Depuis une dizaine d’années, le développement des réseaux sociaux a encore accentué leur visibilité et augmenté leur ampleur. Il en existe aujourd’hui des centaines, des plus classiques aux plus farfelues, comme cette croyance selon laquelle le monde serait gouverné par les reptiliens ou encore cette théorie qui prétend que l’Australie n’existerait pas.   

THÉORIE DU COMPLOT – Les théories du complot ont toujours existé. Avec le temps, elles se sont diversifiées et mondialisées. Internet, qui a connu un développement fulgurant au début des années 2000, semble avoir joué un rôle prépondérant en leur offrant une large vitrine. Pour l’historienne Marie Peltier, les attentats du 11 septembre 2001 constituent un événement clé du développement de théories conspirationnistes modernes, dont les États-Unis sont d’ailleurs très souvent la cible. L’invasion de l’Irak en 2003 a probablement contribué à amplifier le phénomène, les mensonges d’état et les vrais complots étant un terreau fertile pour les théories conspirationnistes.

Depuis une dizaine d’années, le développement des réseaux sociaux a encore accentué leur visibilité et augmenté leur ampleur. Il en existe aujourd’hui des centaines, des plus classiques aux plus farfelues, comme cette croyance selon laquelle le monde serait gouverné par les reptiliens ou encore cette théorie qui prétend que l’Australie n’existerait pas.

Ces théories se basent en partie sur des informations fausses, les fameuses “fake news”. En 2018, une équipe de chercheurs du MIT a réussi à montrer qu’une fake news avait 70 % de chances en plus d’être partagée qu’une information vraie, notamment sur Twitter. La raison serait la suivante: elles suscitent davantage d’émotions comme la surprise, le sentiment de nouveauté, la peur ou le dégoût. Par ailleurs, les fake news à caractère politique se propagent trois fois plus vite que les autres, avec toutes les conséquences que l’on imagine. On sait par exemple que les fake news concernant Hillary Clinton ont joué un rôle décisif dans l’élection de Donald Trump en 2016. On leur attribue également l’élection du président brésilien Jair Bolsonaro en 2018. Lui et ses fils ont en effet utilisé le réseau Whatsapp pour diffuser à l’échelle nationale une information concernant un manuel d’éducation sexuelle qui aurait été diffusé par la gauche dans les écoles pour éduquer les enfants à l’homosexualité. Ce manuel n’a en réalité jamais existé.

Les complots au quotidien

Nous sommes tous confrontés quotidiennement aux théories du complot et distinguer le vrai du faux demande du temps et des compétences. Je me suis rendu compte récemment de l’énergie que cela prenait lorsque j’ai décidé de me prêter au jeu pendant le confinement lors duquel je recevais régulièrement des vidéos complotistes via les réseaux sociaux. J’avais fait le choix de ne pas y répondre pour éviter des discussions interminables et les tensions qu’elles peuvent générer. J’ai néanmoins décidé un jour d’analyser point par point une vidéo qu’un ami m’avait envoyée. C’était une vidéo anti-vaccin de Christian Tal Schaller, ce médecin complotiste très actif sur Internet. Dès les premières secondes, cette vidéo m’a rendu suspicieux par le ton et les arguments utilisés.

J’ai tout de même fait l’effort de la regarder jusqu’au bout. Je tombai alors sur une faille qui portait un coup définitif au délire paranoïaque de Mr Schaller. Il affirmait que Bill Gates avait tué des centaines d’enfants en Afrique avec le vaccin contre la malaria. Or, j’avais effectué un voyage de deux mois en Afrique et je savais que ce vaccin n’existait pas. Comment un vaccin peut-il faire des centaines de morts s’il n’existe pas? Et pourquoi mettre des morts imaginaires sur le dos de Bill Gates? Je me donnai ensuite deux semaines pour décortiquer la vidéo et j’envoyai ma réponse à cet ami via un document détaillé. Il me remercia et me dit qu’il avait beaucoup appris. J’étais satisfait, et soulagé… Il semble donc que faire l’effort de déceler les fausses informations au sein des théories du complot, tout en évitant de stigmatiser la personne soit une bonne méthode. Plus tard, je décidai de partager cette expérience avec mes étudiants dans le cadre d’un de mes cours sur l’esprit critique, les biais cognitifs et l’analyse de l’information.

Décoder les théories du complot

Décoder les théories du complot est un travail pharaonique qui relève du mythe de Sisyphe, car de nouvelles théories apparaissent régulièrement. Mais avec l’expérience on peut néanmoins apprendre à les détecter plus rapidement. Qu’elles soient anciennes ou récentes, ces théories utilisent généralement les mêmes ingrédients. Comme le montre l’exemple cité ci-dessus, une des forces des théories du complot est qu’elles mélangent de manière subtile le vrai et le faux dans le but de semer le doute. Raison pour laquelle on est parfois tenté d’y croire et qu’il est difficile de s’y retrouver. On l’observe particulièrement aujourd’hui à l’heure où tout le monde porte un masque et où on est dans l’attente d’un vaccin pour le Covid-19.

Depuis des années, des théories complotistes accusent les vaccins de causer l’autisme, des paralysies ou encore la sclérose en plaques. On leur reproche notamment de contenir de l’aluminium. Or, on sait que l’aluminium peut être nocif pour la santé. Prises séparément, ces deux affirmations sont donc vraies. Par contre, prises ensemble, elles laissent penser que les vaccins seraient dangereux pour la santé, ce qui est faux. L’aluminium est utilisé comme adjuvant dans certains vaccins pour favoriser la réaction immunitaire et il est connu qu’à des doses importantes l’aluminium peut avoir un effet neurotoxique. Mais la dose présente dans les vaccins est jusqu’à dix fois moins élevée que la quantité d’aluminium que l’on absorbe quotidiennement via notre alimentation par exemple, ce qui rend impossible tout effet toxique via un vaccin.

Pour couper l’herbe sous le pied des complotistes, on peut préciser que ceux qui travaillent actuellement sur un vaccin contre le Covid-19 ne prévoient de toute façon pas d’utiliser d’aluminium. Certains groupes anti-masques mélangent également le vrai du faux lorsqu’ils prétendent que le fait de porter un masque serait dangereux, car il concentrerait le CO2 que l’on expire. En effet, le taux de CO2 augmente bien dans les masques, car nous expirons du CO2 à l’intérieur de celui-ci. Cela peut s’avérer gênant lorsqu’on n’a pas l’habitude, comme nous en avons tous fait l’expérience. Mais la réalité est que cette augmentation est beaucoup trop faible que pour être à l’origine d’une intoxication. Il a ainsi été démontré que le fait de porter un masque ne modifiait pas la quantité d’oxygène dans le sang. Dans le cas contraire, on voit mal par exemple comment des chirurgiens pourraient opérer plusieurs heures d’affilée avec un masque.

Les complotistes ne croient pas au hasard

Une des caractéristiques des théories complotistes est qu’elles confondent souvent corrélation et cause à effet. Il peut arriver qu’une corrélation entre deux phénomènes soit due au hasard, ou à une cause commune à ces deux phénomènes. Mais les complotistes ne croient généralement pas au hasard. Ils croient au contraire que tout est lié, organisé et prévu d’avance par des personnes mal intentionnées ayant beaucoup de pouvoir, comme les politiciens, les scientifiques, ou les hommes d’affaires comme Bill Gates. Ils ne croient pas non plus aux coïncidences. Certaines théories ont ainsi laissé entendre que le Covid-19 serait apparu à cause de la 5G. Ceux qui les ont propagées se sont notamment servis de cartes qui prétendaient montrer une corrélation entre le développement de la 5G dans certaines régions et l’apparition du coronavirus, notamment dans les grandes métropoles comme Wuhan. Premier problème, il a été démontré que certains avaient utilisé de fausses cartes qui ne montraient en réalité pas le réseau 5G, mais bien le réseau de la fibre optique. Deuxième problème, les premiers essais de la 5G datent d’environ deux ans avant l’apparition du Covid-19. À côté de cela, il est assez logique que ce virus et la 5G se soient tous les deux développés principalement dans les zones peuplées. La densité de population pourrait donc expliquer qu’il existe une certaine corrélation entre les deux par endroits, ce qui ne veut pas dire que la 5G soit à l’origine du Covid-19. Selon cette logique on pourrait tout aussi bien affirmer que le niveau de pollution dans l’air serait la cause de l’épidémie vu qu’il y a plus de pollution et de contaminations dans les grandes villes.

Ce qui doit retenir notre attention

Plusieurs autres éléments doivent retenir notre attention lorsqu’on est confronté à une théorie du complot. La vision du monde y est souvent fataliste et pessimiste, et les personnes qui les propagent ne se focalisent pas sur des solutions constructives pour remédier aux problèmes. Elles invitent juste à “se réveiller”, à ne plus être “des moutons”, à se rebeller et surtout à partager des vidéos sur les réseaux sociaux. Elles invitent à douter de tout en permanence et sans nuances, notamment de tout ce qui est “officiel”. Cela peut expliquer que les personnes qui défendent les idées complotistes ont généralement du mal à débattre et à admettre un autre point de vue que le leur. Elles ont une forme d’obsession pour leurs idées et ne font pas preuve de beaucoup de flexibilité mentale. Tout en cherchant à convaincre, elles sont persuadées de détenir la vérité et d’être initiées à un savoir caché auquel les autres n’ont pas accès. Il y a donc une forme de dimension ésotérique dans certaines théories du complot, à l’instar de ce qu’on peut constater dans des mouvements religieux à tendance sectaire. Par ailleurs, l’esprit critique y est présenté comme une vertu essentielle alors il n’est utilisé qu’à sens unique.

Les personnes qui croient aux théories du complot consultent peu les sites de fact checking et ils sont très critiques envers les médias traditionnels dits “mainstream”. Mais ils ne le sont pas du tout envers les médias complotistes qu’ils consultent abondamment. Ils sont donc victimes d’un puissant biais de confirmation en s’enfermant dans un univers médiatique limité à Internet, et ne considèrent souvent comme valables que les informations qui vont dans leur sens.

Des travaux ont également montré que les complotistes ont souvent une estime d’eux-mêmes assez faible, sont peu satisfaits de leur vie et croient que “le système” est la cause de leurs problèmes. Ce sentiment de posséder la vérité et le besoin d’avoir raison devient alors un moyen de se valoriser, comme une sorte de revanche. Les communautés qui se créent autour des théories complotistes procurent également du soutien et un sentiment d’appartenance.

On le constate aux USA dans les groupes qui croient que la terre est plate (les “flat earthers”) ou chez les adeptes de QAnon par exemple, qui se montrent soudés sur Internet ou à travers l’organisation de meetings. Les psychologues Patrick Leman et Marco Cinnirella ont également constaté que les complotistes confondent souvent cause et conséquence et pensent qu’il ne peut y avoir de conséquences majeures sans cause majeure. Par exemple, pour eux les effets de la pandémie actuelle sont si importants qu’elle ne peut être que l’œuvre d’un énorme complot destiné à nuire à la population mondiale. C’est notamment ce que laisse entendre le documentaire “Hold Up”, relayé abondamment sur les réseaux sociaux depuis quelques jours. Dans le même ordre d’idées, si en 2015 Bill Gates évoquait les risques d’une éventuelle future pandémie, c’est forcément qu’il a orchestré celle qu’on connait actuellement.

Enfin, une méthode qui peut être utilisée pour détecter et remettre en question les théories du complot est le fait de relever leurs nombreuses contradictions. L’une tentera par exemple de nous convaincre que le Covid-19 n’existe pas alors que l’autre nous expliquera que ce virus n’est pas plus dangereux qu’une grippe. L’une nous dira que le réchauffement climatique est un canular et l’autre tentera de nous démontrer que la pandémie est un complot organisé pour réduire la population mondiale afin de réduire le réchauffement climatique. Difficile d’y trouver de la cohérence. La réalité est que ces théories surfent sur nos ignorances, nos incertitudes et nos angoisses. Elles surfent aussi sur les incertitudes des scientifiques qui doivent faire face à un phénomène nouveau qui prend du temps à être étudié et compris. Mais là où les théories du complot cherchent à imposer des certitudes et proposent des réponses simples à une situation complexe, la science avance par petits pas et laisse toujours de la place au questionnement. À nous désormais de nous donner les moyens pour pouvoir faire la part des choses entre les deux.

source :https://www.huffingtonpost.fr/entry/comment-faire-face-aux-theories-du-complot-a-lheure-du-covid-19-blog_fr_5fbfc936c5b66bb88c64f8c8?ncid=newsltfrhpmgnews#EREC-101