INTERVIEW La Fecris (Fédération Européenne des Centres de Recherches et d’Information sur le Sectarisme) tenait ce week-end son colloque annuel, sur le thème des sectes à l’ère du Covid-19. Le président d’Info-Sectes Aquitaine fait le point pour « 20 Minutes »

  • De faux thérapeutes, ou « dérapeuthes », n’hésitent pas à apposer des plaques sur les façades des immeubles avec des promesses alléchantes.
  • « L’isolement des gens durant la pandémie les a fixés sur leur écran, et certains en ont profité pour capter leur attention de manière beaucoup plus forte que d’habitude», explique le président , Jean-Louis Amelineau.
  • « Les théories les plus farfelues avançant que l’on est manipulé par des réseaux souterrains ont fleuri de partout, et la pandémie a généré une infodémie, débouchant sur le complotisme et pouvant conduire aux dérives sectaires. »

Plus de 3.000 signalements de dérives sectaires au cours de l’année 2020, en hausse de 7,2 % par rapport à 2019. Et quelque 120 d’entre eux étaient « en lien direct avec la crise sanitaire » selon le dernier rapport de la Miviludes (Mission interministérielle de vigilance et de lutte contre les dérives sectaires) qui ne constate pas de « hausse massive des signalements », mais affirme que « tous les mouvements qui présentent des risques de nature sectaire ont remarquablement adapté leurs discours et leurs offres » à l’épidémie de Covid-19.

La Miviludes était l’invitée samedi à Bordeaux du colloque de la Fecris (Fédération européenne des centres de recherches et d’information sur le sectarisme) organisé cette année par Info-Sectes Aquitaine. Les débats ont tourné autour de la thématique des « sectes à l’ère du Covid-19. » L’occasion de faire le point sur l’évolution des mouvements sectaires avec le président d’Info-Sectes Aquitaine, Jean-Louis Amelineau.

Qu’appelle-t-on mouvement sectaire, et à quel moment considère-t-on que telle pratique devient dangereuse ?

Le mouvement sectaire est un mouvement à l’intérieur duquel ont été constatées des déviances de l’ordre de l’emprise mentale, qui empêchent les personnes de réfléchir par elles-mêmes, notamment en les plaçant en rupture avec leur entourage. Cet asservissement de la personne peut-être utilisé à des fins pécuniaires ou sexuelles, voire les deux. On a aussi des gourous qui sont dans le collimateur pour exercice illégal de la médecine, par exemple lorsqu’ils font abandonner à un malade son traitement contre le cancer au profit de jus de fruits, d’injection de gui, ou autres… Le point d’attaque, c’est la vulnérabilité d’une personne, qui n’est liée ni à l’intelligence, ni à la condition sociale.

Y a-t-il des mouvements qui sont particulièrement suivis, notamment depuis le début de la crise du Covid-19 ?

Bien sûr, la Miviludes a des organisations dans le collimateur. Nous, en tant qu’association, nous faisons surtout de la prévention et de l’orientation de victimes lorsqu’elles viennent nous voir. Ce que l’on constate ces dernières années, et encore plus depuis le début de la crise du Covid, c’est qu’Internet et les réseaux sociaux ont permis l’explosion de petits mouvements ou de gourous déviants. Ils surfent sur la peur du virus, dans le domaine de la santé notamment. De faux thérapeutes sans aucun diplôme, ou « dérapeuthes » comme on les appelle, n’hésitent pas à apposer des plaques sur les façades des immeubles avec des promesses alléchantes du type « réveillez le génie qui est en vous » ou « vivez la vie que vous méritez »…

Ces activités profitent en plus d’une formidable opportunité, car avec la crise du Covid-19, les médecins psychiatres sont surbookés en ce moment. Il faut souvent attendre des mois pour obtenir un rendez-vous. Avec un site Internet attrayant et des mots accrocheurs, ces faux psys réussissent à convaincre… Attention, je ne dis pas que tous ceux qui pratiquent des accompagnements psychologiques sont déviants ou incompétents, il y a des gens très bien, mais le minimum est de se renseigner avant de les contacter.

Qu’est-ce qui doit nous alerter ?

Les formulations très ronflantes promettant des guérisons, l’engagement financier s’il est déraisonnable, sont des signaux d’alerte assez forts. Nous avons eu le cas dernièrement d’une personne dont la famille venait de laisser 67.000 euros pour du coaching à distance ! On peut trouver cela incroyable, mais c’est possible, car ce sont des gens qui savent se rendre indispensables, et sur lesquels la famille est prête à se reposer. Certains arrivent même à déstructurer complètement des familles.

Sous quels autres aspects la pandémie a-t-elle eu un impact sur l’activité de ces mouvements sectaires ou autres faux thérapeutes ?

La pandémie a eu plusieurs effets. D’abord, l’isolement des gens les a fixés sur leur écran, et certains en ont profité pour capter leur attention de manière beaucoup plus forte que d’habitude. Ensuite, la pandémie a rendu vulnérable beaucoup de gens, qui se posent des questions sur l’avenir, qui ont des doutes sur les institutions en général et les institutions de santé en particulier. Les théories les plus farfelues avançant que l’on est manipulé par des réseaux souterrains ont ainsi fleuri de partout. La pandémie a généré une « infodémie », débouchant sur le complotisme et pouvant conduire aux dérives sectaires. Enfin, il y a eu chez certaines personnes une envie de retour à la nature, voire à une vie communautaire, ce qui en soi n’est bien entendu pas problématique, mais qui peut constituer un terreau fertile à la déviance. Nous regardons avec attention tout ce qui touche aux « écovillages », et nous avons deux-trois cas dans la région sur lesquels on a des doutes.

Votre association est saisie pour quels types de problèmes ?

75 % de nos cas concernent, à parts égales, les secteurs du développement personnel, de la santé et de la religion. Ce sont clairement les trois principaux points d’entrée vers la dérive sectaire. Toutefois, ce n’est pas toujours évident de convaincre une victime à déposer plainte, car elle a généralement un sentiment de honte dans un premier temps. Il lui faut souvent des années avant de se décider. Une jeune femme est venue récemment me trouver pour des faits qui remontaient à il y a cinq ans.

Vous faites également de la prévention, auprès du grand public, mais aussi des professionnels…

On veut toucher les acteurs de première ligne, c’est essentiel car ce sont eux qui peuvent faire remonter des suspicions, notamment dans le cas de familles dont les enfants sont élevés au nom de préceptes sectaires. Là, c’est tout le personnel dans les écoles qui peut repérer un comportement particulier chez un enfant.

source :

https://www.20minutes.fr/societe/3133991-20210928-coronavirus-pandemie-genere-infodemie-pouvant-conduire-derives-sectaires

Propos recueillis par Mickaël Bosredon

Publié le 28/09/21 à 09h45 — Mis à jour le 28/09/21 à 09h45