« On a tout perdu : environ 4,5 millions d’euros. » Christine de Védrines, 62 ans, mère de trois enfants, semble encore étourdie par la somme. Il y a dix ans, avec son mari, Charles-Henri, un obstétricien renommé à Bordeaux, le couple payait l’impôt sur la fortune et possédait le château de Martel à Montflanquin (Lot-et-Garonne).

Aujourd’hui, les époux vivent dans une HLM. Tous leurs biens ont été vendus au profit de deux hommes : Jacques Gonzales, président d’une prétendue fondation humanitaire, Blue light, et Thierry Tilly, 48 ans, père de deux enfants, personnage clé de cette affaire (1), dont personne ne semble connaître avec exactitude le parcours professionnel. Si ce n’est qu’il a déjà été condamné à une interdiction de gérer une société, et à un an de prison avec sursis pour abus de biens sociaux.

Tout commence en 1997, lorsqu’un avocat, Me Vincent David, présente un drôle d’envahisseur, Thierry Tilly, à Ghislaine Marchand (née de Védrines). Elle dirige alors une école de secrétariat à Paris et recherche une entreprise de nettoyage. Entre eux deux, « c’est un coup de foudre intellectuel », assure Me Alexandre Novion, l’avocat de Thierry Tilly. « Ma belle-soeur lui a ouvert la porte de la famille », soupire Christine de Védrines.

Pas à pas, Thierry Tilly va gagner la confiance de Ghislaine Marchand, puis de ses deux frères. Il va écouter leurs confidences, les conseiller dans leurs affaires. « Il est entré dans cette famille comme un homme à tout faire. Et il a fait ses preuves initiatiques », note le psychiatre Daniel Zagury qui a procédé à l’examen psychiatrique de ceux que l’on a surnommé les « reclus de Montflanquin ».

Thierry Tilly, cette pièce rapportée, devient la pièce maîtresse de la famille. À partir de 2001, onze de Védrines vont vivre au rythme des élucubrations de celui qui se présente tour à tour comme un gestionnaire de fortune, un agent secret ou encore un descendant de Charles Quint : Guillemette, la grand-mère aujourd’hui décédée, ses trois enfants Philippe, Ghislaine et Charles-Henri, deux de ses belles-filles, dont Christine, et cinq de ses petits-enfants.

Selon Thierry Tilly, les francs-maçons, mais aussi le fisc, en veulent à cette famille de tradition protestante. Comment réagir ? Ils se retranchent dans le château de Montflanquin, puis dans une autre propriété familiale et enfin à Oxford.

« Je marchais à quatre pattes »

« Il se servait de faits qui semblaient attester qu’on nous en voulait, relate Christine de Védrines. L’une de mes voitures a pris feu juste en sortant de révision. On nous a volé quatre voitures. Le cabinet de mon mari a été inondé à cause d’une gouttière bouchée par une blouse. »

La soumission atteint son paroxysme à Oxford. Thierry Tilly convainc dix d’entre eux que Christine de Védrines refuserait de dévoiler le trésor que des rois de France auraient transmis à sa famille. Et pour lui faire avouer cette invention, elle est forcée de rester assise sur un tabouret, jour et nuit, durant deux semaines. Le chef du groupe et le reste de la famille ¯ y compris son mari ¯ se relaient pour l’empêcher de dormir. « Je me suis évanouie plusieurs fois. Et lorsque cela s’est arrêté, je marchais à quatre pattes. »

Histoire à peine croyable. Comment cette femme, documentaliste de métier, a-t-elle pu ainsi se soumettre ? Selon le psychiatre Daniel Zagury, ces adultes « sans aucune pathologie mentale » ont été victimes d’un mécanisme psychique connu : le transfert.

Thierry Tilly aurait usé à merveille des failles de chacun, ce transfert leur a fait perdre tout libre arbitre. « Les de Védrines ne sont pas devenus bêtes du jour au lendemain. Mais leur intelligence a été mise en jachère », observe le psychiatre.

L’avocat de Thierry Tilly, Me Alexandre Novion, préfère laisser Freud à sa place. Il en veut pour preuve : un douzième membre de la famille, Jean Marchand, le mari de Ghislaine, qui ne croyait pas au personnage de l’agent secret, a mené durant des années le combat pour les en sortir. « Tilly raconte des choses énormes. Et malgré cela, des gens l’ont suivi », s’étonne Me Novion.

Au procès, les élucubrations de Thierry Tilly ont fait plus sourire que trembler… « Ce type de personnalité ne prospère que dans son milieu, explique le psy Daniel Zagury. Retirez le poisson du bocal, il a perdu toute sa superbe. »

(1) Thierry Tilly vient de comparaître pour escroquerie, séquestration et abus de faiblesse de personnes en état de sujétion. Le procureur arequis dix ans de prison pour Thierry Tilly et quatre ans ferme à l’encontrede Jacques Gonzales, jugé pour complicité d’abus de faiblesse. Jugementle 13 novembre.

source :
Ouest-France
jeudi 08 novembre 2012
par Pierrick BAUDAIS.

http://www.ouest-france.fr/actu/actuDet_-Christine-dix-ans-sous-le-joug-d-un-illumine-_3639-2130655_actu.Htm