Au lendemain du sommet international organisé par la Maison Blanche pour «contrer la violence extrémiste» et de ses entretiens prévus avec le patron du FBI et les ministres américains de la Justice et de l’Intérieur, Bernard Cazeneuve doit rencontrer ce vendredi à San Francisco des représentants d’Apple, Google, Facebook, Twitter et Microsoft. Objectif : les «sensibiliser» au problème du «terrorisme en libre accès».

Blocage. Ces dernières semaines, Cazeneuve n’a cessé de marteler que «90% de ceux qui basculent dans le terrorisme basculent par Internet». Un chiffre tiré d’un rapport du Centre de prévention contre les dérives sectaires liées à l’islam, basé sur un échantillon de 160 familles «pas forcément représentatives de l’ensemble des familles dont les enfants sont touchés», selon l’étude elle-même. Les recherches de Quilliam, un think tank britannique de «contre-extrémisme», concluent pourtant que si le réseau est utilisé à des fins de propagande, d’endoctrinement et de socialisation, il y a «peu ou pas de preuve que les individus se radicalisent en ligne sans […] interactions ou expériences dans le monde réel».

Qu’à cela ne tienne : le pourcentage frappe l’opinion et a permis de justifier leblocage administratif des sites web faisant l’apologie du terrorisme, pourtant jugé«inadapté aux enjeux»par le Conseil national du numérique. Il s’agit désormais de peser sur les géants du Net afin d’améliorer la coopération technique en matière d’enquêtes et faciliter le retrait de contenus en ligne.

Le problème, c’est qu’on voit mal ce que le ministre pourrait concrètement leur demander. Concernant la transmission de données, les acteurs américains sont, il est vrai, plus ou moins rétifs selon les motifs invoqués – dans l’affaire Charlie,Microsoft a en tout cas indiqué avoir transmis les mails de deux suspects en quarante-cinq minutes sur demande du FBI -, mais renvoient à d’éventuelles modifications législatives.

Quant aux retraits de contenus, le circuit passant par Pharos(la plateforme de signalement du ministère de l’Intérieur) fonctionne manifestement bien : le mois dernier, Catherine Chambon, la sous-directrice de la lutte contre la cybercriminalité à la police judiciaire, faisait état d’un délai de «quelques minutes» pour un retrait de vidéo sur demande de l’Office central de lutte contre la criminalité liée aux technologies de l’information et de la communication.

Rouages. Dans l’entourage de Cazeneuve, on assure qu’il n’est pas question d’aligner le statut des hébergeurs, dont la responsabilité n’est engagée qu’à partir du moment où un contenu «manifestement illicite» leur est signalé, sur celui des éditeurs, responsables a priori de ce qu’ils publient. Reste qu’un statut «hybride» a été évoqué, sur un tout autre dossier, par la ministre de la Culture, Fleur Pellerin,dans une interview aux Echos.

A ce stade, Beauvau semble surtout soucieux de mettre de l’huile dans les rouages de sa communication avec les grandes plateformes du Web. Voire de les inciter à surveiller elles-mêmes plus sérieusement leurs contenus. Nul ne sait jusqu’à quel point la Silicon Valley sera sensible à cette opération de communication, mais il est certain qu’elle pourra inquiéter les défenseurs des libertés en ligne, qui alertent depuis longtemps sur les dérives inévitables de l’encouragement à ce type d’«autorégulation» privée, au détriment de la régulation par le droit.

source : liberation.fr par Amaelle Guiton

http://www.liberation.fr/politiques/2015/02/19/cazeneuve-traque-les-jihadistes-au-far-web_1206097