{{L’article du code pénal qui permettait d’interdire la secte a été supprimé par une loi censée simplifier et clarifier les textes en vigueur.}}

Depuis que la Miviludes, mission de lutte contre les dérives sectaires, a tiré la sonnette d’alarme, ce lundi 14 septembre, la question est dans toutes les têtes : « Comment a-t-on pu en arriver là » ? Comment l’article du code pénal qui permettait la dissolution pour « escroquerie » d’une secte est-il passé à la trappe ? Consternation des militants anti-secte, et rétropédalage un peu chaotique du côté du pouvoir. Retour en trois points sur une bourde.

{{Comment l’info est-elle sortie ?}}

La modification du code pénal est intervenue le 12 mai 2009, par une loi dont on a déjà beaucoup dit qu’elle était « fourre-tout ». Le texte n’émane pas de l’exécutif, puisqu’il s’agit non pas d’un projet de loi mais d’une proposition de loi, à l’initiative du député UMP Jean-Luc Warsmann, président de la commission des lois à l’Assemblée.

Sa mouture, que vous pouvez découvrir ici, avait été déposée le 22 juillet 2008. Discussion au Palais Bourbon, puis au Sénat, vote définitif le 12 mai 2009. Y compris la floppée de dispositions de l’article 44, qui supprime donc la possibilité de dissoudre une personne morale pour escroquerie.

A l’époque, personne pour lever le sourcil, surtout pas sur cette disposition, qui peut pourtant s’appliquer aux sectes. Trois semaines plus tard, le parquet de Paris prononcera des réquisitions tonitruantes dans le très médiatique procès de la Scientologie, requérant la dissolution historique des deux principales structures françaises. Réquisitions aujourd’hui caduques, alors que le délibéré dans cette affaire est prévu pour le 27 octobre.

Du 12 mai au 4 septembre, rien neuf sous le soleil. Puis l’ex-député UMP Georges Fenech, qui se trouve être magistrat et président de la Miviludes, raconte à Rue89 avoir découvert la chose au début du mois en feuilletant une revue mensuelle de droit :

« Je feuilletais un article de doctrine juridique et j’ai découvert qu’on avait supprimé la dissolution pour escroquerie. Comme le procès de juin avait été marquant, ça m’a sauté aux yeux. »

Quel était le but cette modification ?

La loi du 12 mai 2009 vise très explicitement « simplification, clarification du droit et allègement des procédures ». Dans les faits, il s’agit grosso modo de faire le ménage pour alléger le code pénal, en supprimant notamment les obsolescences du droit.

Rue89 a demandé à la chancellerie combien de fois la disposition permettant de dissoudre une personne morale avait été utilisée depuis dix ans. Réponse : « Huit fois depuis 1998. » Mais personne, place Vendôme, pour savoir précisément si la question s’était posée pour des sectes. En réalité, cela n’a jamais été le cas, comme le confirme la Miviludes.

Peut-on parler d’obsolescence à raison de huit fois en onze ans ? Michèle Alliot-Marie a clairement fait savoir qu’il s’agissait d’une erreur, précisant au micro d’Europe 1 que la disposition serait réintroduite dès que possible dans la loi. (Voir la vidéo)

Guillaume Didier, porte-parole de la ministre de la Justice, précise :

« Un tribunal peut toujours prononcer l’interdiction à titre définitif d’exercer une ou plusieurs activités professionnelles ou sociales, ainsi que la fermeture définitive des établissements ayant servi à la commission de l’infraction, en matière d’escroquerie. »

C’est vrai, et c’est lié à un autre article du Code pénal, en l’occurence le 131-39. Mais il n’empêche qu’on a du mal à comprendre comment une telle modification de fond a pu être introduite provoquer de réaction. Georges Fenech, à la Miviludes, réclame par exemple « une vraie discussion législative pour ce qui n’est pas qu’un changement rédactionnel de pure forme ».

Guillaume Didier, toujours au ministère :

« C’est vrai, même si le gouvernement a suivi de près le travail législatif, personne n’a mesuré la portée de ce changement. Ce n’était pas à proprement parler “un article sur les sectes”, c’est donc passé inapperçu. Le reste des changements étaient des changements rédactionnels, c’est donc une erreur. »

Y a-t-il eu « infiltration » de l’Assemblée par la Scientologie ?

Alors que l’info est sortie lundi soir, plusieurs riverains ont déjà contacté Rue89 pour évoquer une possible « infiltration » de la commission des lois (que préside Warsmann) par des pro-sectes. Evidemment, on a posé la question à Georges Fenech, qui connaît aussi bien les stratégies des sectes que les arcanes de l’Assemblée pour avoir été député jusqu’à l’an dernier. Sa réponse :

« Ecoutez, je fais confiance aux institutions de la République et je me réjouis de voir la réponse de Michèle Alliot-Marie. Mais il n’empêche que je ne comprends pas l’absence de traçabilité sur un point qui n’est pas du tout formel.

Jean-Luc Warsmann, contrairement au ministère de la Justice, n’a pas du tout parlé de “bourde” : il continuait, lundi soir, à dire que la disposition avait été prise en pleine connaissance de cause et que le droit suffisait en l’état. »

Assez pour relancer les spéculations sur un lobbying sectaire auprès des juristes de l’Assemblée ? Jean-Luc Warsmann a promis de rappeler Rue89, qui mettra donc ce papier à jour le cas échéant. La Scientologie dénonce un nouveau procès d’intention :

« Qu’il s’agisse d’incompétence ou de manipulation, cette affaire est scandaleuse. Elle a déjà porté à l’Église un grave préjudice, dont Georges Fenech est l’un des responsables.

Nous réfléchissons aux suites à donner à cette dérive, d’autant que cette pseudo découverte intervient fort opportunément à quelques semaines du délibéré. »

Quant à ce procès de la Scientologie, on ignore s’il fera l’objet de nouveaux rebondissements après le délibéré du 27 octobre.

rue 89