A l’occasion de la parution en francais de son livre, “Connectez vous a vous même” aux editions Belfond, l’ingenieur de Google Chade Meng Tan donne une conference en presence du moine Matthieu Ricard au siège de Google France a Paris.

Meng. C’est ainsi qu’il se présente en toute simplicité. Sa veste noire col Mao et son sourire extra-large à l’américaine est déjà un mélange entre Orient et Occident. Chade Meng Tane est l’auteur du best-seller Connectez-vous à vous-même(Belfond). “Connectez”, chez Google, on comprend. “A vous-même”, c’est plus surprenant. Simple jeu de mots renvoyant à la technique de réduction du stress par la pleine conscience, bien connue aux Etats-Unis sous le nom de Mindfulnessbased Stress Reduction,promue par Jon Kabat Zinn.

Tout un “programme”, pour Meng, génie de l’informatique originaire de Singapour, et l’un des premiers collaborateurs deGoogle. Ce soir-là, au siège parisien du géant du Net, point de lignes de codes ou de Big Data. Meng est là pour parler des bienfaits de la méditation au travail. Il n’est pas seul sur l’estrade. Matthieu Ricard en personne est venu en tant que traducteur, dans sa traditionnelle robe de moine tibétain, pourpre et safran.

L’art de convaincre

Pourquoi donc, Meng, informaticien, nous entreprend-il sur la pleine conscience? Parce que ça fait du bien. C’est tellement simple que le “Jolly Good Fellow” de Google, comme il est écrit sur sa carte de visite, en rit. Et la salle rit avec lui. C’est pourtant le plus rationnellement du monde qu’il tente de convaincre, ce soir, les ingénieurs sceptiques de sa société. Il ne commence donc pas en disant : “Plongez en vous-même, apaisez votre esprit.” Il n’aurait aucun succès, reconnaît-il. Avec pragmatisme, il expose d’abord des preuves scientifiques, expériences à l’appui, auxquelles Matthieu Ricard s’est d’ailleurs prêté plus d’une fois.

Et aussi vrai que l’on a démontré le bénéfice du sport pour la santé il y a quelques décennies, il est maintenant prouvé que la méditation est nécessaire au bien-être, au bonheur, comme à la créativité au travail. Pardon, il faut renverser l’ordre des priorités, selon l’exposé: “C’est bon pour votre job et ça rend heureux”, lance Meng. Celui-ci a donc bon espoir que d’ici peu, nous méditions comme nous sculptons nos abdos le matin.

On commence quand? Dès maintenant, avec 10 secondes d’exercice lors de la conférence chez Google, puis le lendemain au Palais Brongniart, qui fait salle comble. Tout le monde se prête au jeu, ferme les yeux et c’est parti: “Restez concentré sur votre souffle, vos sensations et laissez filer les pensées”, nous demande-t-il. Autour de nous, certains commencent déjà à se tortiller. Trop dur? “Si une pensée surgit, ramenez votre attention. Dix pensées vous submergent: dix occasions de vous recentrer et d’aiguiser du même coup le ‘muscle’ de la concentration”, rassure Meng.

Finalement, à ce rythme, il n’y a pas de “mauvaise séance de méditation”. Seulement l’opportunité de renforcer notre potentiel d’attention et de nous reconnecter aux microsensations, aux émotions trop souvent ignorées. Bref, “d’augmenter la résolution de nos perceptions”, pour parler en 2.0.

“10 secondes par heure suffiraient à changer la vie?”

Dix secondes, ce n’est pas un peu court? Dans un premier temps, c’est ce que semble croire Matthieu Ricard. “Nous passons jusqu’à 50 heures à méditer chaque semaine depuis des années et il faudrait croire que 10 secondes par heure dans la journée suffisent à changer la vie?”, lance le moine bouddhiste, presque ironique. Avant de se raviser: “C’est peut-être une manière de connecter toutes les heures par un fil rouge de méditation.” Et les bénéfices sont là: les deux mille “googlers” qui ont mis le doigt dans l’engrenage de la méthode Meng en redemandent.

“Nous avons proposé d’instaurer une minute de silence et de concentration au début de chaque réunion, raconte Dorothée Burkle, directrice des ressources humaines chez Google. Les collaborateurs ont souhaité maintenir le rituel car les réunions étaient ensuite plus efficaces et plus courtes.” CQFD! Et Meng reconnaît que “lorsque les gens apprennent la méditation, ils progressent au sein de l’entreprise.”

Mais pas seulement… Un principe simple est maintes fois rappelé: une conscience de soi élargie permet de faire grandir l’attention à l’autre. Et Meng d’insister toujours plus explicitement sur la bienveillance et la compassion, d’une conférence à l’autre. Comme pour signifier que ce sont peutêtre les vraies finalités de la démarche.

Il va même plus loin et espère créer les conditions de la paix dans le monde par la méditation, nous confie-t-il. Rien que ça? “Je savais que c’était impossible, mais pas à quel point c’était difficile”, s’amuse-t-il. Oh, ce n’est pas pour demain. Le Conseil de sécurité de l’ONU ne s’est pas mis à la méditation, que l’on sache. Mais d’ici une génération, pourquoi pas. Et là, Meng devient très sérieux, expliquant d’ailleurs qu’il participe à la campagne “One Billion Acts for Peace”, lancée par la fondation PeaceJam avec treize prix Nobel.

Le nouvel opium du peuple?

“Beaucoup de bons sentiments”, marmonne une personne assise à côté de nous le premier soir. De fait, on sent pointer un léger trouble quand vient le temps des questions lors des deux conférences. “Quelle est la limite entre la méditation et la religion, et donc quelle est la place de la méditation dans une entreprise?”, demande un auditeur chez Google. Une question si française…

“Méditer n’est pas prier”, répond Meng avec le sourire. De même, “l’entreprise propose ce programme de méditation et ce que chacun trouve en lui-même en méditant n’appartient qu’à lui”, ajoute Dorothée Burkle. Au Palais Brongniart, quelqu’un rappelle qu’au moment de sa création, Google avait fait le serment de ne pas devenir le diable: “Promesse tenue, grâce à votre volonté de rendre vos collaborateurs heureux… et toujours plus productifs?”, interroge-t- il. Mais non, faire du profit n’est pas mal; oui, se faire du bien, c’est faire du bien aux autres, lui répond Meng.

Et quand nous demandons au Jolly Good Fellow, en aparté, si la méditation n’est pas le nouvel opium du peuple, permettant de rester zen en dépit de cadences infernales, il esquive: “En se mettant à la méditation, les dirigeants d’entreprises sauront instaurer des conditions de travail respectueuses.” Soit, mais il ne faudrait pas que cette pratique devienne un outil de management obligé. Et qu’un salarié en burn-out soit déclaré coupable de ne pas avoir assez médité.

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