Le fait d’user de manœuvres frauduleuses consistant à proposer un test de personnalité, sans valeur scientifique, conçu pour donner de mauvais résultats, suivi de propositions de vente de services et d’ouvrages censés résoudre les difficultés décelées, et en incitant les victimes, par des pratiques particulièrement offensives, à remettre des sommes d’argent importantes, constitue une escroquerie.

Crim. 16 oct. 2013, FS-D, n° 12-81.532
La chambre criminelle approuve, par le présent arrêt, la qualification d’escroquerie en bande organisée des pratiques de l’Église de scientologie, en rejetant la plupart des moyens proposés par les prévenus à l’encontre de l’arrêt d’appel (Paris 2 févr. 2012, n° 10/00510, Dalloz actualité, 12 mars 2012, obs. J. Gallois ). Si l’arrêt est en partie annulé par voie de retranchement, ce n’est que pour ce qui est de l’octroi d’une indemnisation à l’une des victimes qui s’était désistée de sa constitution de partie civile. Pour le reste, la chambre criminelle rejette les nombreux moyens contestant la régularité de la procédure suivie durant l’instruction et le jugement, qui n’avaient pas de chance de prospérer, et surtout ceux contestant la qualification des faits d’escroquerie en bande organisée et d’exercice illégal de la pharmacie.

La Cour de cassation a ainsi approuvé la qualification d’escroquerie en bande organisée retenue par les juges du fond, à l’encontre de quatre personnes physiques, de l’association représentant l’Église de scientologie à Paris ainsi que de la société scientologie espace librairie. Infraction complexe, l’escroquerie, définie par l’article 313-1 du code pénal, suppose, tout d’abord, l’utilisation de moyens frauduleux, dans l’objectif de parvenir à la remise préjudiciable de fonds, de valeurs ou d’un bien quelconque. Hormis l’usage d’un faux nom ou d’une fausse qualité, ou l’abus d’une qualité vraie, il peut s’agir de « l’emploi de manœuvres frauduleuses ». Cette notion n’est pas définie, et la jurisprudence de la chambre criminelle, constante en la matière, permet de saisir ce qui peut être qualifié comme tel. Elle a toujours refusé de qualifier de manœuvres frauduleuses le simple mensonge (Crim. 20 juill. 1960, Bull. crim. n° 382 ; D. 1961. 191, note Chavanne ; JCP 1961. II. 11973, note Guyon ; Gaz. Pal. 1960. 2. 252 ; 6 nov. 1991, Bull. crim. n° 399). Il est nécessaire que le ou les mensonges soient corroborés par une mise en scène ou par des actes positifs destinés à leur donner une consistance. C’est précisément ce qui était reproché aux prévenus : ceux-ci accueillaient les victimes pour qu’elles se prêtent, gratuitement, à un test de personnalité. Celui-ci étant conçu pour donner des résultats très négatifs dans la plupart des cas et étant surtout dépourvu de toute valeur scientifique, les victimes étaient persuadées de la nécessité de suivre des formations onéreuses, et d’acquérir des ouvrages et un électromètre au coût prohibitif, seuls à même de résoudre les difficultés personnelles que le test aurait révélées. Il s’agit là de toute une série de mensonges, corroborés par les actes des différents intervenants qui se relaient pour persuader les victimes de la nécessité, au regard des tests mensongers effectués, de participer, contre le versement de sommes importantes, aux différentes formations proposées dans les structures de l’Église de scientologie. La jurisprudence a toujours qualifié de manœuvres frauduleuses l’intervention de plusieurs personnes, corroborant le mensonge initial (Crim. 26 juill. 1965, Bull. crim. n° 188), tel celui qui aide un sorcier à tromper ses victimes par ses déclarations mensongères (Crim. 30 avr. 1954, JCP 1954. IV. 81). En dehors même de l’intervention d’un tiers, la mise en scène constituée par les pratiques mises en œuvre dans les différentes structures de l’Église de scientologie suffit à donner aux différents mensonges une apparence de réalité (Crim. 30 juin 1971, Bull. crim. n° 215).

Ces mensonges, corroborés par des actes positifs, doivent encore avoir pour but de tromper la victime, ce qui est ici parfaitement caractérisé lorsque les différents intervenants persuadent les victimes de la nécessité de suivre des formations et d’acquérir des ouvrages pour résoudre les problèmes révélés par le test de personnalité. Tout comme la cartomancienne qui persuade sa victime de l’imminence d’une catastrophe que seule une intervention magique rémunérée peut conjurer (Crim. 6 mars 1957, Bull. crim. n° 231 ; 9 juill. 1996, Bull. crim. n° 287 ; JCP 1996. IV. 2414), la personne qui persuade la victime que les résultats de tests dépourvus de toute valeur scientifique révèlent des difficultés, que seules des formations payantes peuvent résoudre, commet des manœuvres frauduleuses ayant pour objectif de tromper la victime.

Quant à la remise, seconde composante de l’élément matériel, sa nature ne pose aucune difficulté, s’agissant de sommes d’argent très importantes qui ont été remises en conséquence de la tromperie, et à de multiples reprises par la suite, par l’emploi de nouveaux moyens frauduleux destinés à persuader les victimes de la nécessité de suivre de nouvelles formations, d’acquérir de nouveaux ouvrages ou de verser des dons très importants. Quant au caractère préjudiciable de la remise, requis par l’article 313-1 du code pénal, il ne soulève aucune difficulté, une fois relevé que les sommes versées sont disproportionnées par rapport aux biens ou aux services fournis et qu’elles ont conduit les victimes à remettre tous les fonds qu’elles possédaient jusqu’à s’endetter ou à détourner les fonds d’une société pour s’acquitter des sommes exigées, présentées comme indispensables pour la poursuite de la formation.

L’élément moral, ensuite, réside dans la connaissance du caractère frauduleux des moyens employés et dans la conscience du préjudice subi par la victime. Si ce dernier élément ne pose pas de difficultés, tant il ressort des faits que les prévenus incitaient les victimes à vider leur compte en banque et à demander des prêts dans le seul objectif de s’acquitter des sommes demandées, le premier élément peut être problématique. Les prévenus arguaient de la croyance en ces pratiques et en leur caractère religieux. L’élément moral se déduit ici des faits commis, les méthodes utilisées pour parvenir à la remise permettant d’écarter le défaut de connaissance du caractère frauduleux des manœuvres utilisées. Au surplus, la chambre criminelle rappelle que « l’invocation d’une appartenance religieuse et la liberté de manifester ses convictions par des enseignements ou des pratiques ne sauraient légitimer la commission d’infractions pénales ».

La chambre criminelle rejette également les moyens contestant la qualification de bande organisée, ce qui doit être approuvé. L’article 132-71 du code pénal définit la bande organisée comme « tout groupement ou toute entente établie en vue de la préparation, caractérisée par un ou plusieurs éléments matériels, d’une ou plusieurs infractions ». Le premier élément de la bande organisée est l’existence d’un groupement ou d’une entente, qui doit nécessairement être « une organisation structurée et hiérarchisée » (Crim. 4 nov. 2004, n° 04-81.211, Dalloz jurisprudence). L’Église de scientologie peut à tout le moins être qualifiée comme telle, celle-ci, au-delà même des deux personnes morales mises en cause, étant connue pour la rigidité de sa hiérarchie. Cette organisation structurée et hiérarchisée doit être à l’origine d’un « plan concerté » (Crim. 30 nov. 2005, n° 04-86.240, Dalloz jurisprudence) ayant pour but la commission d’une ou plusieurs infractions. Il s’agit en d’autres termes de déterminer si l’Église de scientologie est un groupement qui a été établi en vue de la commission d’actes d’escroquerie. La cour d’appel a correctement déterminé que les pratiques de « vente à la dure », consistant à obtenir de la part des recrues le paiement de sommes élevées, en contrepartie des biens ou des services proposés, ont été initiées par le créateur de la scientologie. Il peut donc être affirmé que les divers groupements issus de l’Église de la scientologie sont établis en vue de la préparation d’actes d’escroquerie.

Enfin, la chambre criminelle approuve la mise en œuvre de la responsabilité pénale des deux personnes morales prévenues. Il s’agit de deux des structures parisiennes de la scientologie, l’une ayant la forme d’une association, l’autre, la librairie, d’une société à responsabilité limitée. Dès lors que l’infraction a été commise par un organe ou un représentant pour le compte de la personne morale, les conditions prévues à l’article 121-2 du code pénal sont réunies. Concernant la mise en œuvre de la responsabilité pénale de l’association, la chambre criminelle rappelle que des escroqueries ont été commises aussi bien par sa présidente que par son directeur général. Par ailleurs, les actes en cause ont été commis pour le compte et dans l’intérêt de la personne morale, puisque les sommes recueillies profitaient à la personne morale. Quant à la seconde personne morale, sa responsabilité pénale a été engagée en raison de la commission des actes par le gérant de fait, la gérante de droit n’ayant jamais véritablement exercé des fonctions de direction. La cour d’appel avait caractérisé que le principal salarié de cette société, qui disposait de la procuration sur les comptes bancaires, était le gérant de fait et pouvait ainsi engager la responsabilité pénale de la personne morale, conformément à la jurisprudence dégagée par la Cour de cassation (Crim. 17 déc. 2003, n° 00-87.872).

La chambre criminelle ne trouve, en somme, rien à reprocher quant aux qualifications retenues par le juge d’appel, qui approuve également la condamnation de certains des prévenus pour exercice illégal de la pharmacie. En définitive, la qualification d’escroquerie permet de condamner efficacement certains mouvements sectaires, sans avoir à recourir à l’abus d’ignorance ou de faiblesse (C. pén., art. 223-15-2), à partir du moment où ceux-ci ont un objectif lucratif. Il ne faut cependant pas perdre de vue que la scientologie est organisée en de multiples structures locales, dotées chacune de la personnalité morale ; le prononcé d’une peine de dissolution en cas de nouvelle condamnation pour des faits postérieurs au 12 mai 2009 (C. pén., art. 313-9) ne serait donc pas à même de mettre un terme aux activités de cette secte sur l’ensemble du territoire français.

SOURCE : DALLOZ.actualité le 24 octobre 2013 par Sébastien Fucinile 24 octobre 2013