Caroline Montpetit

Édition du samedi 20 et du dimanche 21 juin 2009

{Cela fait vingt ans qu’elle s’intéresse au sujet. Elle a constitué sur la question un imposant dossier. Mais les sectes constituent un thème délicat à aborder, et il fallait trouver un angle. C’est donc maintenant que Chrystine Brouillet publie Promesses d’éternité, son dernier polar, aux Éditions de La Courte Échelle, une nouvelle enquête de la policière qu’elle a créée, Maud Graham.}

La secte décrite par Chrystine Brouillet dans ce polar, l’Espoir d’amour, est inventée, mais les histoires qu’on y retrouve, lavage de cerveaux, exploitation sexuelle, assassinats, sont malheureusement plus réelles qu’on ne croit. En fait, en entrevue, l’auteure va jusqu’à dire qu’elle n’a pas peint la réalité des sectes telle qu’elle l’a lue dans différents rapports, parce que cela aurait été perçu par le public comme étant démesuré.

«J’ai lu des choses sur des sectes qui étaient invraisemblables et dantesques. C’était épouvantable. Je ne pouvais pas mettre ça dans mes livres. C’était démesuré», raconte-t-elle. Elle dit par exemple que les deux adolescents qui tentent d’échapper à la secte dans son roman sont particulièrement résilients, que dans la vraie vie les personnes qui vivent sous le joug d’un gourou ont généralement beaucoup plus de difficulté à s’en dissocier.

«Cela arrive», que des gens s’échappent des sectes, dit-elle, mais ce n’est généralement «pas si facile, si rapide».

L’histoire de Promesses d’éternité lui a été inspirée entre autres par une de ses amies, qui ne s’est jamais vraiment remise de son séjour dans une secte. Au début, raconte-t-elle, «tu es accueillie avec amour par des gens qui te semblent des amis. Puis, finalement, ils ne sont plus vraiment des amis».

Le devoir.com

«Et quand tu commences à comprendre que tu as été piégée, c’est extrêmement angoissant. Ils [les gens qui vivent dans certaines sectes], ne sont pas toujours bien alimentés, parce qu’ils sont plus faciles à contrôler s’ils sont plus faibles. Dans certains de ces endroits, on a la même attitude que dans des camps de concentration», dit-elle.

La secte décrite par Chrystine Brouillet n’est pas sans rappeler l’Ordre du temple solaire, qui a conduit plusieurs personnes à la mort, au Québec et en Europe, il y a quelques années. «Cela peut prendre toutes sortes de noms de thérapies de ressourcement; il y a des trucs très bien, mais il y en a aussi des pernicieux et des dangereux», dit-elle. Quant à la clientèle des sectes, elle est moins typée qu’on le pense, dit-elle.

«Avant, je ne pensais pas que c’était quelque chose qui pouvait m’arriver, affirme-t-elle. Mais je me suis rendu compte que n’importe qui peut être attrapé dans ce genre de groupe sectaire.» Même des gens plus intellectuels ou frayant avec des idées scientifiques peuvent traverser des périodes de fragilité. «Tout le monde est fragile à certaines époques, au moment d’un deuil, d’un divorce, d’une perte d’emploi ou lors d’une période de solitude.»

Combattre le feu par le feu

Dans la vie, Chrystine Brouillet dit être très angoissée. Elle calme ses terreurs en écrivant et affirme qu’elle serait «insupportable» si elle ne le faisait pas. Alors qu’elle a une peur bleue du feu, et qu’elle peut vérifier quatre fois si les ronds de la cuisinière sont bien éteints en quittant la cuisine, elle invente un pyromane, qui est aussi gourou et qui est au coeur de Promesses d’éternité.

«C’est ce qui s’appelle combattre le feu par le feu!», lance-t-elle en riant. En fait, la secte peinte par Chrystine Brouillet fourmille d’individus plus inquiétants les uns que les autres: un gourou pyromane, un spéculateur sans scrupules, un tueur à gages. «Il y a trois sortes de gourous», explique Chrystine Brouillet en entrevue: le leader épris de pouvoir, le capitaliste qui s’intéresse principalement à l’argent de ses recrues et le psychopathe. Il peut aussi y avoir un mélange de tout cela, dit-elle.

Chrystine Brouillet est angoissée, donc. Ces crimes que Maud Graham s’évertue à élucider, elle les soupçonne chaque instant. «Je ne réponds pas à la porte si je n’attends personne», dit-elle. Et les personnages de ses romans n’ont pas de quoi rassurer. Après avoir vu, à la télévision, des gens se livrer à un jeu sadique qui les faisait lancer des poules étêtées sur une marelle, elle invente des hommes qui s’amusent à prendre des paris sur des combats entre humains, qui causent la mort de l’un des combattants. Ces combats de gladiateurs de l’Antiquité, elle ne croit pas qu’ils existent aujourd’hui, du moins pas au Québec, même si elle assure qu’«il y aurait une clientèle pour ça»!

Tout inquiète soit-elle, Chrystine Brouillet est aussi une bonne vivante, qui adore la cuisine et le jardinage. Alors qu’elle planche déjà sur un autre épisode des aventures de Maud Graham, elle projette aussi d’écrire un livre de recettes. Ces deux personnalités ne pourraient pas vivre l’une sans l’autre. Elles cohabitent donc pacifiquement. Avec l’écriture comme médiateur…

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Promesses d’éternité

Chrystine Brouillet

La Courte Échelle

Montréal, 2009, 392 pages