Enquête

Chargée de faire la lumière sur les agressions sexuelles commises par des prêtres depuis 1950 en France, la Ciase organise mardi 11 février sa quatrième réunion régionale à Nantes pour tenter de convaincre les personnes agressées de témoigner. Depuis le premier appel à témoignage en juin, elle a reçu 4 500 signalements de victimes. Quatre d’entre elles racontent.

Parler, témoigner, raconter ? « Il fallait que je le fasse… Je devais cela au monde qui vient. » À l’automne, Jean, 74 ans, décroche son téléphone et contacte France Victimes, la fédération d’associations mandatée par la Commission indépendante sur les abus sexuels dans l’Église (Ciase) pour recueillir la parole des victimes de prêtres pédophiles. « Si vous avez besoin de parler, venez ! », lui dit-on après qu’il a répondu au questionnaire d’une cinquantaine d’items précisant les agressions subies quand il avait 10 ans. Rendez-vous est pris en février, à Paris.

Dire à la société ce qui s’est passé, pousser l’Église à éradiquer le fléau : c’est l’espoir qu’il rumine dans le train ce matin-là. La veille de l’audition, les nouvelles déclarations sur les agressions qu’a subies l’ancienne patineuse artistique Sarah Abitbol font froid dans le dos : ça ne s’arrêtera donc jamais ? Mauvaise nuit. « Mais pendant mon audition, j’étais dans la bienveillance, confie-t-il. J’ai commencé à parler, ils me relançaient de temps en temps. »

L’entretien se prolonge pendant plus de deux heures dans une salle lumineuse, tentures blanches et larges fenêtres. Deux membres de la commission lui font face, Stéphane de Navacelle et Sylvette Toche. Jean témoigne de ce qui lui est arrivé dans un pensionnat du sud de la France. Le prêtre était surnommé « petit pion » : « Il voulait que je fasse ma version latine dans sa piaule, ça sentait le tabac, la sueur et la soutane mal lavée. » Devant la commission, la victime revit encore l’agression. « Pourtant, j’ai été soigné. Mais deux secondes… et c’est toute la vie ! », lâche-t-il, encore pris par l’émotion.

Le souvenir est aujourd’hui très précis, mais il a été enfoui bien longtemps. Jean a travaillé dans le milieu artistique, notamment avec des enfants, vécu le grand amour avec sa femme. Jusqu’au jour où, à 58 ans, un accident vasculaire cérébral le plonge dans le coma pendant plusieurs jours. Au réveil, il faut tout réapprendre. Et faire face à une colère sourde, qui jaillit sans raison, se retourne contre lui… « À un moment, j’ai dit à ma femme, “Tu sais, je crois que j’ai été violé quand j’étais enfant.” Elle m’a répondu qu’elle savait, parce que j’avais tout raconté en sortant du coma… Je ne m’en souvenais pas. »

Le témoignage de Jean, comme celui des autres victimes, est capital à la commission présidée par Jean-Marc Sauvé pour comprendre le mécanisme des abus et du silence dans lequel elles ont été victimes.

https://www.la-croix.com/Religion/Catholicisme/France/Commission-Sauve-douloureux-temoignages-victimes-pretres-2020-02-11-1201077533?utm_source=newsletter&utm_medium=email&utm_content=20200211&utm_campaign=NEWSLETTER__CRX_JOUR_EDITO&PMID=2297c7554f0dc2f0deed282f8953dea5&_ope=eyJndWlkIjoiMjI5N2M3NTU0ZjBkYzJmMGRlZWQyODJmODk1M2RlYTUifQ%3D%3D