Pour introduire ce sujet, je vais me référer à un auteur engagé du 18 et 19ème siècle français : l’Abbé GREGOIRE. Jean-Baptiste GREGOIRE (1750/1831) écrivit une Histoire des sectes religieuses fondées par des femmes.
GREGOIRE remarque les points communs d’un certain nombre d’entre elles : elles sont fondées sur des visions, des extases et « s’occupent de pratiques auxquelles l’exaltation des idées et l’illumination des sens donnent souvent une tendance plus ou moins marquée vers le libertinage ».

Il remarque déjà que la dévotion des femmes « tient plus au cœur, et celle des hommes à l’esprit ». Les hommes sont dirigés par « la conviction, fille du raisonnement », tandis que les femmes « sont gouvernées par la persuasion, fille du sentiment ».

Il se réfère à la littérature médicale de son temps qui veut que le système nerveux de la femme soit plus faible, plus soumis à l’exaltation, plus enclin au mysticisme, aux extases, aux visions prophétiques, donc au fanatisme. La femme est naturellement plus dévote, mais sa conduite est imprégnée « d’affections terrestres ».
GREGOIRE développe ces idées : « Chez les femmes, presque tout se réduit, dit-on, à l’amour du plaisir et du pouvoir ; mais leur passion la plus énergique est communément celle d’exercer sur les autres une autorité réelle ou d’opinion (……) cette misérable propension agitait déjà MARIE, sœur de MOÏSE quand elle se répandit en murmure contre son frère ce qui lui mérita d’être couverte de lèpre et mise « hors du camp » pendant sept jours.

Les siècles fangeux du Moyen-Âge virent Marguerite PORRETE et cent autres femmes, associant la dévotion à la lubricité, traîner à leur suite des foules d’adhérents.
Naturellement enclines à dominer, les femmes ont souvent manifesté cette propension, en s’immisçant dans le ministère ecclésiastique. Ne pouvant y atteindre, elles s’en dédommagent en s’efforçant d’influencer la conduite de ceux qui l’exercent. Certaines, même, franchissent la barrière élevée entre elles et le sanctuaire, telle Guillemette LA MILANESE, qui au 13ème siècle prêchait, se servait d’habits sacerdotaux et donnait la tonsure aux femmes de sa secte.
Mais, certains mouvements donnèrent aux femmes une place égale à celle des hommes :
– Les Brownistes, vers la fin du 16ème siècle accordèrent aux femmes l’égalité. Dans cette secte, chaque membre avait la liberté de tendre au bien général de la société, sans être comptable de ses actions devant aucun supérieur.
– Les Quakers ou Société religieuse des Amis, au 17ème siècle ont un sens aigu de l’égalitarisme spirituel, en particulier concernant l’égalité des sexes : les hommes et les femmes ont un même droit de prendre la parole durant les cultes.
Au 18ème siècle, GREGOIRE souligne l’importance des femmes de lettres qui forment des groupes véhiculant des idées révolutionnaires, annonçant le courant féministe. L’Ordre des Victimes, fondé vers 1755 par Jacqueline-Aimée BROHON était organisé comme suit :
– le collège apostolique est composé par moitié d’hommes et de femmes
– les femmes auront l’honneur de commencer la mission nouvelle :
o à cause de l’effet de l’amour de Jésus-Christ pour sa Sainte Mère
o pour récompenser la fidélité des femmes à Jésus-Christ dans le cours de sa vie mortelle et de la Passion
o pour humilier le sexe masculin qui a abusé de sa supériorité.
On rencontre également des prophétesses dont l’exaltation est alimentée par les événements de la Révolution : Catherine THEOT, surnommée « la Mère de Dieu. C’est une ancienne domestique du Couvent des Miramiones, qui devient devineresse. Elle se dit investie d’une mission spirituelle et réunit autour d’elle de nombreux disciples qui attendront la venue d’un messie.

GREGOIRE, sans approuver totalement leurs démarches, voit ces femmes comme une sorte de révélateur des valeurs modernes de la religion. Il se montre très réceptif aux aspirations de la modernité démocratique qu’elles véhiculent :
– la liberté de conscience et d’expression
– la morale évangélique
– la critique de la hiérarchie écclésiastique.

Au 19ème siècle, ces prophétesses se rattachent à la mouvance illuminée et philantropique, telle la Baronne Barbara Juliane VON KRÜDENER qui fut reconduite en Russie, de brigade en brigade parce qu’elle avait prié avec le peuple, qu’elle lui avait prédit le jour du dernier jugement et parce qu’elle avait nourri des affamés. Suzette LABROUSSE va prédire la chute du pouvoir temporel du Pape ( elle se disait la Femme de l’Apocalypse).

Après ce bref retour historique, regardons le paysage actuel. Nous retrouvons des femmes qui sont plutôt poussées dans leurs actes par des délires mystiques plutôt que scientifiques : Françoise DERCLE par exemple dit évoluer dans une 3ème dimension et croit à la puissance de l’esprit, Maud PISON qui se déclare une réincarnation de la Vierge de l’Apocalypse, Eliane DESCHAMPS qui reçoit des messages de la Vierge du Christ. Elles ont souvent un esprit brillant : l’une est professeur d’Anglais, elles ont des titres universitaires (parfois totalement inventés, certes), elles créent des structures (Maud PISON fonde un Institut de Recherches Psychanalytiques). Elles ont un sens aigu de la séduction et de la communication. Ce sont souvent de très fines psychologues (elles se présentent fréquemment sous cette étiquette) et des tribuns remarquables, jouant admirablement de leur charisme. Ces derniers éléments sont communs aux femmes et aux hommes, ainsi que des tendances mégalomanes les poussant à créer un groupe pour dominer, à imposer une doctrine, à monopoliser le savoir.

Comme pour les hommes, les femmes-gourous, ou gourelles comme vous voudrez, sont des personnalités pathologiques relevant de la perversité narcissique. Mais , si dans la population générale 25% des pervers narcissiques identifiés sont des femmes, cette proportion est beaucoup plus importante dans le domaine sectaire.

Il existe fréquemment une attention particulière sur l’importance du corps. Ce sont de grandes séductrices qui savent capter l’attention en société par leur beauté, leur charme et/ou leur magnétisme. Elles présentent souvent des troubles alimentaires, faisant preuve de boulimie ou d’anorexie. Cette catégorie de femmes éprouvent une haine profonde pour les hommes, bien dissimulée sous des aspects charmeurs et séducteurs. Elles jouent souvent le rôle de « la mère idéale », passant presque pour des saintes. On les rencontre dans des professions narcissiquement gratifiantes avec une possibilité de pouvoir sur autrui : métiers de la santé, enseignement, poste à haute responsabilité… etc…

Ces personnalités surprennent car on ne s’attend pas à une telle pathologie de la part d’une femme.
Le temps d’approche de leur cible est plus long. Elles prennent plus de temps pour étudier leur cible afin e découvrir les éléments qui vont leur permettre d’asseoir leur manipulation.
Elles utilisent le sexe comme moyen de contrôle. Les hommes, eux, sont davantage dans l’utilisation du plaisir pour rendre l’autre dépendant.
Dans l’ensemble, elles peuvent aller plus loin et être plus dangereuses que les hommes pervers narcissiques, mais leur emprise est tout aussi machiavélique et leurs manipulations tout aussi diaboliques.

A cette pathologie, que l’on rencontre également dans la vie courante, s’ajoute le mythe de la persécution et ce sont souvent de grandes paranoïaques : Maud PISON, Yvonne TRUBERT qui fut la gourelle de la secte IVI (Invitation à la Vie). Elles manifestent une agressivité quasi permanente et deviennent à leur tour de grandes persécutrices : Françoise DERCLE, par exemple contrôlait toutes les correspondances, imposait un travail pénible, incitait à des délations écrites, humiliait sexuellement les adeptes…. Elles font preuve d’une imagination illimtée : Eliane DESCHAMPS, dite « la Petite Servante », fondatrice de « Amour et Miséricorde » décrivait l’apparition de la Vierge tous les ans dans la nuit du15 au 16 Août. Un certain nombre d’entre elles n’hésitent pas à pratiquer l’exorcisme telle MELINE J. surnommée « Maman », grande prêtresse vaudou dans la région parisienne qui arrosait les adeptes du sang d’animaux sacrifiés, leur infligeait des coups de fouet et les humiliait.

Si les hommes-gourous sont souvent la réincarnation d’un chef spirituel, les femmes peuvent l’être également, mais elles sévissent fréquemment dans le domaine des prières et dirigent des groupes tel IVI dont nous avons parlé plus haut, ou encore « Marie, porte du ciel » qui était animé par un couple dans l’île de la Réunion : Augustin VALENCOURT (ancien policier) et sa femme Cécile. Le mouvement du Renouveau Charismatique est, actuellement encore, animé par Anne MERLO qui prône l’unité des chrétiens et milite pour une Nouvelle Eve à grand renfort de DVD largement distribués. Bruno GRÖNING règne toujours sur les esprits par l’intermédiaire du Cercle des Amis de Bruno Gröning (CABG) créé par Grete HAÜSLER . La spiritualité est un domaine largement occupé par les femmes avec tous les supports actuels : Mélanie DEMIR, par exemple, administre un cybergroupe ayant pour titre « Je suis le chemin, la vérité et la vie ».

Le domaine du bien-être est également un terrain d’exploitation désigné. Gabrielle FRECHETTE a créé le Centre Reine de la Paix. Elle prétend qu’un esprit s’empare de son corps et parle à travers elle. Elle se fait appeler Séréna et se déclare Chamane. Dans le centre, on pratique l’expérience de la sudation baptisée « mourir en conscience » et une adepte en a fait l’expérience réelle en 2007 : l’instruction est en cours.

EN CONCLUSION
Les gourelles ont-elles des particularités ?
Ma réponse est affirmative, même si beaucoup de traits sont communs avec les gourous masculins.
Quelques-unes sont dans l’incarnation de la Vierge ou d’une sainte (Sainte Thérèse, par exemple), mais la plupart sont en contact avec au-delà, avec des mondes parallèles, ou directement avec Dieu, Jésus-Christ ou la Vierge. Elles incarnent davantage le mysticisme alors que les hommes seront plutôt dans la force et le pouvoir. Elles aussi sont dans le pouvoir, mais il s’agit d’un pouvoir masqué par le mystère et qui ne peut être décrypté que par elles.
Parce que ce sont des femmes, on se méfie moins d’elles, et cela leur permet de prendre davantage le temps de jauger leur proie, de bien la connaître et ainsi de la « tenir » plus profondément et plus durablement.
Je n’hésiterai pas à les considérer comme plus dangereuses que leurs homologues masculins !

Je vous remercie de votre attention.