Des affiches et des autocollants de Civitas se sont multipliés dans l’espace public en France et en Belgique pour dénoncer une « dictature sanitaire ». Dans des tracts distribués chez nous, l’association catholique d’extrême droite empile les éléments de désinformation pour tenter de rallier des personnes à sa cause. Analyse du contenu et décryptage des motivations du mouvement Civitas.
Des visuels de l’association catholique Civitas, qui s’affiche comme étant « La voix du pays réel », sont apparus dans différentes communes de Belgique. Il y a d’abord eu des affiches et des autocollants pour dénoncer ce qui est appelé une « dictature sanitaire » mais aussi une « tyrannie démocratique », faisant référence à la gestion de la crise du coronavirus par les politiques.
Le visuel met en avant la figure de Bill Gates, patron de Microsoft et cible numéro 1 des théories complotistes. Mais, élément plus surprenant, les autres acteurs présents sur les affiches placardées en Belgique sont des responsables politiques français : le président Emmanuel Macron, Edouard Philippe et Jean Castex (l’ancien et l’actuel Premier ministre) ainsi qu’Agnès Buzyn et Olivier Véran (l’ancienne et l’actuel ministre de la Santé).
Des flyers formatés pour la Belgique
Plus récemment, des copies de flyers de Civitas ont été envoyées à la rédaction de la RTBF. Des internautes se posaient des questions concernant le contenu de ces dépliants, distribués dans le centre de Bruxelles. Le visuel de la première page reprend les codes des affiches préalablement placardées dans certaines communes belges, mais il est cette fois adapté et les personnalités politiques françaises laissent leur place à des politiciens de chez nous.
Sur ce « triptyque », Bill Gates occupe toujours le haut de l’affiche mais il est cette fois « accompagné » par Annelies Verlinden (ministre de l’Intérieur, CD&V), Sophie Wilmès (ancienne Première ministre, MR), Alexander De Croo (Premier ministre, Open Vld), Frank Vandenbroucke (ministre fédéral de la Santé, Vooruit) et enfin Charles Michel (président du Conseil européen, MR).
Sous ces personnalités, un titre accrocheur : « La face masquée du coronavirus »; accompagné du sous-titre : « Une étape vers la tyrannie du gouvernement mondial ». On y trouve aussi une invitation à souscrire à un abonnement pour la revue de Civitas et la fin de l’argumentaire contenu dans la page 2, sur lequel nous allons revenir.
Sur cette autre face, on retrouve un argumentaire reprenant des codes, parfois « coronasceptique », ailleurs totalement conspirationniste. Il y a notamment la dénonciation de ce qui est appelé la « tyrannie du gouvernement mondial », en référence à la théorie du « nouvel ordre mondial » qui avance que différents événements qui se produisent dans le monde, comme la pandémie de Covid-19, seraient orchestrés par un groupe d’individus agissant dans l’ombre pour mettre en place un projet totalitaire.
Voici quelques autres points clés de l’argumentaire que nous avons décortiqués :
- « Le nombre de morts est surestimé par les médias et le gouvernement« .
Le nombre de morts liés au Covid-19 n’est pas surestimé par les médias et les gouvernements. En fait, ces chiffres sont même globalement sous estimés, comme l’indique l’Organisation mondiale de la santé (OMS) mais aussi une étude de l’Institute for Health Metrics and Evaluation (IHME) qui est une référence en matière de données chiffrées sur la pandémie.
- « L’inventeur du test PCR, Kary Mullis, prix Nobel, a dit lui-même que « ces tests ne peuvent pas du tout détecter des virus infectieux ».
Comme l’a démontré l’AFP, la déclaration attribuée au créateur du test PCR, Kary Mullis, selon laquelle le test ne fonctionne pas pour détecter un virus provient d’une phrase sortie de son contexte, dans laquelle le Nobel faisait spécifiquement référence au VIH.
- « Le président de la Tanzanie a fait analyser des échantillons de papaye et de chèvre qui ont été déclarés positifs par les laboratoires ».
Cette affirmation est douteuse car elle ne repose sur aucune preuve. Il n’est par exemple pas clair quel type de test a été utilisé pour faire ces analyses. Par ailleurs, comme l’explique CORRECTIV, un média de fact checking allemand, les tests PCR ont été développés pour détecter le virus chez l’homme et ne sont pas faits pour une utilisation sur des animaux ou des produits.
- « Aussi, de nombreux « faux positifs » sont enregistrés comme cas confirmés« .
C’est une affirmation prisée des milieux complotistes, qui considèrent que la pandémie de Covid 19 est exagérée voire inventée par les gouvernements pour asservir la population. Des experts ont déjà expliqué, notamment dans un article d’AFP Factuel, que les tests PCR sont globalement fiables et que les résultats « faux positifs » (ces tests qui se révèlent positifs alors que le patient n’est pas contaminé) sont extrêmement rares et liés en général à de mauvaises manipulations.
- « Les traitements efficaces comme l’hydroxychloroquine (utilisée dans le monde entier et en France sans ordonnance jusqu’en janvier 2020) ont été interdits« .
Plusieurs traitements pour lutter contre le Covid-19 sont recommandés par l’OMS, comme le tocilizumab, le sarilumab ou la dexaméthasone. D’autres traitements ont suscité ou suscitent de l’espoir au sein de la communauté scientifique comme l’hydroxychloroquine ou l’ivermectine. Concernant l’hydroxychloroquine, elle a effectivement été interdite en France et déconseillée par l’OMS à la suite de six essais sur plus de 6000 personnes. L’Organisation mondiale de la santé indique que « l’utilisation de l’hydroxychloroquine à titre prophylactique n’a eu que peu, voire pas d’effet sur la prévention de la maladie, des hospitalisations ou des décès dus à la COVID-19. La prise d’hydroxychloroquine à titre prophylactique contre la COVID-19 peut augmenter le risque de diarrhée, de nausées, de douleurs abdominales, de somnolence et de céphalées« .
- « Certains « vaccins » comme Pfizer et Moderna sont en réalité des injections géniques par ARN messager. »
Le terme « injection génique » n’est pas un terme scientifique. Il est utilisé ici en faisant référence au terme « thérapie génique » et à la modification des gênes qui serait induite par la vaccination avec les vaccins à ARN messager comme Pfizer et Moderna. Cependant, ce point de vue selon lequel les vaccins à base d’ARN modifient l’ADN des patients est erroné. Comme l’expliquent « Les décrypteurs » de Radio Canada : « Les vaccins à ARN messager ne sont pas de la thérapie génique, simplement parce que le matériel génétique qu’ils envoient disparaît assez rapidement et n’a pas la capacité de s’intégrer au génome d’un patient, qui est pour sa part composé d’ADN. Nos cellules ont d’ailleurs la capacité de distinguer l’ADN de l’ARN« .
- « Au 3 avril 2021, l’Union européenne comptabilise 5966 décès suite aux vaccins.«
Cette affirmation est également erronée. Le nombre de décès rapportés dans la base de données de pharmacovigilance européenne, qui centralise les effets secondaires des vaccins contre le Covid-19, ne reprend pas que des décès dont le lien avec le vaccin est avéré. Il s’agit du référencement large de personnes qui sont mortes après avoir reçu le vaccin et dont un lien pourrait être fait avec la vaccination (une personne peut toujours mourir après avoir reçu le vaccin, de vieillesse par exemple). Certains de ces cas peuvent être comptabilisés plusieurs fois dans la base de données. En Belgique, sur 170 rapports concernant des décès, seuls quatre sont probablement liés aux vaccins.
Qui est Civitas qui signe le tract ?
Ces dépliants, ces affiches et autocollants qui dénoncent la « dictature sanitaire » ou « la Face masquée du coronavirus » circulent en ce moment à Bruxelles. Ils ont circulé en avril dernier à Louvain-la-Neuve, mais aussi, selon le journal RésistanceS, qui observe l’extrême droite de très près, dans plusieurs communes de la province de Namur, à Bouge et Champion par exemple. Ils sont donc signés Civitas, avec ce logo qui représente un cœur surmonté d’une croix.
Cette association se présente davantage « comme un lobby qui vise à influencer les décideurs publics dans le sens d’une société intégriste religieuse« , détaille Benjamin Biard, chercheur au CRISP et spécialiste des mouvements d’extrême droite. Son objectif est « de mettre fin à la laïcité de l’Etat français, puisque c’est d’abord en France que l’organisation se développe fin des années 90« .
L’Eglise de la Fraternité, en rupture avec Rome
« C’est la branche politique de l’Eglise de la Fraternité Saint-Pie X« , poursuit Manuel Abramowicz, coordinateur du journal RésistanceS. « Ce mouvement religieux catholique a été fondé en 1970 par monseigneur Marcel Lefebvre. Excommuniée de l’Église par le Vatican en 1988 pour pratiques révolues, cette Eglise poursuit seule sa croisade contre les ‘fausses religions’ (juive, musulmane et protestante) au sein d’infrastructures développées dans le monde entier, à partir de sa ‘capitale’ installée à Écône, dans le Valais suisse », lit-on encore dans le journal RésistanceS. Cette Eglise est en rupture avec Rome depuis le Concile Vatican II (entre 62-65) que l’Eglise en question considérait comme trop moderniste.
De groupuscule, Civitas évolue et devient un parti politique en 2016. Le mouvement gagne en visibilité en 2012 lors des manifestations contre le mariage pour tous. Et c’est aussi cette année-là qu’Alain Escada, un Belge, cadre du Front Nouveau de Belgique, issu d’une scission avec le Front National de Daniel Féret, en devient le président. « Il va donner une impulsion à cette formation politique pour essayer de la faire sortir de ce stade groupusculaire« , décode Benjamin Biard. Cela dit, Civitas est encore très marginal en France.
Quelles valeurs défend Civitas ?
Ses idées se situent clairement à l’extrême droite, avec la théorie du grand remplacement qui avance que les populations immigrées musulmanes vont « remplacer » les populations « blanches et chrétiennes« , la volonté de procéder à une re-migration des personnes étrangères. Civitas s’oppose aussi au multiculturalisme.
Des positions anti-immigration et ultra-conservatrices
Il s’agit donc bien d’une organisation d’extrême droite qui prône l’intégrisme religieux. « Elle est bien ancrée dans la galaxie d’extrême droite. Sur les questions de société, elle est ultra-conservatrice, elle se positionne contre le mariage homosexuel, contre l’adoption par des couples homosexuels, contre l’avortement« , rappelle Benjamin Biard.
Civitas assène aussi un discours antisystème et utilise la pandémie actuelle pour se positionner. L’Institut Civitas dénonce d’ailleurs la campagne de vaccination. « Civitas évoque sur son site web le nombre de péchés que consiste l’action de se faire vacciner, il considère que ce serait participer à l’industrialisation du corps humain« , épingle Benjamin Biard.
En France, Civitas a aussi introduit des recours au Conseil d’Etat par rapport aux mesures de confinement et de couvre-feu pour dénoncer le fait que les fidèles n’aient plus accès aux lieux de culte.
Pourquoi coller ses affiches à Bruxelles ?
Civitas a donc collé des affiches et distribué des dépliants à Bruxelles. D’abord en l’illustrant avec des photos d’hommes et femmes politiques français, puis belges. « Elle tend à se développer avec des campagnes de communication dans le cadre de cette crise sanitaire« , observe Benjamin Biard du CRISP. A étendre son champ d’influences.
Ramener vers l’extrême droite l’électorat conspirationniste
Pour Marie Peltier, historienne et spécialiste du complotisme, « l’extrême droite a mieux compris que les progressistes qu’il faut convaincre l’opinion. Se montrer dans l’espace public, c’est dans l’espoir d’attirer l’œil du citoyen. L’objectif, c’est de ramener vers l’extrême droite l’électorat ‘conspirationniste’, si l’on peut dire. Il fait de l’activisme, tout simplement« .
Par ailleurs, « ça peut être un indicateur que de plus en plus, les extrêmes droites se coordonnent, se parlent, se rencontrent. D’autant plus que nous sommes à Bruxelles. Mais ce n’est qu’une hypothèse« , avance Marie Peltier. Cette démarche cadrerait avec le contexte : « C’est un grand changement dans le logiciel de l’extrême droite, ces dernières années. Elle est par essence nationaliste, l’internationalisme n’est pas dans son ADN, mais avec l’impulsion de Steve Bannon, les extrêmes droites ont compris qu’elles avaient un intérêt politique à s’allier. C’est ce que l’on a vu quand le Rassemblement National s’est allié avec l’extrême droite italienne« .
« En 2024, il y a des élections« , rappelle Manuel Abramowicz, coordinateur du journal RésistanceS. « Du côté flamand, il y a le Vlaams Belang, qui a une branche nationale-catholique. Donc là, ils sont déjà implantés. Mais du côté francophone et wallon, il n’y a plus rien, ou pratiquement plus personne, à l’exception d’un élu à Fleurus, ou d’élus du Parti Populaire, ils veulent donc s’implanter. »
Reste que cette extrême droite reste ultra minoritaire en Belgique. « Il ne faut pas minimiser, mais il ne faut pas non plus rentrer dans une dramaturgie, parce que cela nourrit la machine conspirationniste. Plus il y a de la théâtralité, de la mise en récit et plus le conspirationnisme prétend casser et offrir un autre récit« , prévient Marie Peltier.
source :
RTBF
Aline Wavreille et Grégoire Ryckmans
le vendredi 09 juillet 2021