Qonspiration… La suite

Les dernières semaines ont été fertiles en rebondissements pour le mouvement QAnon. La défaite de Trump a enhardi un grand nombre d’adeptes, qui croient que l’élection leur a été volée et qui ont redoublé d’ardeur. Bannis des principales plateformes de médias sociaux, les gourous complotistes et leurs fans se sont relogés sur des sites libertariens ou russes.

Par contre, le futur de ce phénomène conspirationniste n’est pas encore clair: des experts prédisent qu’il pourrait y avoir un essoufflement du mouvement, du moins chez certains adeptes moins radicaux. L’exode a déjà commencé : un ancien adhérent nous raconte comment QAnon est entré, et puis sorti, de sa vie.

Coronavirus et crime organisé : profiter de la crise

Des organisations criminelles, partout dans le monde, profitent de la pandémie pour accroître leurs activités, pour augmenter leur emprise sur des populations, pour blanchir de l’argent, pour se montrer « philanthropes » et pour consolider un bouclier humain contre les autorités dans des régions où elles sont déjà puissantes.

Grâce à des coffres-forts bien remplis et à une situation économique devenue difficile, complexe ou même catastrophique dans plusieurs endroits du monde, les mafias, les cartels de la drogue, les gangs de rues, et même les organisations terroristes essaient de profiter du moment pour obtenir des avantages économiques, militaires, stratégiques et de positionnement socio-politique.

La défaite de Trump n’aura pas sonné le glas de ce mouvement conspirationniste. De nombreux adeptes restent convaincus que l’élection leur aurait été volée. Mais pour d’autres, l’emprise s’est relâchée : Enquête a recueilli leur témoignage.

L’avenir de QAnon – mouvement conspirationniste qui idolâtre le président américain – semble incertain maintenant qu’il est en réalité acquis que Donald Trump ne sera plus à la tête des États-Unis après le 20 janvier.

Q, qui est au cœur de cette conspiration, avait presque promis la victoire de Donald Trump, mais les résultats de la présidentielle illustrent l’échec de cette prédiction.

Pendant plus d’une semaine après le jour du scrutin, Q a disparu de la toile. Il n’a refait surface que le 13 novembre, soit quelques jours après que la victoire eut été livrée à Joe Biden, avec des phrases sibyllines qui se voulaient rassurantes. Il devait en être ainsi, écrit-il sur le forum anonyme 8kun. Parfois, il faut traverser l’obscurité avant de voir la lumière.

Les convaincus y ont interprété un nouveau cri de ralliement, un appel à redoubler d’efforts pour combattre l’élite au nom de Trump. Mais pour d’autres, c’était le début d’un réveil brutal. QAnon, qui multiplie les fausses promesses depuis plus de trois ans, leur avait livré une déception de trop.

Nous avons été bernés par cette histoire de Q, écrivait un internaute quelques jours après l’élection.

Traduction de ce tweet : Alors vous êtes prêts à abandonner et à admettre que c’est maintenant le Venezuela? Nous avons été bernés par cette affaire de « Q ».

Le réveil

QAnon est désormais un mouvement international qui a évolué bien au-delà de Donald Trump et des écrits du fameux Q. Des centaines de milliers de gens se sentent interpellés par ce système de croyances qui, outre les histoires de célébrités cannibales et de politiciens satanistes, parle de redonner le pouvoir au peuple.

Bien que plusieurs vont continuer à s’enfoncer dans ces croyances conspirationnistes, les experts en matière de radicalisation prévoient que certains facteurs – notamment, l’investiture de Joe Biden et l’éventuelle fin de la pandémie – vont mener à un essoufflement du phénomène.

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Un petit exode a déjà commencé. Sur le site web Reddit, quelques ex-adeptes racontent pourquoi ils ont tourné le dos au mouvement.

Un de ces forums est modéré par Jitarth Jadeja, un Australien de 32 ans qui, pendant deux ans, a été complètement obnubilé par QAnon. Par l’intermédiaire de Reddit, il participe maintenant à un réseau d’entraide pour les survivants de ce mouvement qui a presque gâché sa vie.

Je me levais le matin, je vérifiais si Q avait publié de nouveaux messages. Après, j’allais sur n’importe quel forum, Reddit ou 8chan, pour parler des derniers Q-drops.

Jitarth Jadeja

Au zénith de son obsession, Jitarth Jadeja estime qu’il consacrait 80 % de ses heures d’éveil à QAnon. Tu es devant ton ordi toute la journée, tu dors mal, tu ne quittes jamais la maison, tu manges mal, énumère-t-il.

Bien qu’on puisse penser que la majorité des adeptes de QAnon s’y retrouvent par amour pour Donald Trump, c’est plutôt son appui pour Bernie Sanders qui a mené Jitarth Jadeja vers le mouvement. La défaite du candidat gauchiste lors des primaires démocrates américaines de 2016 l’a amené à soupçonner que les politiques américaines – et les médias de masse – étaient contrôlées par des forces obscures.

À la recherche d’un média alternatif qui appuyait cette thèse, Jitarth est tombé sur la chaîne YouTube du célèbre conspirationniste américain Alex Jones, qui l’a initié à QAnon. Ce jour-là, il accueillait deux invités à l’émission qui parlaient d’un proche du gouvernement Trump qu’ils appelaient Q, se souvient-il. L’obsession était déclenchée.

C’est également sur YouTube qu’Antoine Fortin, un Montréalais de 25 ans, a appris l’existence du phénomène. Cet été, il a passé deux mois à dégringoler dans ce qu’on appelle souvent le terrier du lapin.

Je suis quelqu’un qui aime aller au fond des choses dans la vie, dit-il. Dans la situation de la COVID, j’étais incapable, j’essayais de trouver des réponses, mais il n’y en avait pas.

C’est l’algorithme de la plateforme qui lui a livré son entrée en matière, une vidéo intitulée QAnon : la tempête. La discussion était coanimée par le conspirationniste québécois Alexis Cossette-Trudel, le polémiste Stu Pitt et un blogueur QAnon nommé Daniel Latulippe, qui jasaient entre autres du fait que la pandémie avait été exagérée pour empêcher la réélection de Trump.

C’était rassurant, dans le sens où même si ce qu’ils proposent est encore plus freakant (que la réalité), t’as comme l’impression d’avoir une vision différente, affirme-t-il. À force de fouiller pour comprendre les ramifications de ce mouvement-là, je me suis fait entourlouper par leurs sornettes.

Mais ses nouvelles croyances ne faisaient pas l’unanimité auprès de ses proches. Ça devient vraiment malsain, tu te mets à douter et à avoir des discours que tes amis disent : “Slack un peu YouTube là, c’est correct que tu t’informes, mais on a l’impression que tu dérailles un peu”.

Jitarth Jadeja dit s’être mis à dos tout son réseau. J’étais agité, fâché, et quand j’entrais dans une pièce, la tension montait, se souvient-il. Tout le monde détestait ça. Son seul allié était son père, qu’il a réussi à convertir au mouvement. Ce dernier demeure d’ailleurs fermement ancré dans ses croyances conspirationnistes, au grand dam de son fils.

La culpabilité que je ressens face au fait que mon père est encore là-dedans, et que c’est moi qui l’ai recruté, je me trouve diabolique.

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La déprogrammation

C’est un podcast humoristique nommé Le Crachoir, qui se moque des conspirationnistes, qui a amené Antoine à décrocher de QAnon d’un coup sec. Ils ont exposé les manigances de façon honnête et directe, explique-t-il. J’ai réalisé que beaucoup des gens qui je pensais avaient une vérité, étaient en fait des gens qui se contredisaient, qui récoltaient beaucoup d’argent.

Antoine Fortin se dit soulagé de ne s’être trempé qu’à mi-cuisse dans l’univers QAnon, qu’il considère maintenant comme une secte. J’ai l’impression que si j’avais continué, tu peux tout remettre en question et tomber dans des patterns et des ramifications qui vont vers des sujets beaucoup plus dangereux et extrêmes.

Jitarth Jadeja parle plutôt d’une déprogrammation graduelle, catalysée par les incohérences et les faussetés qu’il avait commencé à déceler dans les propos de QAnon. Aujourd’hui libéré de ses tendances complotistes, il dit être hyperconscient des dérapages que peut entraîner le mouvement.

Les adeptes de QAnon croient participer à la bataille du bien contre le mal, explique-t-il. Ils pensent affronter des méchants qui boivent le sang des enfants, qui veulent tuer leurs familles. Quand tu crois à des choses pareilles, tu veux que tes ennemis brûlent.

Il ne reconnaît plus la personne qu’il était pendant cette phase conspirationniste. Je ne savais pas que j’étais capable de pensées aussi noires.

Fragmenté mais dangereux

Malgré la défaite de Donald Trump, les passions extrêmes soulevées par QAnon vont continuer d’alimenter les plus convaincus, croit David Morin, cotitulaire de la chaire UNESCO en prévention de la radicalisation et de l’extrémisme violent. Une partie des gens de QAnon pourrait être démotivée, dit-il. En revanche, on pourrait aussi assister à la radicalisation d’une minorité de gens au sein du mouvement qui va considérer qu’ils entrent en résistance contre l’État profond.

S’il ne croit pas que les adeptes de QAnon vont organiser un appel structuré à la violence, il craint que certains éléments plus radicaux se sentent poussés à commettre des actes dangereux.

Aux États-Unis, près d’une dizaine d’événements violents, dont deux meurtres, seraient liés au mouvement. À Philadelphie après les élections, deux hommes armés arrêtés pour avoir prétendument voulu s’attaquer à un bureau de comptage de vote étaient au volant d’un camion orné de autocollants QAnon.

Une fois que ces gens ont coupé tous liens et dialogue social et qu’ils se retrouvent dans une bulle, on continue de les alimenter, et là, dans un contexte où on a de l’anxiété généralisée et du stress chronique à cause de la COVID, ce genre de discours agit comme carburant pour des passages à l’acte, explique David Morin.

Jitarth Jadeja ajoute que dans plusieurs cas, les adeptes de QAnon se font eux-mêmes violence, soit en s’isolant de leurs proches ou en refusant de consulter un médecin. Il raconte que le choc causé par sa propre déradicalisation était tel que, sans l’appui de sa famille, il se serait sûrement suicidé. Imagine, tu passes des années à promouvoir ces idées, dit-il. Mon monde s’est écroulé quand j’ai réalisé que j’avais été manipulé.

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Dans un contexte où des dizaines de milliers de Québécois adhèrent désormais à une forme de théorie liée à QAnon, David Morin prévient qu’un plan d’intervention sera nécessaire. On a besoin d’une stratégie globale au Québec pour faire face à cette situation, parce qu’elle n’ira pas en s’améliorant. On va vivre avec les effets de la pandémie sur la psyché de nos citoyens pendant encore des mois et des années.

Antoine Fortin souligne l’importance de l’éducation. On sous-estime notre pouvoir à utiliser Internet, dit-il. Je n’ai pas l’impression qu’on est vraiment en mesure en tant que société de comprendre l’impact que le web, les applications, l’interconnectivité peuvent amener comme répercussion.

source :

https://ici.radio-canada.ca/nouvelle/1750385/qanon-complotiste-liberation

19 novembre 2020.

RADIO-CANADA /

par Brigitte Noël