{Par Glen RECOURT}
Un couple doit comparaître ce lundi devant le tribunal de Lorient. Amandine et Ronan ont tagué des églises, profané des cimetières et incendié une chapelle. La jeune fille dit aujourd’hui avoir tourné la page, grâce à six mois de détention provisoire, et minimise les faits. Les spécialistes s’inquiètent de ces « néosatanistes », des jeunes paumés en quête de sens.
Rangers aux pieds et pèlerine noire au vent mauvais: Amandine passe difficilement inaperçue. Un look estampillé gothique qui a le don de faire fuir le passant. Sur sa peau pâle, au cou et aux mains, plusieurs tatouages ésotériques. La marque d’un passé qu’elle préférerait oublier. A 23 ans, la jeune fille, qui a fait six mois de détention provisoire, traîne derrière elle une affaire qui pourrait lui coûter jusqu’à dix ans de prison. Avec son compagnon, Ronan, elle doit comparaître ce lundi devant le tribunal correctionnel de Lorient pour une dizaine de profanations commises en janvier 2006 contre des édifices religieux du Finistère et du Morbihan.
Deux chapelles taguées, un calvaire brisé, deux cimetières profanés: entamée sur un banal vol de cierges, l’équipée des deux jeunes satanistes est vite passée aux dégradations. Le couple va même jusqu’à incendier une chapelle à Saint-Tugdual (Morbihan). Traquant les indices, les enquêteurs retrouvent d’étranges graffitis: des « 666 », nombre de la « Bête », des croix inversées, des runes. Des croix gammées sont aussi découvertes, faisant songer à l’acte d’un groupe néonazi. Pour parachever leur oeuvre macabre, les profanateurs iront jusqu’à exhumer un cadavre et lui « arracher » le crâne.
{{Parcours sinueux}}
« Je sais bien que l’épisode du crâne a terriblement choqué les gens, confesse Amandine. Avec Ronan, on avait l’habitude de traîner dans les cimetières. On appréciait ce genre d’endroits. Près des morts et loin des vivants… » A l’en croire, les six mois passés en cellule lui auraient permis de prendre conscience de la gravité de ses actes. Qu’elle s’efforce cependant de relativiser: « Le caveau, étant en attente d’un cercueil, était juste recouvert d’une planche. On l’a enlevée, on a regardé ce qu’il y avait l’intérieur. Par curiosité. Il ne restait qu’un tas d’os. Alors on a pris le crâne. »
Enfance difficile, scolarité abandonnée au collège: prémices d’un parcours sinueux qui mènera la jeune fille de Toulon à Rennes. Là, elle rencontre Ronan, un jeune homme « plutôt du genre Ferré, Brassens », indique leur avocat, Me Yves Daniel. Celui-ci estime que, malgré le « style médiéval » d’Amandine, les deux jeunes gens n’ont jamais été réellement satanistes. « Ils étaient perdus et en période de précarité. Ils vivaient reclus dans une petite location en pleine campagne. Leur mal-être et leur rébellion, ils les ont retournés contre ces édifices. Les croix gammées? Ils auraient aussi bien pu se réclamer de Che Guevara. On casse ce qu’on a sous la main. En banlieue parisienne, certains jeunes brûlent des voitures. En Bretagne, ce sont les chapelles. » Amandine dit la même chose à sa façon: « Nous voulions combattre la religion car elle dicte à l’homme sa façon de vivre, en commettant des actes de destruction. Ça n’avait rien à voir avec un prétendu culte à Satan. »
{{Crânes et littérature nazie}}
Jacky Cordonnier, historien des religions et spécialiste du satanisme, n’est pas du même avis. « Dans cette affaire, il y a clairement un fond antireligieux à tendance sataniste et néonazie », estime celui qui a été nommé expert auprès du juge d’instruction dans l’affaire. Selon la Mission interministérielle de vigilance et de lutte contre les dérives sectaires (Miviludes), la France comptait 5000 satanistes en 1995. En 2008, ils seraient 25 000. Mais la menace ne viendrait pas de la maigre dizaine de vrais fidèles de l’église de Satan, clairement identifiés, plutôt des « néosatanistes », jeunes paumés en quête de sens. « Ils puisent dans un bric-à-brac de pratiques et d’idéologies souvent inspirées du néonazisme. Certains peuvent passer à l’acte, soit contre eux-mêmes par le suicide, soit contre la société en commettant des délits », assure Jacky Cordonnier. Avant d’ajouter: « Ils font sauter tous les tabous comme celui de la mort. Ils ont de la fascination pour elle mais aussi un total irrespect. Voilà pourquoi ils n’ont aucune difficulté à exhumer un corps. »
Au cours de la perquisition menée au domicile d’Amandine et Ronan, les enquêteurs auraient découvert, entre de la littérature nazie et quelques crânes, un agenda compromettant. Diverses coordonnées de personnes liées à cette nébuleuse dédiée à Satan y figuraient. Un nom alerte particulièrement les gendarmes: Anthony Mignoni, condamné en 1997 à quatre ans de prison pour la profanation d’un cimetière à Toulon. Au cours de cette funeste dégradation, un cadavre avait été exhumé, un crucifix inversé y avait été planté.
Amandine a longtemps vécu à Toulon. Guitariste, elle fréquente alors des groupes de black metal. « C’est un petit milieu, plaide-t-elle. J’avais le numéro de Mignoni dans mon agenda mais je ne le connaissais pas. » A la veille de l’audience, elle se dit pleine de « remords » et reconnaît ses « bêtises ». En 2007, le couple s’est marié. « Nous ne sommes plus les mêmes personnes, assure la jeune fille. Etre arrêtés, cela nous a permis de comprendre qu’on allait droit dans le mur. Sans cela, on aurait continué. Et aujourd’hui on ne serait probablement plus là. »
Le Journal du Dimanche / Lundi 26 Mai 2008