« Je suis inspecteur de l’Education nationale, formateur à l’Ecole normale d’instituteurs d’Owendo. Mon épouse est enseignante à l’Université des sciences de la santé à Owendo. Nous sommes des chrétiens ». Le couple de Monsieur Garba : un foyer stable, des croyants musulmans, modestes et hommes d’affaires (commerçants). Nos deux familles à l’origine étaient des havres de paix. Nous avions eu des enfants sains de corps et d’esprit.

L’harmonie dans laquelle vivaient nos familles sera rompue un matin du jeudi 03 mars 2005 à 8h30, jour où nos enfants Edou Ebang Eric et Ibrahim Aboubacar, tous âgés de 12 ans, inscrits au CM2D à l’école pilote du centre de Libreville, seront retrouvés morts mutilés, leurs corps vidés de leur sang non loin de l’hôtel où nous nous trouvons en ce moment (NDR Hôtel Okoumé Palace Intercontinental)».

Ces propos pénibles, poignants et pathétiques, sont du représentant du Collectif des familles d’enfants assassinés, mutilés et disparus, invité au colloque, organisé à Libreville, du 19 au 20 juillet 2005, par l’Unesco sur les « causes et moyens de prévention des crimes rituels et des conflits en Afrique centrale ».

Oui, des crimes rituels plutôt des meurtres rituels sont commis impunément par ceux qui cherchent « des raccourcis » en se livrant à des « sacrifices humains dont on sait d’ailleurs qu’ils ne font pas avancer nos pays », selon l’expression même du Vice-premier ministre Mba Abessole, qui a ouvert les travaux de ce colloque.

Ces crimes qui ternissent l’image du pouvoir sont, aujourd’hui, une vague déferlante comme le résume, dans son témoigne, le représentant du Collectif des familles d’enfants assassinés, mutilés et disparus : « L’infanticide existe bel et bien dans notre société, le fétichisme gagne du terrain chez nous ». Pour quelles raisons et comment « prévenir et enrayer ces actes criminels perpétrés au nom de la religion, des traditions ou de la culture » ?

Le colloque organisé par le bureau sous-régional de l’Organisation des Nations unies pour l’éducation, la science et la culture (Unesco) s’est donné pour mission d’explorer les pistes pour trancher le nœud gordien d’un phénomène qui déferle jusqu’aux confins de tous les Etats de l’Afrique centrale et qui laisse, à son passage meurtrier, des familles endeuillées, consternées, désespérées et angoissées dans des villes comme dans des villages. Et l’Unesco n’a pas lésiné sur la qualité d’invités à ce colloque : les hommes et femmes politiques, les éminents représentants des confessions religieuses, les magistrats, les universitaires, les hommes et femmes des medias, les représentants de la société civile (notamment les tradipraticiens et autres traditionalistes).

Ce colloque a donc eu le mérite de poser un problème omniprésent, mais presqu’un tabou comme a martelé le représentant du gouvernement gabonais, le vice-Premier ministre Paul Mba Abessole : « Tout le monde s’en plaint, mais peu sont ceux qui se déterminent à lutter concrètement contre ces pratiques. On se contente de déplorer les faits ». C’est tout le sens qu’il faut donner d’ailleurs au témoignage du représentant du Collectif des familles d’enfants assassinés, mutilés et disparus lorsqu’il a prévenu à l’ouverture du colloque : « Loin des beaux discours des palais, et des amphithéâtres, des universités, et très loin encore des conversations des salons et des bistrots, l’infanticide existe bel et bien dans notre société… ».

Et ce d’autant plus, a reconnu le représentant des pouvoirs publics, le père Paul Mba Abessole, que « nous sommes devant une réalité persistante, (que) les promoteurs de ces pratiques sont là (et) bien des gens les consultent pour obtenir un avantage social, une promotion, une réussite à un examen …» Et le père Paul Mba Abessole de souligner : « On cherche même à les justifier par nos traditions pour se donner bonne conscience ». Voila qui nous amène à remonter à l’origine de ces rites et coutumes qui servent des passe-droits et justifient des mentalités mystico-religieuses et magiques, pour le moins absurdes.

Les causes profondes des crimes rituels

A l’origine de l’œuf, on relève, d’une manière générale, depuis les temps immémoriaux, la volonté de l’homme d’expliquer le surnaturel à travers des croyances et pratiques occultes sur fond de magie, de mythologie et de superstition.

Et l’homme africain en a fait, du nord au sud, de l’est à l’ouest en passant par le centre, le fondement de sa culture pour expliquer les circonstances de la vie sur la naissance, les maladies, la mort, bref sur le bonheur et le malheur. Les rites et les coutumes qui en découlent constituent, pour les uns l’essence même de l’identité de l’Africain, tandis que pour les autres, la causse de sa déchéance. Qu’est-ce qui est donc « patrimoine culturel » et qu’est-ce qui ne l’est pas ?

Intervenant à la tribune de ce colloque, Mme Bintou Djibo, coordonnateur du système des Nations unies au Gabon note à propos de ces rites et coutumes que « le bon sens nous commande toutefois de discerner ceux qui favorisent l’épanouissement de l’Homme et de nos sociétés de ceux qui sont susceptibles de la détruire ».

En réalité, les rites et coutumes servent plutôt de couverture à des pratiques occultes sinon obscurantistes dans des sociétés qui ont perdu « les valeurs positives de la culture et de la tradition africaines », selon l’expression du représentant de zone de l’Unicef, Kristian Laubjerg. En effet, livrant l’expérience de la République centrafricaine, Monsieur Lucien Dambelé révèle dans cet ordre d’idées : « Dans ces diverses manifestations, l’idée que l’homme africain s’en fait est parfois confuse et moins ordinaire ». Et pour quel effet ?

« Ce qui a comme impact, la pratique des crimes rituels », répond Monsieur Lucien Dambelé qui en résume les causes profondes en sept points : « l’éducation traditionnelle basée sur les connaissances mystiques ou ésotériques, la recherche effrénée de la supériorité sur tous les plans et celle de la richesse, but commercial, garantir un avenir meilleur à son enfant héritier, la jalousie sous toutes ses formes, le désir de s’identifier aux divinités supérieures de la cosmogonie ainsi que la superstition, l’égoïsme, et la folle ambition ».

Pour toutes ces raisons futiles, pour ne pas dire obtuses, des crimes rituels sont commis et restent impunis, alors qu’ils s’agit, pour la plupart des cas, « des assassinats et mutilations d’enfants… qui endeuillent les familles et répandent l’angoisse et l’insécurité au sein des villes comme dans les villages ». Et ce au nom de la religion et de la tradition. Quelle est l’attitude de l’Eglise face à ces croyances ?

Quand certaines croyances religieuses sèment le doute

Parler des croyances religieuses, c’est faire allusion à un ensemble de dogmes et pratiques ayant pour objet les rapports de l’homme avec la puissance divine. Les croyances et les pratiques s’agglutinent et s’enchevêtrent.

Instituées pour rendre hommage à la divinité, elles obéissent à des rites et à des règles précises. Et la foi et l’hommage à un être suprême impliquent justement l’observance des rites dont le lien est vite établi avec le patrimoine culturel du terroir. Ceci explique- t-il cela ?

Jérémie Mopili, Conseiller technique et spirituel des chorales des Eglises protestantes en République centrafricaine, intervenant au colloque sur les outils utilisés et utilisables par les confessions religieuses et les associations initiatiques dans la lutte contre les crimes rituels en Afrique centrale explique : « Il convient de noter au premier abord qu’il y a trois principales religions en République centrafricaine : le catholicisme, le protestantisme et la religion musulmane (l’islam). On note également la présence des cultes traditionnels et associations initiatiques […]. Ces religions et associations traditionnelles ont des points communs et certaines divergences liées à des dogmes spécifique ».

De quels dogmes s’agit-il ? Là gît le lièvre. Sur le principe, les Eglises professent un message de paix et d’amour. Mais c’est sans compter sur la fougue des « fous » de Dieu et des prophètes illuminés.

A propos de la Bible , Jérémie Mopili note : « Elle est considérée par le christianisme comme étant la parole écrite de Dieu et destinée aux hommes ». elle « condamne le paganisme (l’idolâtrie), la magie (occultisme) et les crimes sous toutes leurs formes et prêche plutôt l’amour inconditionnel de Dieu et du prochain », (Exode 20 : 13) : « Tu ne tueras point ».

Et même les associations initiatiques ne sont pas en reste dans la lutte contre les crimes rituels, Car les prophètes (qui les dirigent) sont capables de dénoncer les sorciers et ceux qui commettent des crimes rituels dans le village (sic !), explique-t-il.

Cependant ces confessions religieuses et associations initiatiques deviennent vite, si l’on n’y prend garde, des sectes ésotériques et des creusets d’intolérance au service des rites extravagants et obscurantistes. La limite devient donc difficile à établir entre la dévotion et l’illuminisme, qui aboutit à des pratiques mystico-religieuses, notamment les crimes rituels.

C’est ainsi que le pasteur René Futi Luemba de la République démocratique du Congo appelle les Eglises « à ne pas verser dans l’idolâtrie dans une Afrique où tout baigne dans les rites (parole et gestes) ».

Punir sévèrement les auteurs et leurs commanditaires

« Les crimes rituels figurent parmi les innombrables violations des droits de l’homme. Ces meurtres à l’encontre des couches les plus vulnérables de la société sont commis dans un contexte d’impunité générale, laissant les familles dans le désespoir et la population dans la consternation ». Tel est, à ce sujet, le constat, à la limite de la révolte, de Madame Bintou Djibo, coordinateur du système des Nations unies au Gabon.

Ce laxisme est confirmé dans ce récit douloureux du représentant du Collectif des familles d’enfants assassinés, mutilés et disparus: « …A partir de là, nous nous sommes constitués en collectif, la rage au cœur, pour que les assassins de nos enfants soient retrouvés et punis par la loi […]. Constatant le mutisme de la justice, nous avons organisé une marche pacifique très suivie et soutenue par les communautés (ndr d’hommes d’église) bien que boycottée par les medias d’Etat […]. Nous avons officiellement saisi : le vice Premier ministre chargé des droits l’homme, les ministres de l’Education nationale, de la Justice , de la Famille , de la Défense , de la Sécurité et de l’Intérieur ; les hautes autorités de ce pays : le Procureur de la République , le Maire de Libreville, le Président de la cour constitutionnelle et les organismes internationaux : l’Unicef, l’Unesco, le PNUD, la Banque mondiale, les Ambassades de France, des Etats-Unis et du Canada ».

Et le représentant du collectif des familles d’enfants assassinés, mutilés et disparus de conclure : « Malgré cette pression et les indices fournis aux enquêteurs, les commanditaires et leurs complices sont en liberté ». C’est ni plus ni moins le triomphe de l’impunité.

Et pourtant il existe « des dispositions pénales applicables en matière de crimes rituels », confirme Ndong Essone Mathieu, conseiller du Garde des sceaux, Ministre de la Justice. « En droit pénal, le crime est un terme générique qui désigne une infraction punie soit de la peine de mort, soit de celle de la réclusion universelle », explique-t-il.

Les crimes rituels, quant à eux, font partie des infractions relatives à la sorcellerie, au charlatanisme et aux actes d’anthropophagie, prévues et punies, dans le code pénal gabonais par l’article 210 qui dispose : « Sera puni d’un emprisonnement de deux à cinq ans et d’une amende de 50.000 à 200.000 FCFA ou de l’une de ces peines seulement, quiconque aura participé à une transaction portant sur les restes ou ossements humains ou sera livré à des pratiques de sorcellerie, de magie ou de charlatanisme susceptibles de troubler l’ordre public ou de porter atteinte aux personnes ou à la propriété ».

S’il s’agit de l’anthropophagie, la loi ne reste pas non plus muette grâce à l’article 211 du code pénal disposant : « Sans préjudice de l’application de l’article 229 en ce qui concerne le meurtre commis dans un but d’anthropophagie, tout acte d’anthropophagie, toute cession de chair humaine à titre onéreux ou gratuit faite dans le même but, sera puni de la réclusion criminelle à temps ». Bien plus, la loi punit, conformément aux articles 164 al.2, 228 et 229, toutes les formes d’homicides volontaires dont les peines vont de la réclusion criminelle à temps à la peine de mort : le meurtre, le meurtre aggravé et l’assassinat. Comme le souligne Ndong Essone Mathieu, « sur le plan formel, cet arsenal juridique est suffisamment dissuasif ».

Et alors, que faire pour conclure ?

La réponse la plus ferme vient de Mme Bintou Djibo : « J’encourage également les gouvernements des pays d’Afrique centrale à mener une lutte sans merci contre l’impunité pour la sécurité des populations ». C’est un appel vibrant pour engager, ici et maintenant, un combat acharné contre ce que Mr Makhely Gassama, représentant sous-régional de l’Unesco, institution organisatrice du colloque, a appelé judicieusement « meurtre rituels ». Or, la loi n’est pas muette comme on vient de le voir, au sujet des meurtres.

Que dire enfin sinon en appeler à la responsabilité des Etats de l’Afrique centrale, y compris le Gabon, cependant que les propos du Vice-premier ministre, le père Paul Mba Abessole, représentant des pouvoirs publics à l’ouverture du colloque, sont sans commentaire : « Dénoncer ce mal (NDR les crimes rituels) ne suffit pas. Il faut encore arriver à des sanctions contre les coupables avérés. Certains d’entre eux sont, en effet, connus, mais en liberté ».

Source : © Nku’u Le Messager