Mériam Rhaiem, une jeune mère dont la fille de 28 mois avait été enlevée par son père qu’elle soupçonne être parti faire le jihad en Syrie, a récupéré son enfant en Turquie après onze mois de séparation et de combat. Elles sont rentrées toutes les deux en France dans la nuit de mardi à mercredi, accueillies par le ministre de l’Intérieur. C’est une première victoire pour le jeune Centre de prévention contre les dérives sectaires liées à l’islam (CPDSI), et sa présidente l’anthropologue Dounia Bouzar, qui aident depuis le début la jeune maman.
De quelle façon êtes-vous intervenus auprès de Mériam Rhaiem ?
Dounia Bouzar : «Mériam s’est investie dès la création du CPDSI auprès des autres mamans. Elle ne s’est pas occupée uniquement de sa fille, elle s’est formée, et on a pu appliquer la méthode mise en place il y a trente ans par les psychiatres pour les suicides collectifs du Temple solaire. Ça consiste à remobiliser par les affects quelqu’un qui a été endoctriné.»
C’est-à-dire ?
Pour faire simple, quelqu’un qui a basculé dans un groupuscule totalitaire terroriste connaît une désaffiliation, il coupe avec sa famille, remplace la raison par le mimétisme, on lui enlève ses souvenirs, ses valeurs, ses repères, et c’est l’identité du groupe qui remplace l’identité individuelle. Tout l’enjeu c’est d’essayer de faire la madeleine de Proust, c’est-à-dire par l’évocation de souvenirs d’avant le basculement de faire ressortir quelque chose de lui, qu’il ne soit plus comme un robot mais redevienne un être humain qui pense.
Et donc ça a marché…
On a fait des expériences avec des jeunes adolescents qui étaient en début de processus, avec Mériam, et elle l’a appliqué ensuite à son ex-mari de manière naturelle. Mais ça a pris longtemps. Par moments il allait mieux et arrêtait de dire «je préfère qu’elle meurt ici plutôt qu’elle vive dans un pays de mécréants», il avait une vraie conversation, et puis il se remettait à être un monstre, à lui dire «de toute façon elle va exploser sur mon dos». Tout d’un coup, ça s’est stabilisé ces dernières semaines. Ils parlaient 2 à 3 heures chaque soir, et Mériam a appliqué la méthode : pas une fois elle ne lui a fait la morale, pas une fois elle ne lui a posé des questions sur ce qu’il faisait. Elle a juste reparlé des souvenirs du bon vieux temps, lorsqu’il était normal, gentil. Et il lui a dit qu’il se sentait en danger, avec sa fille, que l’Etat Islamique allait les massacrer (N.D.L.R. : il s’était engagé dans un autre groupe jihadiste), ce qui l’a aidé à reprendre conscience. Et ils ont pu se fixer rendez-vous en Turquie.
Le risque de rebasculement existe ?
Bien sûr, on a eu des jeunes en plein processus de désendoctrinement, ils recommençaient à penser, ils arrêtaient leurs voix de robots, et d’un coup ils se renversent à nouveau, en pire. C’est quelque chose de très fragile. Là, c’est un succès extraordinaire, mais parce que Mériam a été extraordinaire.
Combien de familles aidez-vous aujourd’hui ?
121 familles, dont la très grande majorité concerne des filles, 110 sur 121. Ce qui m’embête c’est qu’on n’arrive pas à toucher les classes populaires, elles ne nous font pas confiance. On n’a que le haut de l’iceberg, des parents attentifs qui ont compris qu’ils devaient faire confiance pour sauver la vie de leurs gosses.
Qu’est-ce qui amène ces jeunes à partir faire le jihad ?
Le moteur du basculement c’est la théorie du complot. Ça commence par des vidéos qui dénoncent la société de consommation, c’est très bien fait, et ça enchaîne dans l’idée que tout le monde vous ment, puis sur le fait que ce sont des sociétés secrètes qui organisent les mensonges pour garder le pouvoir, et la troisième étape, c’est que ces sociétés secrètes se servent du diable pour faire le mal partout, que c’est l’Islam qui est visé et est le seul à pouvoir faire le bien.
Comment travaillez-vous avec les pouvoirs publics ?
Ils viennent de nous rattacher à la Mivilud, nous sommes désormais la succursale de l’endoctrinement sur l’islam radical, et ils nous ont mandatés pour faire une équipe de travail sur la prévention, la formation et le désendoctrinement. Et puis désormais, avec le numéro vert (0 800 005 696), les parents agissent dès les premiers indicateurs de rupture, ce qui est plus simple pour nous.
«J’ai agi de ma propre initiative pour sortir ma fille de l’enfer»
Mériam Rhaiem, 28 ans, la maman de la petite Assia, ne cachait pas son bonheur, hier, «d’être enfin rentrée en France» avec sa fillette. «Elle est désormais en sécurité avec moi. Je suis très soulagée de l’avoir sauvée de l’enfer syrien, du jihad où l’avait emmenée son père». La jeune femme, surveillante dans un collège de l’Ain, n’en oublie pas pour autant «toutes ces familles qui sont confrontées au d’un de leurs enfants pour le jihad. Ce sont des victimes, ne cesse-t-elle de clamer depuis des mois. Tous ces mineurs doivent être considérés comme des otages, statut que je souhaitais pour ma fille mais que je n’ai pas obtenu». Quant à l’implication de la France dans la libération de sa fille, elle confie : «La France était, bien sûr, au courant que je me suis rendue en Turquie avec un de mes frères pour récupérer ma fille. Mais, je suis partie de ma propre initiative».
Mériam Rhaiem reconnaît «avoir vécu de terribles moments d’angoisse» lorsque son mari lui a annoncé, à plusieurs reprises, que «la petite était morte». Elle assure aussi «ne jamais avoir perdu confiance et trouvé en elle, mais aussi auprès du collectif «Jamais sans Assia» qu’elle a créé, la force de se battre et d’agir pour revoir son enfant».
«Assia, c’est ma vie et je ne peux vivre sans elle».
source : par Olivier Auradou et Guillaume Atchouel
http://www.ladepeche.fr/article/2014/09/04/1944537-comment-meriam-reussi-recuperer-bebe-parti-pere-jihadiste.html