AP-HP) a mis en place dans une vingtaine de services des programmes reposant sur la médecine chinoise (shiatsu, tai-chi, qi gong…). « Dans le cas du cancer, on constate une relative tolérance des praticiens à l’égard des médecines alternatives qu’ils préfèrent voir pratiquées dans un cadre médical plutôt que hors de leur contrôle », confie Anne-Cécile Bégot. Une forme d’encadrement qui a pour but d’éviter des effets « secondaires », voire « contre-productifs ».

« En attendant d’en savoir plus d’un point de vue scientifique, il ne faut pas opposer médecine traditionnelle et médecine douce, estime pour sa part, Béatrice Paquier. Mieux vaut les considérer comme deux approches complémentaires. » Elle milite donc pour le développement de l’enseignement universitaire sur ce thème pendant les études de médecine. Une vision partagée dans les pays anglo-saxons, où est né le concept de médecine intégrative. Son principe est d’associer de manière officielle la médecine conventionnelle et les médecines douces, pour améliorer la qualité des soins et l’état de santé des patients. Dans cette optique, la mise en place de procédures de validation scientifique est indispensable pour réussir à faire le tri dans la jungle des médecines alternatives.
CÉDRIC DUVAL
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