Comment « soigner » ces candidats au djihad ? Éclairage de Sonia Imloul,responsable d’une cellule dite de « déradicalisation ».
Notre cellule de « déradicalisation » a été créée en octobre dernier à l’initiative du ministère de l’Intérieur. C’est une structure expérimentale, placée sous l’autorité du préfet de police, dont l’objectif est de mener un travail de prévention de la radicalisation et du terrorisme.
Nous sommes le prolongement du numéro vert mise en place pour signaler des candidats au départ pour le djihad (0.800.005.696). Notre action s’articule en ainsi autour de deux axes : fournir une aide psychologique aux familles d’aspirants au djihad, et prendre contact avec les individus radicalisés.
{{Identifier les failles sociales, familiales ou psychologiques}}
Déradicaliser un individu n’est en rien une science exacte. Il n’existe pas de solution miracle. Mais le parti pris, avec cette cellule, a été de sortir d’une approche uniquement policière et de privilégier une approche pluridisciplinaire et surtout cultuelle, ce qui est nouveau en France.
Une équipe d’une dizaine de personnes – psychologues, psychiatres, juristes, éducateurs spécialisés – travaille actuellement au cas par cas sur une trentaine de dossiers. Au-delà de leur spécialisation, tous possèdent de solides connaissances théologiques sur l’islam.
Afin d’identifier au mieux l’individu qui nous a été signalé, d’évaluer son degré de radicalisation, notre première mission est déterminer à la fois la faction religieuse qui l’a radicalisé mais aussi ses failles personnelles, qu’elles soient sociales, familiales ou psychologiques. Car au fondement de toute radicalisation, il y a une manipulation mentale qui s’appuie sur les failles de l’individu.
Ces informations sont précieuses. Une fois obtenues, elles vont nous permettre de personnaliser au mieux la stratégie à adopter, d’adapter notre discours aux attentes de l’individu pour essayer de le « retourner ».
{{Utiliser les mêmes techniques que les prédicateurs radicaux}}
Après signalement par la famille, identification du degré de radicalisation de l’individu, nous entrons en contact avec lui à l’ »extérieur », aux abords des mosquées par exemple, par l’intermédiaire de médiateurs.
Les radicalisés ne faisant confiance qu’à ceux qui leur ressemblent physiquement, le choix du médiateur qui sera envoyé est capital. Il est ainsi déterminé, par exemple, par la faction religieuse auquel le radicalisé appartient. Leur mission est de ramener l’individu vers une conception plus saine et apaisée de l’islam en l’approchant.
Notre stratégie ? Retourner les techniques d’endoctrinement des djihadistes contre eux. Nous employons les techniques d’embrigadement que les prédicateurs les plus radicaux emploient eux-mêmes.
Notre but ? « Retourner » l’individu en lui transmettant une autre vision de la religion. C’est pour cette raison qu’il est important que les médiateurs et les membres de la cellule possèdent un solide bagage théologique.
{{Un travail complexe, long et fragile}}
Cette approche cultuelle est aussi une approche sociale et affective. En effet, on sait que les prédicateurs radicaux séduisent ces individus souvent vulnérables en leur promettant un toit ou une assistance financière. Tout ça pour ensuite leur inculquer une vision radicale de la religion et de les pousser à aller plus loin Cette dimension affective est prise en compte dans notre manière de prendre contact avec l’individu.
Une fois que le contact est établi, un long travail de proximité commence entre le médiateur et l’individu. Notre cellule a débuté ses travaux en octobre et quelques résultats commencent à se dessiner. Il s’agit de ramener ces individus, petit à petit, vers une vision plus apaisée de la religion, et surtout de les détacher de ceux qui les manipulent.
Une fois l’individu déradicalisé, un autre travail commence alors, tout aussi complexe, long et fragile : celui de la réinsertion dans la société. Une fois que l’on a réussi à faire redescendre sur terre ces jeunes, tout l’enjeu est de leur proposer de perspectives suffisement solides pour qu’ils ne rechutent pas.
source :
http://leplus.nouvelobs.com/contribution/1305811-comment-soigner-les-candidats-au-djihad-en-utilisant-les-techniques-des-predicateurs.html
Par Sonia Imloul
Prévention terrorisme
Propos recueillis par Sébastien Billard