Les trois femmes, une Malaisienne de 69 ans, une Irlandaise de 57 ans et une Britannique de 30 ans, semblent avoir été soumises à un lavage de cerveau, les maintenant en état de soumission mentale auprès d’un couple non marié, un homme d’origine indienne et une femme d’origine tanzanienne, tous deux âgés de 67 ans et arrivés au Royaume-Uni dans les années 60.

«Idéologie».«Nous pensons que des abus physiques et mentaux ont été au cœur de la vie des trois victimes», a indiqué le commandant Steve Rodhouse de Scotland Yard, mais l’enquête «prendra un temps considérable». Les deux victimes les plus âgées auraient rencontré leurs bourreaux lors de réunions politiques d’inspiration marxiste dans les années 60. «Ils semblent avoir partagé initialement la même idéologie», avancent les enquêteurs. Cela les aurait conduits à décider de vivre ensemble dans une forme de «communauté». Le couple de suspects avait d’ailleurs été arrêté, dans les années 70, probablement en raison de ces affiliations.

Pour une raison inconnue, «la communauté a pris fin et les femmes ont continué à vivre avec les suspects», a ajouté Steve Rodhouse. Et c’est là que l’enquête se complique. Celles-ci ne semblent pas avoir été physiquement enfermées ou empêchées de sortir. Elles étaient même vues régulièrement dans la rue, avec leurs geôliers. Comme souvent, les voisins de cet immeuble récent du district de Lambeth, dans le sud de Londres, ne se sont rendu compte de rien. Et n’en reviennent pas. Tout juste ont-ils parfois pensé qu’il s’agissait d’une famille un peu «dysfonctionnelle».

«Je ne pense pas que l’on puisse parler réellement de secte. Mais peut-être de quelque chose de ressemblant à une secte, a déclaré Tessa Jowell, députée travailliste de la circonscription. Il s’agit d’une situation bizarre, d’une histoire unique et inhabituelle, mais la contrainte et la peur ne son pas différentes de ce que beaucoup de femmes vulnérables expérimentent lorsqu’elles ne peuvent mettre fin à une relation violente, parce que la terreur, la dépendance et les terribles abus sont devenus la norme [dans leur vie].» La jeune femme de 30 ans dispose d’un acte de naissance, mais d’aucun autre papier d’identification. Elle pourrait être la fille de l’Irlandaise de 57 ans et du suspect de 67 ans, ce que devraient confirmer les analyses ADN. Jamais scolarisée, elle lit et écrit, et est «très intelligente», a affirmé Aneeta Prem, fondatrice de l’organisation caritative Freedom Charity, grâce à qui les femmes ont été libérées.

Négociations. Début octobre, un documentaire, Forced to Marry, est diffusé sur la chaîne ITV. Y figure l’interview d’une femme, mariée de force à 15 ans et maintenue en esclavage pendant quarante ans. «Ce témoignage pourrait avoir été l’élément déclencheur», explique David Henshaw, producteur de l’émission. Le 18 octobre, l’Irlandaise de 57 ans trouve le courage d’appeler Freedom Charity – Aneeta Prem avait témoigné dans l’émission. Une longue semaine de négociations s’engage. «Elle se demandait si elle avait raison de faire cela. Nous avons dû la persuader que le monde extérieur pouvait leur apporter quelque chose de mieux que ce qu’elles vivaient en captivité.»

Les discussions sont tellement délicates que la police doit promettre de ne pas intervenir initialement. Le 25 octobre, les deux plus jeunes femmes sortent, seules, de l’appartement du rez-de-chaussée et sont prises en charge par l’organisation caritative. La femme de 69 ans suit quelques minutes plus tard. Pendant presque un mois, les enquêteurs tentent lentement de convaincre les femmes de leur expliquer les conditions dans lesquelles elles ont vécu, de vérifier la véracité de leurs dires. Pendant cette période, le couple ne se manifeste pas auprès des autorités.

Vendredi, la police arrête l’homme et la femme, soupçonnés de travail forcé, d’esclavage domestique et d’emprisonnement illégal. Mais, après vingt-quatre heures, ils sont libérés sous caution. Ils seront convoqués en janvier et ne peuvent retourner à leur domicile, passé au peigne fin. La loi britannique réclame des preuves directes d’un crime avant de pouvoir prononcer une inculpation. Ici, il s’agit de prouver qu’une torture mentale a empêché ces femmes de franchir le seuil de cette maison pendant toutes ces années.

source : LIBERATION par Sonia DELESALLE-STOLPER Correspondante à Londres