{{Y a-t-il un prolongement au sursaut républicain qui a vu des millions de gens descendre dans la rue après les attentats de Paris?
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Les gens sont plus vigilants et plus lucides. Beaucoup ont compris que ce n’est pas en affaiblissant la laïcité qu’on combattra l’intégrisme. Ceux qui, hier encore, voulaient la renégocier de façon plus ou moins masquée sont à découvert. Leurs discours visant à justifier la violence des intégristes en blâmant un dessin de Charlie Hebdo ne passent plus.

{{Comment combattre la montée de l’islamisme radical sans tomber dans le piège de l’islamophobie?
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Je refuse d’utiliser le terme confus d’«islamophobie». Par sa sémantique, «phobie envers l’islam», il confond toute critique du religieux ou de l’intégrisme avec une forme de phobie envers les croyants. Il désigne sous le même terme des gens qui se battent contre le fanatisme et les racistes. Au lieu d’avoir peur de s’attaquer à l’intégrisme par peur du racisme, les intellectuels et les journalistes doivent s’opposer à ces deux formes d’intolérance. C’était le combat de Charlie Hebdo. C’est aussi le mien. Je ne crois pas qu’on fera reculer le fanatisme en interdisant des minarets ou en confondant les musulmans avec leurs bourreaux intégristes mais tout au contraire en défendant tous ensemble le droit au blasphème, à l’humour et à la laïcité.

{{Les dessinateurs ne se bousculent pas pour remplacer les caricaturistes de «Charlie Hebdo». La peur a-t-elle gagné?}}

Leurs crimes ont aussi fait naître une nouvelle génération de résistants qui refusent désormais la peur. C’est cette peur qu’a toujours essayé de combattre Charlie Hebdo en publiant des caricatures du prophète pour soutenir le journal Danois Jyllands-Posten en 2005. Ce n’était pas une provocation gratuite, comme l’ont dit des irresponsables. C’était une façon de s’opposer à l’autocensure. A l’époque, aucun dessinateur danois ne voulait illustrer un album positif sur la vie de Mahomet au Danemark, de peur de mourir comme Theo Van Gogh. Aujourd’hui, la plupart de ceux qui défendent le droit de rire du fanatisme sont en danger. Cela doit nous amener à prendre en compte les questions de sécurité, mais cela ne doit surtout pas nous conduire à ne plus dire les choses, sinon la violence a gagné.

{{Comment sortir du piège du communautarisme?}}

Ceux qui doivent se remettre en question aujourd’hui, ce sont les élus locaux, les maires de droite comme de gauche qui ont cru pouvoir acheter la paix sociale en négociant avec les groupes religieux les plus organisés, les plus revendicatifs, souvent aussi les plus intégristes. Ils doivent comprendre que lorsqu’ils cèdent l’espace public à des groupes religieux intolérants plutôt que de faire du social ou du culturel, c’est la République et la laïcité qui reculent.

{{Quelles vont être les conséquences pour l’islam de France?}}

Je ne crois pas qu’il faille attendre beaucoup des représentants religieux. Ils pleurent quand il y a des morts, mais quand Charlie Hebdo fait une couverture avec un Mahomet qui pleure et dit «Je suis Charlie, où il est écrit «tout est pardonné», beaucoup sont incapables d’entrer dans le pardon. Tant que les religieux ne seront pas prêts à défendre le droit au blasphème et se contenteront de pleurer sur ceux qui meurent parce qu’on les a accusés d’avoir blasphémé ou traités d’«islamophobes», on n’en sortira pas. Il faut aller au-delà des bonnes intentions. Ils doivent comprendre que la laïcité les protège aussi, contrairement à ce qui se passe au Pakistan, où les athées et les minorités religieuses sont opprimés au nom de la lutte contre le blasphème. (TDG)
source : TDG.ch ( tribune de Genève)