Elles sont journalistes, militantes féministes ou simple lycéenne. Outre le fait qu’elles sont des femmes, toutes ont un point commun : elles ont été insultées, menacées de viol, ou de meurtre par des auteurs anonymes, ces fameux “trolls” retranchés derrière leur écran d’ordinateur.

Dans Cyber-harcelées : chroniques de l’impunité 2.0., la journaliste de LCI Anaïs Condomines a décidé de donner la parole à ces femmes victimes de cyber-harcèlement et qui ont vu leur vie devenir un enfer après avoir reçu des milliers de messages haineux sur les réseaux sociaux.

Alors que la semaine dernière, la journaliste Nadia Daam, ainsi que les deux créateurs de la ligne “anti-relous” Clara Gonzales et Eliott Lepers, ont fait l’objet d’un déferlement de haine inimaginable sur Internet, considérer que le cyber-harcèlement est un phénomène isolé serait nier l’ampleur du phénomène. En 2014, une étude publiée par la Délégation aux droits des femmes et à l’égalité du Conseil économique, social et environnemental affirmait que 20% des femmes avaient été victimes d’au moins une forme de violence dans l’espace public au cours de l’année écoulée. Selon une autre étude, cette fois-ci réalisée par le ministère de l’Éducation nationale en 2015, 58% des victimes de cyber-harcèlement sont des filles.

Cyber-harcelées : chroniques de l’impunité 2.0. d’Anaïs Condomines

Anaïs Condomines connaît bien le sujet du cyber-harcèlement. Spécialiste pour LCI des sujets relatifs aux discriminations et aux droits des femmes, la journaliste a été victime en janvier dernier de “raids” de la part d’utilisateurs du site jeuxvideo.com après avoir mené une enquête sur leurs méthodes d’intimidation. “Leur but : faire pleuvoir une tonne d’insultes sur une femme qu’ils jugent trop militante pour lui faire passer l’envie de s’exprimer. J’ai fait l’inverse : je leur ai donné la parole, à ces femmes. Ça m’a valu de rejoindre leurs rangs”, raconte Anaïs Condomines en préambule de son documentaire.

“C’est devenu une guerre”

Parce qu’arrêter de s’exprimer, c’est donner raison à ces harceleurs, Anaïs Condomines n’a pas arrêté d’écrire depuis sur les droits des femmes. Mieux : c’est désormais en images qu’elle donne la parole aux victimes de cyber-harcèlement. Parmi elles, se trouve Marion Seclin qui l’an dernier, a reçu plus de 40 000 messages de haine et de menaces pour avoir réalisé pour MadmoiZelle une vidéo où elle dénonce le harcèlement de rue. “Ça a duré un an. Ça s’arrête pas aujourd’hui. Je peux pas dire que c’est fini, ce serait un peu gonflé. Ça s’est évidemment étiolé […] et puis je me suis fait plus rare sur Internet. Il n’y a pas grand-chose que je peux faire sur Internet aujourd’hui qui ne sera pas attaqué par ces gens-là. C’est devenu une guerre”, analyse Marion Seclin, qui explique avoir reçu “des menaces de mort, de viol, des menaces d’aller tuer [sa] famille”.

Ce flot de haine, la militante féministe Caroline de Haas l’a aussi enduré au moment de l’affaire des viols de Cologne. Elle raconte avoir vécu “une déferlante de haine” comme elle n’en avait jamais vécu auparavant. “Ça a eu une conséquence sur ma vie personnelle et ma vie professionnelle, ça m’a atteinte. […] Ils s’en sont pris à moi, à mes enfants, à mon physique […] Ça a atteint mon moral, ça m’a rendue malheureuse, ça a touché mon sommeil, ma capacité de travail.”

Cette atteinte psychologique, cette emprise mentale : c’est exactement ce que recherchent les harceleurs. Et le problème, c’est que ces “vagues de haine”, comme les appellent Marion Seclin, ne s’arrêtent jamais, même lorsque l’on se coupe d’Internet. On a beau garder ses distances, les messages haineux, eux, continuent d’affluer, ce qui impacte irrémédiablement la confiance qu’ont ces jeunes femmes en elles-mêmes.

“À cette époque-là, j’ai voulu disparaître. À force d’entendre dire que ce n’était pas ma place, j’ai voulu prendre le moins de place possible et du coup ne plus être qu’une ombre”, confie Marie, qui a été harcelée par ses camarades quand elle était au collège. “Le vrai problème, c’est l’impossibilité de faire valoir ce truc-là comme un truc douloureux, difficile et qui donne envie d’arrêter de vivre”, abonde Marion Seclin.

La justice impuissante face au cyber-harcèlement

Alors que faire pour combattre les cyber-harceleurs ? Dans les faits, les auteurs de menaces sur Internet tombent pénalement sous le coup de la loi. Depuis 2014, le harcèlement en ligne est une circonstance aggravante au harcèlement classique, explique Me Delphine Meillet, avocate spécialiste de la cyber-criminalité. Le code pénal prévoit ainsi jusqu’à 2 ans d’emprisonnement et 30 000 euros d’amende, et 3 ans d’emprisonnement et 45 000 euros d’amende si la victime est mineure. “La probabilité que la peine fonctionne est extrêmement rare” car “les services de police ne sont pas formés au cyber-harcèlement”, déplore-t-elle. C’est ce qui est arrivé à Marion Seclin, mais aussi à Caroline de Haas dont la plainte a été classée sans suite car les autorités n’ont pas été en capacité de retrouver les auteurs des menaces. “La décision du procureur de Paris de ne pas continuer la poursuite donne le sentiment que c’est autorisé”, constate la militante.

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Par Charlotte Arce
 terrafemina.com