Concepts contre-intuitifs, vocabulaire parfois évocateur – la mécanique quantique est fréquemment utilisée comme caution scientifique pour des technologies avec lesquelles elle n’a rien à voir

Le 2 janvier 2024, la parfumerie Guerlain a mis au jour un nouveau produit cosmétique, assurant qu’il était basé sur la physique quantique. En proposant une « nouvelle voie de réjuvénation […] basée sur la science quantique [qui] aide à restaurer la lumière quantique d’une cellule jeune », l’entreprise a suscité les réactions indignées de la communauté scientifique, de médias et youtubeurs, qui ont poussé le parfumeur à modifier rapidement sa communication.

Cette affaire n’est qu’une étape de plus dans une longue histoire de détournement des concepts et du lexique de la mécanique quantique – et de la science en général – dont le résultat est la promotion des pseudosciences, ces disciplines qui revêtent les apparats de la connaissance établie sans en avoir le moindre fondement.

thérapeute holistique
Plaque professionnelle d’un thérapeute en région parisienne. // Source : Aymeric Delteil

Le qualificatif « quantique » est désormais omniprésent dans le monde du bien-être, des médecines « alternatives » et des sphères ésotériques (salons, sites de vente en ligne, praticiens, réseaux sociaux, rayons « bien-être » voire « médecine » de grandes librairies).

Certains appareils de soins quantiques ont été fortement médiatisés, tel le « Taopatch » arboré par la star du tennis Novak Djokovic lors du dernier Roland-Garros. Ce dispositif de la taille d’une pièce de monnaie prétend améliorer les performances physiques, mais aussi soigner les maladies neuromusculaires. De telles prétentions sèment la confusion dans le grand public, qui a fort à faire pour distinguer le vrai du faux.Dérives sectaires, risques pour la santé, pertes financières…

Le danger est réel, car la confusion peut avoir des conséquences nocives pour la population.

En effet, les tenants des médecines quantiques prétendent parfois pouvoir guérir la quasi-totalité de nos troubles, y compris des maladies graves. Ainsi, dans le livre Le Corps quantique de Deepak Chopra (1989), ouvrage fondateur vendu à près d’un million d’exemplaires, non seulement l’auteur suggère que son approche peut guérir le cancer, mais ses propos engendrent de plus une défiance à l’égard de la médecine. Ce type de discours, désormais répandu dans ce milieu et notamment sur Internet, peut pousser les gens à se détourner du monde médical.

Un autre exemple plus récent : le « Healy », un appareil de thérapie soi-disant basé sur un « capteur quantique », vendu à près de 200 000 exemplaires à des prix allant de 500 à 4 000 euros, propose des programmes pour un grand nombre de soins via des applications payantes, qui pourraient même remplacer une partie de notre alimentation. Une analyse par rétro-ingénierie a pourtant révélé qu’il ne contient pas de capteur quantique – et même pas de capteur du tout.

En poussant les gens à se détourner de la médecine ou à adopter des conduites risquées, ces arguments peuvent provoquer des pertes de chance d’un point de vue médical.

Les médecines alternatives peuvent également déboucher sur des dérives sectaires : le dernier rapport de la Miviludes montre que 24 % des signalements pour dérives sectaires concernent les « pratiques de soin non conventionnelles ».

livres pseudosciences
Rayon médecine d’une librairie francilienne, où se côtoient sciences et pseudo-sciences, notamment quantiques. // Source : Aymeric Delteil

Le quantique et la physique à notre échelle : deux mondes très différents

Disons-le tout net : ces approches n’ont rien de quantique.

Pour s’en rendre compte, rappelons que la physique quantique a été construite afin de comprendre les phénomènes d’interaction entre la lumière et la matière à l’échelle atomique. Elle a abouti à une description très féconde de la nature à l’échelle microscopique, tout en révélant des phénomènes contre-intuitifs, qui sont difficiles à interpréter.

Ainsi, selon la mécanique quantique, les particules élémentaires peuvent se comporter comme des ondes, elles peuvent être en superposition de plusieurs états (par exemple en deux endroits simultanément) voire intriquées, lorsque les états de deux particules dépendent l’un de l’autre même éloignées. Or le monde à notre échelle ne se comporte pas de cette façon. Nous en faisons l’expérience quotidienne : les objets qui nous entourent sont dans un seul état, à un seul endroit, ils ne se propagent pas. Les chats ne sont pas à la fois morts et vivants.

La raison de cette différence entre le comportement de la matière à notre échelle et celui des particules qui la composent est l’objet de recherches fondamentales depuis plus d’un demi-siècle et les résultats de ces recherches sont sans équivoque. Les effets quantiques sont très fragiles, et leur observation nécessite des conditions extrêmes : très basse température (souvent proche du zéro absolu), vide très poussé, obscurité totale, nombre de particules très réduit. Hors de ces conditions, les effets quantiques disparaissent très rapidement sous l’effet d’un phénomène omniprésent appelé « décohérence ». Ce terme désigne l’effet destructeur de l’environnement (lumière, atmosphère, chaleur) sur les effets quantiques.

« Les superpositions quantiques à grande échelle sont si fragiles et si promptes à être détruites par leur couplage avec l’environnement qu’elles ne peuvent pas être observées en pratique. Aussitôt créées, elles se transforment en un éclair en des mélanges statistiques sans intérêt » Serge Haroche, prix Nobel de physique 2012 et pionnier de la décohérence, dans « Exploring the Quantum » aux éditions Oxford, 2006.

La décohérence quantique. // Source : ScienceClic

Ainsi, en biologie, où la matière est dense et la température relativement élevée, on peut certes identifier quelques phénomènes purement quantiques, mais très localement, à l’échelle de quelques électrons (par exemple, la détection du champ magnétique terrestre par les oiseaux migrateurs implique la superposition d’états de deux électrons au sein d’une molécule appelée cryptochrome). En revanche, les phénomènes physiques à l’échelle de nos organes, d’une cellule ou même d’une molécule biologique, comme une protéine ou de l’ADN, sont purement classiques, en vertu de la décohérence.

Quand les pseudosciences détournent le vocabulaire et les concepts de la science

Ces considérations ne dérangent toutefois pas les tenants des discours pseudoscientifiques, qui saupoudrent le jargon de la mécanique quantique sans aucune rigueur et de façon ambiguë, multipliant les contresens et les contrevérités. Ils se cachent fréquemment derrière des citations de grands physiciens qui ont quelquefois affirmé leurs propres difficultés d’interprétation.

Guerlain sort sa « crème quantique » (G. Milgram).

Qu’on ne s’y trompe pas : la physique quantique est très bien comprise et extrêmement précise dans ses prédictions. Les difficultés énoncées par les scientifiques du domaine proviennent de l’interprétation, de la représentation mentale que l’on se fait des phénomènes quantiques, troublants, très différents de notre expérience quotidienne et si éloignés de notre intuition.

C’est la raison pour laquelle la mécanique quantique constitue un terreau idéal pour le mysticisme. Elle fournit un mélange de phénomènes fascinants, de concepts abstraits réputés difficiles et d’un vocabulaire évocateur qui est dilué dans un amalgame de lexique ésotérique New Age. Cela donne un beau mélange de « vibrations », « lumière », « champ énergétique », « biorésonance quantique », « élévation de son niveau d’énergie », « clés d’harmonisation multidimensionnelle » et tant d’autres formulations vides de sens.

Les phénomènes de la mécanique quantique eux-mêmes sont dévoyés : l’intrication permettrait de soigner à distance, la bioluminescence fournirait une justification aux méridiens de l’acupuncture, le vide quantique expliquerait la mémoire de l’eau.

Des impostures intellectuelles à des fins lucratives

Cette démarche constitue une imposture intellectuelle, telle que définie par Alan Sokal et Jean Bricmont, c’est-à-dire une « utilisation abusive du vocabulaire scientifique […] pour se donner une illusion de crédibilité ».

Le business est lucratif : de consultations à quelques dizaines d’euros la séance, à des formations en ligne à plusieurs centaines voire milliers d’euros, en passant par des appareils à l’apparence de dispositifs médicaux dépassant les 20 000 euros.

Leur promotion, basée sur les réseaux sociaux, utilise souvent un système pyramidal, où les acheteurs sont enrôlés en tant que revendeurs, puis embauchent à leur tour des revendeurs. Ce schéma protège les fabricants derrière les utilisateurs qui assurent la promotion et assument les fausses prétentions.

Il y a des technologies réellement quantiques

Si les appareils de médecine quantique ne sont pas plus quantiques que votre stylo, les phénomènes quantiques néanmoins sont bel et bien exploités à l’heure actuelle, notamment pour réaliser les premiers ordinateurs quantiques. Ceux-ci sont opérés dans les conditions très exigeantes que les phénomènes quantiques exigent : ultravide et très basses températures (quelques degrés, voire fractions de degrés au-dessus du zéro absolu, c’est-à-dire la bagatelle de -273 °C).

Avec le développement actuel de ces technologies quantiques bien réelles, il est à craindre que les charlatans ne surfent de plus belle sur la vague médiatique actuelle.

Il convient donc d’être particulièrement vigilants quant au contenu scientifique et à la sincérité de ceux qui nous font miroiter des promesses de santé ou de prospérité quantiques, afin que la médecine quantique ne devienne pas l’homéopathie de demain.

En ce sens, l’affaire Guerlain peut être vue comme une lueur d’espoir, car elle a été un électrochoc pour de nombreux scientifiquesmédias et vulgarisateurs – relais essentiels entre les scientifiques et le grand public – qui se sont exprimés en chœur sur cette thématique. Le fait que la totalité des grands médias leur ait donné un écho immédiat et sans ambiguïté – ce qui n’est pas toujours le cas en ce qui concerne les pseudosciences – est en ce sens rassurant.

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Aymeric Delteil, Chercheur CNRS, Groupe d’étude de la matière condensée, Université de Versailles Saint-Quentin-en-Yvelines (UVSQ) – Université Paris-Saclay

Cet article est republié à partir de The Conversation sous licence Creative Commons.