CHRONIQUE / On croit que des histoires comme celle de La servante écarlate n’existent que dans les livres et à la télévision. Mais des cas tout aussi horribles de soumission et d’abus sexuels concernent des enfants, à côté de chez nous, au Québec. On le sait, l’État les tolère, parce qu’il ne faut surtout pas se mêler de religion.

Le documentaire en deux parties Cultes religieux: des enfants oubliés, réalisé par Patricia Beaulieu et disponible sur le Club illico dès aujourd’hui, vous fera voir rouge autant qu’il vous émouvra. Des adultes qui se sont sortis de cet enfer confient ce qu’on leur a fait subir à Marie-Claude Barrette, dont j’avais adoré la précédente série, Où es-tu?

Arrivée de la Belgique à deux ans, Myriam Keyzer a aussitôt été séparée de chacun des membres de sa famille. Sa mère a été envoyée en Alberta. Le groupe religieux qui a recruté la petite Myriam plaçait les gens par sexes et par groupes d’âges. L’enfant était battue jour après jour. Elle était couverte d’ecchymoses. Le comble: elle a été victime d’abus sexuels à partir de l’âge de deux ou trois ans.

Les Témoins de Jéhovah peuvent aussi faire des ravages chez leurs adeptes. Quatre anciens membres, dont les enfances ont été volées, racontent l’isolement, le contrôle excessif qu’on leur a fait vivre. Pas d’Internet, pas d’éducation sexuelle, pas d’anniversaires.

«Tout ce qui n’est pas Jéhovah, c’est Satan», résume Jasmine Amy Boucher. Aujourd’hui, la jeune femme est sous médication et vit toujours de l’angoisse.

Le cas le plus connu et sans doute le plus troublant est celui de François Thériault, fils de Roch «Moïse» Thériault, gourou qui amputait ses disciples et conservait leurs membres dans le formol, de l’orteil au scrotum. On se demande comment François Thériault a pu survivre à un tel régime.

 
François Thériault, un des fils de Roch «Moïse» Thériault
François Thériault, un des fils de Roch «Moïse» Thériault

C’est aujourd’hui un merveilleux père pour ses filles; Moïse n’aura pas réussi à tout lui enlever. Son frère Roch s’en est beaucoup moins bien sorti, au point d’être incapable d’accorder d’entrevue à la caméra.

Il faut d’ailleurs souligner que toutes les personnes témoignent courageusement à visage découvert, sans doute pour empêcher à d’autres de vivre ce qu’on leur a fait endurer si longtemps.

Sans savoir ce qui les attend à leur sortie – on leur a toujours dit que l’extérieur, c’était Satan –, ceux qui abandonnent leur communauté doivent aussi faire un trait sur les membres de leur famille à tout jamais. Un deuil extrêmement difficile et cruel, mais nécessaire.

Le cas de la communauté hassidique de Boisbriand est également très préoccupant. Comment se fait-il qu’encore en 2021, une communauté puisse maintenir son propre système d’éducation en vase clos, sans aucun contrôle du gouvernement?

Quand Yochonon Lowen a quitté la communauté et a traversé le pont Jacques-Cartier, il a demandé quelle était cette rivière en pointant le fleuve Saint-Laurent. Il a appris l’alphabet à 29 ans. Que lui apprenait-on durant les 12 heures par jour qu’il passait à l’école?


« Moi, si je décidais du jour au lendemain de ne pas envoyer mes enfants à l’école, j’aurais eu des avertissements. Pourquoi ça ne s’applique pas à tout le monde? »
Marie-Claude Barrette

À la mort d’Éloïse Dupuis, membre des Témoins de Jéhovah décédée en donnant naissance à son enfant parce qu’elle refusait une transfusion sanguine, l’ancienne députée du Parti québécois Agnès Maltais a voulu s’attaquer au problème en réclamant une commission parlementaire sur les limites de la liberté de religion. Ses collègues de l’Assemblée nationale ont pourtant dit non. On ne parlait pas de projet de loi mais simplement de débattre de la question. Et c’était déjà non.

Ce refus a indigné Marie-Claude Barrette. «C’est comme si les règles internes de ces cultes religieux avaient préséance sur nos lois civiles. J’ai beaucoup de difficulté à m’expliquer ça. Si j’étais en politique, c’est une question qui m’intéresserait beaucoup. Les enfants, ce sont les piliers de notre société, c’est notre avenir.»

La question est si délicate que l’équipe du documentaire n’est parvenue à obtenir aucune entrevue avec les élus en place. Marie-Claude Barrette sent tout de même une volonté de faire bouger les choses, notamment lorsqu’elle parle à Régine Laurent, qui préside la Commission spéciale sur les droits des enfants et la protection de la jeunesse.

«C’est pas vrai que je vais avoir entendu tout ça puis qu’il n’y aura pas de changements. C’est pas vrai», assure Mme Laurent. Pourvu qu’elle ne parle pas dans le vide.

source : https://www.lesoleil.com/