Veux-tu devenir une « Divine Ladyboss » ? « Te connecter à ton Essence, assumer ta Puissance, reconnecter à ta Vérité » ? C’est ce que propose la coach Élodie, que l’on peut découvrir sur son site Objectif Lune Coaching. Elle présente son projet ainsi : « Je facilite mes clientes (sic) avec sensibilité et intuition dans la compréhension, la réactualistion (sic) et l’optimisation de qui elles sont, afin de les soutenir dans leur croissance professionnelle et individuelle. Ma mission : lier le Sensible, l’Invisible et le Vivant. Leader de Conscience, je prône une approche Quantique du Business, un Leadership Conscient, des Possibilités Infinies et la Richesse du Cœur. » Vous n’avez rien compris ? Nous non plus, à part qu’elle prendrait peut-être les femmes pour de – divines – imbéciles. Elle est loin d’être la seule.
On découvre des dizaines de sites de coachs qui surfent sur cette tendance. La coach de Déesses Business : « Incarnez les énergies de 12 déesses et mettez-les au service de l’expansion de votre vie et de votre entreprise » ; Petite graine d’Essen’ciel, qui propose du coaching pour les femmes chefs d’entreprise, mais aussi un « cercle de femmes autour de la Lune » ; ou encore Emmanuelle, qui se présente comme « coach féminin sacré » – théorie influencée par le New Age qui considère que les femmes auraient un pouvoir secret à redécouvrir – et propose dans le même temps du « coaching business ». Certaines, telle Peggy, proposent même des « bénédictions d’utérus », ce délire mystique créé par une anglaise, Miranda Gray, qui consiste à « se connecter à la toile de féminité créée par les utérus de nos ancêtres maternelles » ! Les entreprises elles-mêmes deviennent des êtres mystiques : « Ton business a sa propre existence identitaire et énergétique », nous dit la coach Vanessa sur son site Dealeuse de lumière. Et le pire, c’est que ce type de formation est soutenu par plusieurs magazines féminins, sans aucun regard critique, comme Au féminin, Terriennes ou encore le magazine Elle qui a sorti un hors-série d’été « Divinatoire » avec plusieurs portraits de cette sorte de coachs.
S’il existe quelques formations de master en coaching, il est bien difficile de comprendre sur quoi se fondent ces coachs. Vanessa, en plus d’une formation de coaching, se présente comme spécialiste en « Human Design & Gene Keys » (« clés génétiques »). Même le magazine Marie Claire qualifie le « human design » de « pseudoscience qui ne dit pas son nom ». Le « human design » mêle l’astrologie, la kabbale, le yi king chinois et la théorie des chakras. Chacun pris séparément, c’est déjà quelque chose, mais alors tous ensemble, c’est mieux que de la drogue. La preuve : « Je suis Projector 1/4 à autorité Splénique et savoir ça a déjà changé ma vie ! Je me suis rendu compte que je voulais agir comme un Generator alors que ce n’est absolument pas qui je suis », explique Vanessa. Nous l’avons contactée, mais elle n’a pas pu nous répondre dans l’immédiat.
Toutes ces formations reposent sur une vision très « essentialiste » des femmes et répondent par de l’ésotérisme à un problème pourtant bien concret : celui de l’égalité professionnelle. Et c’est bien là le souci. Sophie Gourion, elle-même consultante en gestion de carrière, a mis en garde sur Twitter contre cette tendance. « Là où cela peut s’avérer dangereux, c’est que ces formations partent du postulat que, puisque l’on ne peut pas avoir de pouvoir dans la vraie vie, on se réfugie dans l’ésotérisme, en faisant croire que les femmes auraient un pouvoir secret. Or le travail que l’on effectue dans le cadre d’une reconversion professionnelle repose sur des éléments rationnels, ce n’est pas une pensée magique. Au final, ce type de coaching enlève du pouvoir d’agir, et pendant ce temps, les hommes continuent de réseauter ! » déplore-t-elle auprès de Charlie. Pas étonnant que cela se développe : un récent sondage de l’Ifop montrait que 58 % des Français déclarent croire à au moins une des disciplines de parascience (astrologie, chiromancie, sorcellerie, voyance…), et c’est malheureusement pire chez les femmes : 63 %.
Ce coaching, c’est aussi un business juteux, et bien cher pour des thérapies qui ne sont pas prouvées scientifiquement. Le moins onéreux présenté par Objectif Lune Coaching est un « réencodage » qui propose « une réactivation cellulaire de la Grande version de toi, divine et connectée », 220 euros pour deux heures d’une vidéo qui s’apparente à une sorte de méditation ennuyeuse. Le même site, en collaboration avec une autre coach, met en avant une immersion sur deux jours pour 2 000 euros, intitulée « Immersion Phoenix » : une « histoire de femmes qui prennent l’engagement de se surcréer dans le Chaos ». Rien que ça. « Le contenu de l’immersion est gardé secret afin que chacune vienne sans aucune attente, simplement guidée par l’appel de son âme. » Avec cette précision : « La présence de ton Entièreté est requise, toutes les parties de toi, même celles que tu n’as pas encore perçues. » Mais 2 000 euros, si en plus il faut que l’on vienne avec des parties de soi qu’on ne connaît pas, c’est quand même un peu cher. À une personne qui demandait le contenu de l’immersion avant de s’inscrire, une des organisatrices répond avec des éléments tous plus abscons les uns que les autres : au cours de la première journée, un « Reset Cleaner Identitaire », ou encore « Toi dans le champ morphique » ; deuxième journée : « Recevoir toutes les possibilités de ton entreprise et les faire descendre dans la matière », « lecture d’âme d’entreprise et réalignement business », et « Facilitation Quantique et vibratoire ». Précisons que 2 000 euros pour deux jours, ce n’est rien par rapport à d’autres coachings. Le tarif moyen est entre 200 et 500 euros de l’heure, selon l’International Coach Federation (ICF).
Certaines dépassent d’ailleurs le simple coaching pour prendre part à des débats d’actualité. Et l’on découvre d’autant plus combien ces délires ésotériques peuvent s’avérer dangereux. Ainsi, Objectif Lune, quelques jours après les annonces concernant le pass sanitaire, proposait pour ce jeudi 29 juillet un « workshop » intitulé « Quel monde pour demain ? ». Dans son mail de présentation, c’est le relativisme total face aux vaccins : « L’idée n’est pas de se lancer dans des débats sans fin « pro-vax vs anti-vax », il n’y a pas de vérité universelle, chacun décide de ce qui est juste pour soi, pour moi le vrai sujet ne se trouve pas là ». Non, pour elle, « cette période nous permet de voir que les notions d’engagement envers soi, de choix en conscience et de responsabilité sont un peu plus d’actualité chaque jour ». Le « choix en conscience » devient plus important que la vérité scientifique. Et de terminer, encore, par des mots abscons : le workshop « est offert pour les matriciennes et osmosiennes ». Nous avons contacté Objectif Lune, qui ne nous a pas répondu.
Le coaching est un ovni un peu flou, à mi-chemin entre psychothérapie, consulting et formation pro. Des tentatives d’encadrement par la profession elle-même existent. Mais alors que l’on s’attendait à un regard critique sur ce type de coaching, voilà ce que nous répond Sabine Kennedy, chargée de communication au sein de l’ICF : « Le discours rationnel ne fait pas forcément la qualité. Le discours ésotérique peut surprendre, mais cela peut être une expérience qualitative. C’est la force du coaching : il ouvre, alors que notre société peut enfermer. On ne va pas éliminer quelque chose car c’est différent. »
Le métier de coach est reconnu par le ministère du Travail depuis 2016, il est inscrit au Répertoire national des certifications professionnelles (RNCP). Toutefois, les coachings « qui auraient pour finalité le développement des capacités comportementales ou émotionnelles des participants » ne sont pas éligibles au compte personnel de formation (CPF), nous précise le ministère, qui a conscience des risques de dérives de ce métier. Certaines certifications professionnelles ont été refusées pour cette raison, nous explique-t-on.
Le coaching a en effet été épinglé plusieurs fois par la Miviludes. Déjà en 2018, « environ 10 à 20 % des 2 500 signalements que nous recevons par an concernent cet objet mal identifié qu’est le coaching et les coachs », notait Serge Blisko, alors président de l’organisme. Le coaching est mentionné encore dans le dernier rapport de la Miviludes, publié le 22 juillet. « Sur les cinq dernières années, les saisines portant sur des personnalités qui se déclarent coach ont été multipliées par 3, pour atteindre 144 en 2018–2020 » note le rapport. Ainsi quelques stars du coaching sont signalées pour des formations aux prix « exorbitants » : de 40.000 à 100.000 euros sur deux ans. « Des signalements dénoncent la mise en place d’une exploitation des clients et des préjudices très lourds financièrement et psychologiquement ». La Miviludes a même signalé trois coachs à la justice.
La Miviludes a d’ailleurs été saisie précisément pour des coachings concernant le « féminin sacré », ou encore la « bénédiction d’utérus ». Des témoignages auprès de l’organisme dénoncent « une emprise psychologique sur des femmes fragilisées ». « Les échanges qui se déroulent dans ces stages ou ateliers abordent souvent des sujets douloureux pour certaines personnes, pour lesquelles un suivi psychologique réel serait plus utile. Les praticiennes en féminin sacré ne sont souvent pas formées pour accompagner des victimes d’expérience traumatisantes (…) » souligne le rapport. Précisons que les coachs que nous avons cités dans l’article ne figurent pas spécifiquement dans le rapport et n’ont pas été accusées jusque-là de dérives sectaires.
La Miviludes cite par ailleurs du coaching proposé aux hommes : par exemple, Mankind Project, qui propose des stages pour « restaurer » sa virilité et renouer avec son « masculin sacré ». Comme quoi, il y en a pour tout le monde. L’histoire ne dit pas si on y propose des bénédictions de testicules. •