L’acteur prometteur devenu scientologue a compromis sa carrière. Suffira-t-il d’une « Walkyrie » pour lui apporter la rédemption ?
Florence Colombani
C’était hier : l’Amérique des années 80, celle du républicanisme triomphant, où un acteur de seconde zone était président, Wall Street toute-puissante et la guerre froide en passe d’être gagnée. Cette Amérique-là avait le sourire éblouissant et le regard bleu acier de Tom Cruise. Un garçon d’origine modeste, qu’un physique de gagnant et une énergie indéniable transforment en idole du monde entier : l’histoire est vieille comme le cinéma. Cruise, héritier gracieux quoiqu’un peu trop lisse de Gary Cooper et de Paul Newman, devient une icône. Avec « Risky Business » (1983) et « Top Gun » (1986), il se construit une fortune colossale et une carrière en béton armé. Mais, lentement et sûrement, son image se brouille.
Sur les écrans, d’abord. Cruise le masochiste n’aime rien tant que les rôles où on le maltraite et où on l’humilie. Paralysé dans « Né un 4 juillet » (1989), impuissant dans « Eyes Wide Shut » (1998), défiguré dans « Vanilla Sky » (2001), énucléé dans « Minority Report » (2002), obèse et chauve dans « Tonnerre sous les Tropiques » (2008), le voici borgne et promis à une fin tragique dans « Walkyrie » (sortie le 28 janvier). Il y incarne Claus von Stauffenberg, l’officier de la Wehrmacht auteur d’un attentat tardif contre Hitler. On est loin du héros invincible de « Top Gun ». Quelle que soit la qualité des films ou le talent du comédien, ses fans qui ont grandi avec lui n’aiment guère l’image que leur renvoie ce Cruise défiguré et fragile.
Et puis il y a l’affaire Oprah Winfrey : en 2005, tout juste divorcé de Nicole Kidman, Tom Cruise proclame son amour pour Katie Holmes en bondissant sur le canapé de la présentatrice médusée. L’énergie souriante s’est transformée en folie furieuse. Le public perd patience.
Cette année-là, « La guerre des mondes » et « Mission : impossible 3 » déçoivent les attentes des producteurs. La blogosphère s’enflamme quand Tom Cruise et Katie Holmes deviennent parents, moins d’un an après leur rencontre. Un épisode de « South Park » enjoint Tom Cruise de « sortir du placard » (allusion à l’homosexualité supposée de la star dont on raconte depuis longtemps-et sans preuves-que les mariages seraient de convenance). La Paramount lâche l’acteur, avec qui elle avait un accord pour une série de films. Plus grave, le nom de Tom Cruise est désormais synonyme de scientologie. Devenu adepte de la secte en 1986, par l’entremise de sa première femme, Cruise est un prosélyte infatigable de ce salmigondis mêlant croyance dans les extraterrestres, culte de la personnalité et haine farouche de la psychiatrie. Depuis ce fameux été 2005, il a renvoyé son attachée de presse et parle à tort et à travers de la scientologie. Il organise des réunions d’information sur les plateaux de tournage ; tout journaliste voulant l’interviewer se voit proposer une visite guidée de la secte. Le choix de « Walkyrie » participe de cette stratégie.
Voici Cruise, le symbole mondial de la scientologie, en héros de la résistance allemande, alors même que l’Allemagne combat la secte depuis son apparition, par crainte d’une dérive eugéniste… Quel meilleur moyen de réfuter dans l’esprit du public allemand l’association bien établie entre scientologie et spectre du nazisme ? Au départ, les résistances ont été fortes. Le fils de Stauffenberg déclare : « Ce projet ne peut donner qu’un film terriblement kitsch. » Aujourd’hui, la tempête semble apaisée, la ZDF louant même ce « film bien fait et sérieux » . Mission accomplie pour Tom Cruise ? Reste à savoir si le public a encore envie de l’écouter. Après tout, l’Amérique a bien changé : sous la présidence d’Obama, on sait déjà que la star majeure du box-office s’appelle Will Smith. Un autre visage souriant et énergique pour un pays qui rêve de redevenir gagnant
LE Point
Publié le 22/01/2009 N°1897