Les sectes qui se multiplient au Cameroun se dotent de gourous de plus en plus forts pour attirer les gens et les posséder.

Enquête.

Le tableau confessionnel légal de la République du Cameroun, publié le 13 avril dernier dans le quotidien à capitaux publics Cameroon tribune, recense 46 dénominations religieuses, toutes obédiences confondues. L’église catholique qui est l’une de ces dénominations reconnues présente en outre 78 congrégations. Des chiffres insignifiants, au regard de la profusion d’églises et de mouvements religieux que se font jour au Cameroun et qui enregistrent un nombre d’adeptes de plus en plus élevé. Lors des conventions et des croisades évangéliques, c’est en centaines voire en milliers que l’on dénombre les partisans. Pour ces occasions particulières, les stades de football, les salles de permanence du Rdpc, les salles de cinéma et autres hauts lieux de culture deviennent des temples de prière.
A Douala, les carrefours et les artères principales sont les lieux de choix pour installer un panneau indicatif. C’est le cas, par exemple, de la Winner’s Chapel à Bepanda Omnisport. A Deido au lieu dit “trois morts”, se dresse Jérusalem, une secte dont tous les adeptes sont obligés de porter la même tenue – aussi bien pendant leurs rencontres qu’en ville. La Sainte Eglise du Christ, Rhema Tabernacle et autres dénominations du genre, ont pris d’assaut les salles de cinéma. Même les domiciles particuliers sont utilisés pour abriter ces nouvelles églises. Et pourtant, elles ne font pas partie du listing religieux légal. De toute façon, il est désormais très courant de constater qu’une nouvelle église s’est installée du jour au lendemain. Les portes ouvertes 24 heures sur 24 en signe d’invite, on y chante à tue-tête et très fort. En outre le volume des enceintes (hauts parleurs) est au niveau maximum. Même si les voisins s’en plaignent, on s’en fiche : c’est pour le divin !

Comment on vous convertit

Selon le Dr. Jon, spécialiste du traitement des maladies mentales, “de nombreux Camerounais y vont parce qu’ils sont attirés par les promesses de bonheur, de salut, de richesse, de rencontre avec Dieu.” Cela séduit et c’est dans ce terrain préparé que les responsables des sectes sèment leurs discours d’endoctrinement. Le travail est facilité par le fait que beaucoup de citoyens sont perdus dans les méandres de la pauvreté. Ne pouvant pas répondre aux sollicitations sociales, ils craquent facilement face à la proposition des vendeurs de bonheur. Ces derniers, constitués en groupes généralement présentés comme des églises, font beaucoup de bruits pour attirer sur eux l’attention. Ils procèdent aussi par matraquage médiatique en insistant d’une part sur les erreurs des dirigeants des églises traditionnelles (catholique et protestant) et d’autre part sur la place prépondérante de la prière qui résout tous les problèmes.
Jean Vernette, auteur de Les sectes (1997), souligne que “ ces nouveaux croyants séduisent par la force de leur conviction, la sincérité de leur enthousiasme. ” La fin imminente du monde suivie de mille ans de bonheur sur la terre, le retour à l’authentique lecture de la Bible et à l’âge d’or du christianisme primitif, la guérison miraculeuse des maux et infirmités, sont les principaux thèmes de leurs discours. Cependant, révèle le Dr. Jon, elles culpabilisent l’individu en le persuadant qu’il est “le pire des pécheurs et que sans salut, c’est la mort. On vous promet de l’aide, un certain allégement des souffrances, etc.” Vernette explique que les gens qui se laissent ainsi piéger par les sectes sont souvent ceux qui vivent une période de fragilité : solitude, perte d’emploi, décès d’un être cher, dépression, déception, … “On vous invite par exemple à rencontrer des gens avec qui vous pouvez travailler à changer la vie ou le monde, à développer vos pouvoirs cachés, à faire l’expérience directe de Dieu, à vous préparer à une fin du monde, etc.”

Une manipulation subtile

Dans les relations de la personne convoitée avec les membres de la secte, ce sont ces derniers qui viennent à elle et parlent presque toujours “avec sourire, affection, charme et gentillesse (…) En jouant sur votre sensibilité, ils découvrent à quel point vous êtes vulnérables et accentuent la faille : c’est le début de la manipulation.” De même, ils n’hésitent pas à proposer l’étude d’un livre à domicile, à multiplier les visites, à accentuer la pression pour entrer dans le groupe, etc. De temps à autre, la suggestion hypnotique (état sommeilleux) entre en jeu. Un mot répété plusieurs fois, certains sons ou mouvements tendent à rendre plus réceptif. On use de la musique, des chorales avec des jeunes au physique avenant, des témoignages poignants de personnes qui racontent comment leur vie a été transformée depuis qu’ils sont entrés dans ce nouveau milieu. Quand l’individu tombe déjà dans le pré carré du gourou, ce dernier utilise désormais un ton autoritaire et directif.
Sous une autre approche, le Dr. Same Kolle, psychologue et philosophe, propose de comprendre la méthode d’endoctrinement à travers trois techniques : le “pied-dans-la-porte”, l’amorçage, et “la porte-au-nez”. On obtient d’abord du néophyte (celui qui ne s’y connaît pas) un comportement préparatoire, anodin : signer une pétition, assister à une rencontre, acheter ou lire une revue. Progressivement, on l’amène à distribuer des tracts, faire un témoignage dans une assemblée, etc. Dans l’amorçage, on engage le prospect à prendre une décision dont on lui cache les conséquences réelles. Et comme les actes des individus le lient… Enfin on lui demande des choses qu’il ne peut pas réaliser ; il refuse évidemment, mais accepte de satisfaire d’autres exigences moins exorbitantes qui correspondent effectivement à ce que l’on attend de lui. Le voilà embrigadé, lui qui se culpabilise désormais et qui croit avoir de lourds devoirs moraux.