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DOSSIER à la Une : LE FIGARO MAGAZINE 17 avril 2010
{Parents dépassés, salariés stressés, ados en crise : les thérapeutes ne chôment pas. Les Français se tournent vers la psy au quotidien, qui apaise les angoisses et guérit les petits bobos.}
Valentine avait 4 ans lorsqu’elle a vu un psy pour la première fois. Trop de colères, de cauchemars à répétition, et de pipis au lit ont décidé ses parents à « consulter », comme on dit encore avec une vague pudeur. En CE2, rebelote. Cette fois, c’est la maîtresse qui conseille aux parents de Valentine d’aller voir la psychologue scolaire. Motif : l’enfant peine à se concentrer en classe. Avant la fin du primaire, Valentine avait vu trois spécialistes différents. Aujourd’hui, à 17 ans, en pleine crise d’adolescence, elle ne veut plus entendre parler de psychothérapie. C’est pourtant le moment où elle en aurait le plus besoin, déplorent ses parents, qui tentent doucement de «la faire changer d’avis». En attendant, ils se font épauler par un psy pour faire face à la rébellion de leur fille.
Ainsi va la société française : elle consulte. Plus de 5 millions de Français auraient déjà frappé à la porte d’un psy, si l’on en croit un sondage réalisé par l’institut CSA il y a quatre ans (1) – le plus récent sur le sujet. Jamais on n’a autant publié d’ouvrages de psychologie et de psychanalyse : plus de mille titres sortent chaque année, allant des livres pratiques de coaching et de développement personnel aux ouvrages savants. Si beaucoup restent confinés à un public de spécialistes, certains sont des mines d’or pour les éditeurs – Odile Jacob, éditrice de Boris Cyrulnik, ou Anne Carrière, celle de Marcel Rufo, en savent quelque chose !
L’œuvre de Freud étant tombée dans le domaine public en janvier dernier, les Editions du Seuil viennent de rééditer ses trois ouvrages les plus connus (2) dans une nouvelle traduction, plus moderne et plus accessible. Le succès est au rendez-vous. Sur la toile, blogs de psys et forums de patients fleurissent. Tous les grands psys ou presque ont un site à leur nom. Les psychanalystes ont ouvert le leur, baptisé – bien sûr – Rdipe.org… Tout un programme.
On savait déjà que la France détenait depuis longtemps le record mondial de consommation de psychotropes. Mais la passion nationale pour les psychothérapies est plus récente. Arnaud de Saint Simon, directeur de la rédaction de Psychologies Magazine, date cet engouement de la fin des années 90, lorsque la psychologie est sortie d’un certain ghetto intellectuel. «Avant2000, explique-t-il, on n’osait pas dire qu’on allait chez le psy. Aujourd’hui, le tabou est levé. C’est même un peu l’excès inverse.» Totalement réorienté vers l’épanouissement personnel, le conseil et le coaching, avec force témoignages et infos pratiques, le mensuel affiche un tirage insolent : plus de 300 000 exemplaires, contre à peine 100 000 il y a dix ans.
Sommes-nous tous en souffrance ? Pas sûr. «Avant, aller chez le psy, c’était être fou; aujourd’hui, on lui demande de soigner tous nos petits bobos», décrypte sur son blog le psychiatre Christophe Fauré. Marie Trastour, une jeune psychologue clinicienne, confirme : «On sent très clairement monter cette demande dans des milieux favorisés. Les exigences sont fortes, poussées par une quête du bonheur avec un grand B!»
Mais aller voir un psy n’est plus seulement l’apanage de jeunes urbains aisés en quête de réussite (encore la majorité des patients, selon le sondage CSA). Les thérapeutes voient débarquer dans leur cabinet ou à leurs consultations à l’hôpital un nombre croissant de personnes d’horizons très divers, qui ont été touchées par un livre, une émission ou un article. Une forme de désinhibition favorisée par internet, où s’effectue une grande partie des achats de livres sur la psychologie. «Les gens n’ont plus peur d’aller voir un psy, explique le psychiatre Christophe André. Ils viennent y chercher des compétences pour comprendre une société plus complexe, plus fluide et plus mobile qu’autrefois.»
Même son de cloche chez les éditeurs qui surfent sur la vague : «On constate à la fois, dans la société, une injonction de réussir sa vie, son couple, ses enfants, et on s’autorise moins de proximité ou de compassion dans les moments difficiles», explique Mathilde Nobécourt, responsable de collection chez Albin Michel et psychologue clinicienne. «La psyché respire moins bien, dirait un professionnel de la profession, ajoute-t-elle en riant. Forcément, les gens cherchent un moyen pour qu’elle respire mieux.»
Parents déboussolés par des enfants turbulents, salariés dépassés par les mutations de leur entreprise, couples au bord de la rupture, ados en crise… Nous cherchons dans la psy des réponses à nos angoisses. Et, dans notre société d’hyperconsommation, nous en attendons une efficacité rapide. Plus question de passer huit ans sur un divan à fouiller dans les tréfonds de son inconscient en tournant le dos à un analyste muet. La « psychologisation de la société » est allée de pair avec le déclin de l’analyse traditionnelle. Même Woody Allen a fini par se lasser après avoir passé près de quarante ans sur le divan ! «Partout dans le monde, les thérapies en face à face l’emportent sur le divan», estime Anne Millet, auteur d’un essai cinglant sur le déclin de la pratique analytique (3). Elle y met en cause «ces psychanalystes arrogants et méprisants, plus soucieux d’approfondir la connaissance psychique du patient que de chercher sa guérison». Le philosophe Michel Onfray sonne la charge contre Freud lui-même dans un pamphlet virulent publié ce mois-ci : Le crépuscule d’une idole. L’affabulation freudienne (Grasset).
Serions-nous guettés par l’excès de psys ? Certains discours de vulgarisation, la présence des praticiens à la télé pour tout et n’importe quoi, peuvent laisser penser qu’ils ont réponse à tout. Que dire de ces « cellules de soutien psychologique » dépêchées dès qu’un drame survient, y compris auprès de militaires ou de sapeurs-pompiers, pourtant en principe entraînés à faire face à la tragédie ?
L’environnement culturel ajoute à cette omniscience du psy. «Dans certaines séries américaines, par exemple, la psychologie des personnages est devenue très fouillée, très complexe, cela a forcément une influence», ajoute Marie Trastour. L’usage de techniques plus ou moins obscures ajoute à l’intérêt que les malades imaginaires que nous sommes parfois portent au psychisme. Les Américains sont les champions toutes catégories de ces techniques ou recettes miracles. Bref, «à force de vouloir tout psychologiser, on oublie ce que devraient être tout simplement les rapports humains», résume Christophe André. A France Télécom, les psys dépêchés auprès des salariés après chaque suicide n’ont pu empêcher la série noire de se poursuivre. «Aucun psy ne remplacera un bon management», ajoute le médecin.
{{«L’offre psy a largement dépassé la demande»}}
Pourtant, les grandes entreprises sont de plus en plus nombreuses à proposer à leurs salariés une assistance psychologique, généralement extérieure à l’entreprise. Certaines la prennent même à leur charge. Le bien-être des cadres est à ce prix. A moins que ce ne soit la paix sociale… En mauvais termes avec son chef de service, Catherine, qui travaillait au service marketing d’un groupe pharmaceutique, se souvient avoir longtemps résisté aux pressions de sa hiérarchie pour changer de poste. Elle a fini par accepter quelques séances de « coaching » accompagnées d’un bilan de compétences. «Au bout du compte, j’ai compris qu’il fallait que je quitte l’entreprise», dit-elle, aujourd’hui soulagée d’avoir pris «la bonne décision».
Les psys concèdent qu’il est des domaines où la psychologisation est sans doute allée trop loin. Jamais Françoise Dolto, pionnière de la médiatisation de la psychanalyse à la fin des années 70, n’a été autant contestée que lors du centenaire de sa naissance en 2008. Dans Génération Dolto (Editions Odile Jacob), Didier Pleux éreinte le discours doltoïen, coupable à ses yeux d’avoir engendré des «enfants tyrans». Et le pédiatre Aldo Naouri ne dit pas autre chose, lorsqu’il renvoie les parents à leur rôle d’« éducateur ». Mais ces critiques ont leurs limites. «Mieux vaut trop de psys que pas assez», disent en chœur les praticiens.
A condition de bien choisir, ce qui n’est pas chose facile face à la multiplicité des méthodes, dont certaines sont totalement farfelues, voire inquiétantes. Le 7 avril, Georges Fenech, président de la Mission interministérielle de vigilance et de lutte contre les dérives sectaires (Miviludes), s’est ému des risques de dérapages. «On voit des centres proliférer et offrir à la carte toutes sortes de psychothérapies alternatives mais totalement charlatanesques. Si l’on n’y prend pas garde, ils peuvent faire beaucoup de victimes.» Les psys médiatiques justifient souvent leur omniprésence par cette menace : ne pas répondre à la demande incontestable du public, c’est prendre le risque que des personnes peu compétentes ou malhonnêtes profitent du vide laissé par les professionnels.
La mode psy aurait-elle atteint son apogée ? C’est ce que soutient le psychiatre Jean-Jacques Rassial, pour qui «l’offre psy a largement dépassé la demande, entraînant une banale lutte commerciale sur le marché des patients». Consommateurs experts, ces derniers ont acquis des expériences, plus ou moins bonnes, qui atténuent l’idée que ces praticiens sont capables de tout résoudre.
A l’image de François, un jeune chef d’entreprise qui a fait la tournée des psys avec son fils aîné Grégoire, pris de hurlements toutes les nuits. Classiques peurs nocturnes ou troubles liés à l’arrivée d’un petit frère ? «Certains avis frôlaient l’incompétence!» s’étonne-t-il rétrospectivement. Sept ans plus tard, Grégoire était toujours très anxieux. Nouvelle visite chez une pédopsychiatre qui, très vite, met le doigt sur un traumatisme vécu par l’enfant lorsqu’il avait à peine 18 mois : l’agression de son grand-père sous ses yeux. A l’époque, la psychologue de la police avait affirmé qu’il ne se souviendrait de rien ! «La pédopsy nous a dit: voilà, c’est terminé», se souvient François. Depuis, Grégoire va bien. Et, si son petit frère est turbulent, son père se refuse à consulter : «C’est trop facile d’aller voir un psy pour compenser sa faiblesse d’éducation.» Parole d’orfèvre.
(1) Sondage CSA réalisé en juin2006 pour Psychologies Magazine. Près de 8% des personnes interrogées disaient suivre ou avoir suivi une psychothérapie.
(2) L’Interprétation du rêve, Totem et tabou et Le Malaise dans la civilisation. Editions du Seuil.
(3) Psychanalystes, qu’avons-nous fait de la psychanalyse?, d’Anne Millet, mars2010, Editions du Seuil.