Intégrés au dispositif de campagne du président-candidat, les dirigeants de la controversée Agence de médecines complémentaires et alternatives (A-MCA) ont pu pousser leurs pions en toute discrétion. Enquête sur un lobbying qui ne dit pas son nom.
La photo, postée sur Twitter, est passée inaperçue : le 7 mars dernier, lors de la première visite de son QG de campagne, Emmanuel Macron discute avec Serge Guérin, ex-conseiller régional (EELV) jadis proche de Nicolas Hulot et sociologue universitaire spécialiste des questions de vieillissement. S’il a intégré l’équipe de campagne en tant que « relais société civile grand âge », Guérin est aussi président de la controversée Agence des médecines complémentaires et alternatives (A-MCA) qui a trouvé, au coeur de la machine LREM, un contexte propice à une légitimation contestée.

Née en septembre 2020 sous le statut d’association loi 1901, l’A-MCA ambitionne de « favoriser la réflexion, l’expérimentation, l’action et la formation en faveur de l’intégration cohérente, structurée et sécurisée des médecines complémentaires et alternatives ». En clair, encadrer les 400 « médecines douces » recensées par
l’Organisation mondiale de la santé et utilisées par quatre Français sur dix.

Dans ce marché en plein essor démultiplié par la crise sanitaire, on trouve cinq approches reconnues, comme l’hypnose ou l’ostéopathie, mais surtout une constellation de pseudo-sciences aux bénéfices non prouvés (fasciathérapie, naturopathie, reiki…), ainsi que d’autres thérapies plus ou moins farfelues (le biomagnétisme, la lithothérapie, l’instinctothérapie, l’ondobiologie, le néo-chamanisme, etc.). « Cette agence donne du crédit à des disciplines qui n’en ont pas sous prétexte d’y faire le ménage, alors que la plupart de ces “médecines” reposent sur des théories nébuleuses jamais confirmées par la science », déplore Cyril Vidal, dont le collectif Fakemed fait partie des adversaires les plus déterminés de l’A-MCA. La méfiance est identique du côté de la Ligue des droits
de l’homme comme de proches de la Mission interministérielle de vigilance et de lutte contre les dérives sectaires (Miviludes), prompts à rappeler que « près 50 % des signalements adressés à la Miviludes relèvent de dérives en santé ».

DES ALLIÉS INFLUENTS, Y COMPRIS À L’ÉLYSÉE
À l’inverse, l’Agence de Serge Guérin dispose d’alliés influents : lorsqu’il était directeur général de la Santé, le professeur Jérôme Salomon permit à la jeune structure d’organiser un colloque en octobre 2019 au sein de son ministère. Le 13 janvier 2021, Brigitte Macron, par ailleurs présidente de la Fondation des hôpitaux de Paris, recevait à l’Élysée Véronique Suissa, directrice générale de l’A-MCA, dont le communiqué de presse évoque un « échange tout particulièrement riche autour des médecines complémentaires ».

Soutenue par six anciens ministres (dont Xavier Bertrand, qui aurait depuis pris ses distances), l’A-MCA compte aussi parmi ses appuis politiques huit députés (LREM, Agir et Modem), à l’origine d’une proposition de résolution déposée à l’Assemblée nationale en mars 2021, visant à faire de cette association une « agence gouvernementale ». Dès le mois suivant, cet activisme déclenchait un tir de barrage : de nombreux professionnels de santé multipliaient alors les prises de position et les tribunes contre un « lobbying » de « pseudo-sciences ».

À LIRE AUSSI : Et en même temps : Brigitte Macron reçoit deux médecins de la galaxie antivax à l’Élysée. Une fois la pression médiatique retombée, l’A-MCA s’infiltrait dans les arcanes du parti présidentiel via son président Serge Guérin. Enrôlé par LREM comme « relais société civile » spécialisé dans le « grand âge », le sociologue faisait partie de cette dizaine de personnalités chargées de faire remonter des propositions afin d’alimenter le programme du futur candidat. Or, Serge Guérin, qui recrutait à son tour sa comparse Véronique Suissa comme « co-relais », semble avoir porté sa cause à travers le prisme du « bien-vieillir » qui passerait, ditil, « par la prise en compte de thérapies complémentaires », une assertion répétée à Marianne comme dans nombre de ses interviews.
« Cette présence dans l’instrument de campagne est choquante car elle semble signer que “l’affaire A-MCA” est entendue et intégrée dans le “moteur” présidentiel », s’insurge Fabienne Blum, présidente de l’association Citizen4Science. « C’est de l’entrisme, enchaîne Cyril Vidal. Je suis étonné par les contacts institutionnels qu’ils parviennent à obtenir. » Une question de réseaux ?

La psychologue Véronique Suissa, auteure d’une thèse sur l’« évaluation de l’impact des médecines complémentaires et alternatives chez les patients atteints de cancer », est proche du chirurgien Philippe Denormandie, qui fut membre de son jury de thèse. Co-fondateur de l’A-MCA dont il est conseiller médical, ce
mandarin est aussi le père du ministre de l’Agriculture Julien Denormandie. Or, celui que l’on présente comme un potentiel Premier ministre devait alors muer en directeur de campagne d’Emmanuel Macron, avant que la guerre en Ukraine n’incite le chef de l’État à le maintenir à son poste.
Philippe Denormandie aurait-il intercédé auprès de son fils en faveur de Guérin et Suissa, avec lesquels il a déjà co-dirigé trois ouvrages consacrés aux médecines complémentaires et alternatives ? « Cela n’a aucun rapport, soutient Philippe Denormandie, qui précise : J’ai juste passé une tête dans le groupe de travail du bien-vieillir. »

UNE « RÉUNION DE TRAVAIL » AU SIÈGE DE LREM
Toujours est-il que l’A-MCA organisait officiellement, le 24 février dernier, une « réunion de travail » au siège dela République en marche, en présence de Guérin, Suissa et de huit autres intervenants. Son intitulé : « Prendre soin des seniors pour le bien-vieillir : pratiques de prévention, soins relationnels/non médicamenteux et médecines complémentaires. » Les sujets abordés ? « Activité physique adaptée, sport, ostéopathie, relaxation et hypnose, sophrologie et chiropraxie », nous répond Véronique Suissa. Et la directrice-générale de l’A-MCA de préciser que toutes les thérapies passées en revue dans le cadre de sa mission de « co-relais » sont « inscrites au Répertoire national des certifications professionnelles, s’exercent dans un cadre réglementé ou sont enseignées via
des diplômes universitaires ».
Précisons néanmoins que ces diplômes universitaires sont le fruit de la loi Pécresse sur l’autonomie des universités, qui autorise chaque faculté à proposer un large panel de formations, parfois éloignées de toute considération scientifique et facturées plusieurs milliers d’euros. C’est par exemple le cas des formations de
Méditation de pleine conscience qui prolifèrent dans divers établissements du supérieur. « Il y a un laxisme total au niveau des facultés pour éradiquer l’enseignement des pseudosciences, qui sont d’ailleurs historiquement bien intégrées à l’Est du pays et en particulier en Alsace. Idem pour les formations privées agréées par l’État », déplore Fabienne Blum, présidente du collectif Citizen4Science. Balayant ces attaques, Véronique Suissa explique que « quelques grandes idées sont ressorties » de son groupe de travail. Parmi celles-ci, « donner un cadre étatique, en termes de critères de qualité et de sécurité aux médecines complémentaires et alternatives ».

UNE VISITE DE MACRON DANS UN CENTRE ALSACIEN
Certaines thérapies « complémentaires » sont justement au programme du centre Alister de Mulhouse, où le candidat Macron effectuait une visite le 12 avril dernier. Si cette structure est dévolue à la formation continue en kinésithérapie, on peut s’étonner de ses modules dédiés à des pratiques aussi douteuses scientifiquement que la « réflexologie plantaire », le « Shiatsu » ou la « sophrologie caycédienne », récemment qualifiée par la Miviludes de « dérive thérapeuthique ». Plus problématique encore est la formation dédiée au « traitement manuel des fascias en kinésithérapie », qui pourrait émaner de la fasciathérapie dite « Danis Bois ». Inspirée par un gourou indien, cette technique controversée, déjà visée par un rapport sénatorial, a fait l’objet d’un long
combat judiciaire remporté en 2020 par la Miviludes face à l’Association nationale des kinésithérapeutes
fasciathérapeutes.
Pour Pascale Mathieu, « référente santé » du programme d’Emmanuel Macron et présidente du Conseil national de l’ordre des masseurs-kinésithérapeutes, une « nette distinction » doit être établie entre la formation offerte par le centre Alister, consistant à « intervenir sur les entités anatomiques que sont les fascias » et la
« fasciathérapie méthode Danis Bois, considérée par notre Ordre comme une dérive thérapeutique ». Or, des documents mis en ligne en 2016 par le centre Alister, qui n’a pas souhaité répondre à nos questions, vantent les mérites de la « fasciathérapie méthode Danis Bois, son approche manuelle globale du patient et son intérêt dans le champ curatif, relationnel et éducatif de la kinésithérapie ».

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Si les cadres de l’A-MCA nient avoir joué un rôle dans le déplacement d’Emmanuel Macron au centre Alister, force est de constater que ce lieu incarne la « santé intégrative » chère à l’agence, mêlant soin traditionnel et « médecines douces ». Reste une question : au-delà de l’institutionnalisation de l’A-MCA voulue par ses
fondateurs, quel intérêt revêtirait un encadrement avalisé par l’État de soins dénués d’assise scientifique ?
La réponse est peut-être à chercher du côté économique. Président du conseil scientifique de la Fondation Korian pour le bien-vieillir (intégrée au groupe d’Ehpad privés), mais aussi directeur scientifique du pôle santé à l’Institut des hautes études économiques et commerciales, une école de commerce privée implantée à Paris, Lyon, Bordeaux, Beaune et Chambéry, Serge Guérin y dirige notamment le master « Management et marketing
de la silver économie », ou marché des séniors. Un secteur en croissance continue dans lequel le business des médecines non-conventionnelles devrait suivre une courbe analogue. L’A-MCA s’y est déjà positionnée, grâce à des partenariats avec plusieurs groupes d’Ehpad.

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Même constat chez les mutuelles de santé, dont un nombre croissant a fait de ces thérapies parallèles unproduit d’appel. « Au-delà d’une approche de différenciation commerciale, cette activité de la prise en charge par les complémentaires santé de ces médecines complémentaires pourrait prendre demain une place plus importante », estime Philippe Denormandie, qui occupe par ailleurs les fonctions de directeur des relations santé du MNH Group (Mutuelle nationale des hospitaliers et des personnels de la santé et du social).
Septième acteur du marché français des assurances complémentaires, le MNH Group fut d’ailleurs convié par Serge Guérin, le 15 mars dernier, à une réunion de travail au siège d’En Marche. « L’apparition d’une demande extrêmement forte de médecine complémentaire interroge les mutuelles, prolonge Denormandie. Mais est-ce que ce débat est aujourd’hui complètement sur la place ? ». Débat dans lequel l’A-MCA entend peser, face à ceux enclins à y voir de la « poudre de perlimpinpin ».

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Par Thomas Rabino
Publié le 02/05/2022 à 17:04 – Marianne