Le 17 octobre 1994 au matin, lorsque les gendarmes de la brigade de recherches de Périgueux se présentent à la porte du château de Trélissac, où vivent Max Conti et ses parents, l’effet de surprise est total. Les enquêteurs n’ignorent pas grand-chose des activités de cet homme de 55 ans dont la clientèle ne cesse de s’élargir. À la suite d’une dénonciation anonyme, ils l’ont placé sur écoutes et le filent depuis plusieurs semaines, au gré des consultations qu’il donne dans divers lieux de la Dordogne.
Au lendemain de la faillite de l’entreprise de fabrication de meubles en rotin dont il était le directeur commercial, Max Conti a opéré une reconversion des plus singulières. Au seuil de la quarantaine, après avoir suivi différents séminaires et stages, le plus souvent à l’étranger, ce Corrézien volubile s’est lancé dans l’ostéopathie. Avec l’aide de la mère supérieure et du médecin du foyer Notre-Dame des Pauvres de Bourrou, une institution religieuse perdue dans la campagne périgourdine où il exercera pendant plusieurs années. À l’époque, cette spécialité, fondée sur des techniques de manipulation manuelle, n’est pas encore reconnue en France. Mais elle rencontre déjà un vif succès, ses adeptes parvenant souvent à soulager des douleurs que la médecine traditionnelle échoue à juguler.
Une formule secrète
La renommée de Max Conti ne réside pas uniquement dans ses mains. Il administre aussi à ceux de ses patients qui l’acceptent d’énigmatiques piqûres blanches. Quelques mois plus tôt, il s’est rendu à Taïwan, tous frais payés, pour soigner une richissime Chinoise tourmentée par une sinusite répétitive et plusieurs membres de sa famille, proches du gouvernement de l’île. Ils s’en sont si bien portés qu’ils lui ont même proposé de s’installer sur place ! « Ce produit a un effet merveilleux, miraculeux sur certaines maladies auto-immunes comme celle de Crohn mais aussi sur les angines, les otites et les bronchites chroniques », assure Max Conti aux gendarmes. Si ahurissant que cela puisse paraître, l’ostéopathe ignore tout de la composition de la substance qu’il injecte depuis deux ou trois ans. Son fournisseur et ami, le docteur Jean Vurpillot, l’a initié à cette thérapeutique au moment de prendre sa retraite. Mais sans jamais lui confier la formule. Il la conserve dans le coffre-fort de sa maison de Razac-de-Saussignac, dans le Bergeracois.
« C’était le père Goriot »
Dans un débarras du rez-de-chaussée, Vurpillot, ancien généraliste alors âgé de 68 ans, fabrique lui-même, à l’aide d’un réchaud à gaz, ce liquide visqueux, fruit d’un curieux mélange d’eau distillée, de lessive Saint-Marc, de savon de Marseille, d’huile d’arachide Lesieur et de camphre. Il n’a rien inventé. Dix-huit ans plus tôt, il a acheté 3 048 euros le secret de cette piqûre blanche à un médecin rochelais qui la tenait lui-même de son inventeur, Albert Rouger, un généraliste installé à Fontaines, en Vendée. Décédé en 1969, à l’aube de sa centième année, ce personnage haut en couleur accueillait ses patients dans une tenue vestimentaire qui marquait les esprits : chapeau noir, chaussons à carreaux, faux col de celluloïd, blouse d’infirmier largement déboutonnée…
« Il semblait sortir tout droit d’un roman de Balzac. C’était le père Goriot », écrivait à l’époque, le journaliste Jean Palaiseul dans son livre « Tous les espoirs de guérir ». « Pendant près d’un demi-siècle, ses mystérieuses piqûres ont été l’unique espoir des asthmatiques et des rhumatisants. De toutes les grandes villes de France, ainsi que de Belgique, des Pays-Bas et d’Italie, on venait par cars spéciaux chercher auprès de ce modeste médecin de campagne ce que les spécialistes les plus réputés étaient incapables de donner : le soulagement et la santé. »
Curieux de nature, Jean Vurpillot avait d’abord expérimenté le produit sur lui-même. À la première injection, il était conquis. « J’ai retrouvé après quelques minutes de douleur le dynamisme de mes 15 ans », lâche-t-il au juge d’instruction Michel Dutrus, qui vient de lui signifier, tout comme à Max Conti, sa mise en examen pour escroquerie et exercice illégal de la médecine.
Devant le magistrat, le docteur Vurpillot soutient que ces piqûres effectuées à hauteur du bras font office de vaccin. Elles renforcent l’immunité globale et soignent de nombreuses infections et inflammations. La solution repose sur l’association d’acides gras et de sodium, de façon à créer un abcès de fixation générateur des fameux globules blancs qui éliminent toxines et microbes.
La révolte des patients
La théorie laisse de marbre le juge. Le praticien est écroué. Même si son avocat, Me Benoît Ducos-Ader, obtient quinze jours plus tard sa remise en liberté, le déshonneur est consommé. Mortifié, le médecin trouve pourtant quelque réconfort auprès de ses anciens patients. Animé par le luthier Claude Allard, le comité de soutien qui se forme à Sarlat, où Jean Vurpillot a longtemps exercé et animé un cercle philosophique, croule bientôt sous les témoignages de sympathie. Polyarthritiques, asthmatiques, bronchiteux… nombreux sont ceux qui chantent les louanges des piqûres blanches.
Germaine Meyer, qui a longtemps tenu la pharmacie la plus importante de la cité de La Boétie, n’est pas la plus tiède. « Il n’y a que lui qui a pu venir à bout de ma névralgie faciale. Il a fait des guérisons miraculeuses. » Alors que Max Conti et Jean Vurpillot ont soigné plusieurs centaines de personnes, celles qui se plaignent d’effets secondaires, au demeurant mineurs, se comptent sur les doigts de la main.
Une amende pour finir
Les professeurs Ciurana et Blayac, de la faculté de Montpellier, les deux experts judiciaires désignés, sont finalement les seuls à troubler ce concert d’éloges. Pertinente avant l’avènement des antibiotiques, non seulement la méthode du docteur Vurpillot est à leurs yeux obsolète, mais elle relève d’un « obscurantisme persévérant ». Tout en concédant que ces piqûres n’étaient pas nocives, les deux spécialistes s’émeuvent de leur « fabrication aberrante », l’impureté des produits de droguerie et d’épicerie utilisés n’étant pas selon eux sans risques. Cloué au pilori par les deux universitaires, le docteur Vurpillot demande, en vain, que son traitement soit testé par un service hospitalier. Mais au bout du compte, après deux ans d’enquête, la justice mettra beaucoup l’eau dans son vin, abandonnant en chemin les poursuites pour escroquerie. Non seulement le vieux médecin, ancien résistant de surcroît, n’était pas un charlatan, mais l’appât du gain lui était étranger. Sincèrement convaincu des vertus curatives de son remède, il piquait souvent gratuitement ses patients.
On peut toujours railler cette formule en parlant d’huile et de savon. Mais, après tout, combien de médicaments aux noms savants et pompeux sont fabriqués à partir de produits d’une simplicité enfantine ?
lancera le médecin devant le tribunal qui le condamnera en 1997 – tout comme Max Conti – à 1 500 euros d’amende pour complicité d’exercice illégal de la médecine. Finalement, il ne lui sera reproché que d’avoir fourni sa potion à Max Conti alors que ce dernier ne disposait pas des diplômes requis pour procéder à des injections. « J’aurais donné ma piqûre à n’importe quel charbonnier pour qu’elle ne se perde pas », reconnaissait alors Jean Vurpillot.
La substance n’avait certes reçu aucune autorisation de mise sur le marché. On a appris depuis que certains médicaments qui en bénéficient, comme le Mediator et quelques autres, ne sont pas forcément sans danger bien qu’adoubés par des ribambelles d’experts !
En 1994, des centaines de patients ont pris fait et cause pour un docteur périgourdin écroué pour avoir pratiqué des piqûres à l’huile et au savon
Le médecin n’a plus jamais fait parler de lui
Après cette affaire qui l’a profondément meurtri, le docteur Vurpillot, aujourd’hui âgé de 85 ans, n’a plus jamais fait parler de lui – même si son nom apparaît de temps à autre dans des forums du Net. Il s’est retiré chez lui, à Razac-de-Saussignac.
source : https://www.sudouest.fr/2011/08/21/la-potion-magique-du-vieux-medecin-479193-1752.php
Par Dominique Richard