Jenna Miscavige, la nièce du fondateur de l’Eglise de Scientologie, est restée jusqu’à ses 21 ans membre de la puissante organisation. Elle a finalement décidé de quitter, non sans mal, la secte.

Jamais un témoignage n’avait été si dérangeant pour cette secte à la férule planétaire, dontplusieurs stars hollywoodiennes se sont faites les servants glamour et zélés, à l’image du haut gradé Tom Cruise.

Celle qui parle aujourd’hui n’est autre que la nièce du gourou,Jenna Miscavige. Le livre de la fille de David Miscavige, Rescapée de la Scientologie, publié au même moment aux Etats-Unis et dans plusieurs pays d’Europe – dont la France, aux éditions Kero -, retrace son histoire. En 2005, à 21 ans, Jenna, jolie blonde au sourire nature, quitte l’organisation avec son mari au terme d’un long cheminement personnel et bon nombre de chausse-trapes tendues par les hiérarques de l’Eglise de scientologie. Derrière elle, toute sa vie: née dans la secte, grandie dans la secte, elle a découvert le monde au travers des yeux et surtout des méthodes redoutables de l’oncle David.

Dès l’enfance, elle est éloignée de ses parents, cadres importants de l’organisation, qu’elle ne rencontrera qu’en de rares occasions durant ses années sous influence. Ses chaperons scientologues restreignent ses communications téléphoniques, ses courriers, ses fréquentations. Vers l’âge de 13 ans, alors que sa mère, accusée d’adultère, est envoyée dans un camp de redressement, Jenna se frotte à son tour aux traitements de choc de la “Sciento”: interrogatoires incessants, harcèlement psychologique, chantage affectif… Trois ans plus tard, lorsque ses géniteurs sont déclarés, dans le jargon de l’Eglise, “Suppressive Persons” – des ennemis -, la jeune fille décide de rester. Elle en paiera le prix. L’appel de la liberté finit par se faire entendre lors d’un séjour missionnaire en Australie. A mesure que Jenna et son époux comprennent qu’une autre vie est possible, les serres de leurs cerbères se referment sur eux. Mauvais calcul: le jeune couple trouve la force de rompre ses chaînes. Jenna a aujourd’hui deux enfants. Qui comprendront, à la lecture de son récit, l’enfer auquel ils ont échappé.

EXTRAITS
[A 13 ans, Jenna demande à participer à l’Estates Project Force (EPF), un camp d’entraînement par lequel il faut passer pour devenir membre de la Sea Org, le coeur opérationnel de la Scientologie. Elle est alors convoquée par un cadre du Religious Technology Center (RTC), la principale structure dirigeante de la secte, présidée par David Miscavige.]

Mon estomac se serra. Cela signifiait que j’allais passer un contrôle de sécurité, en d’autres mots, au confessionnal. Contrairement aux sessions d’audition, nos confessions n’étaient pas confidentielles et pouvaient être utilisées contre nous pour des actions disciplinaires.

Ils posaient la même question inlassablement, votre peur grandissant chaque fois que l’électromètre vous contredisait.

Mon confessionnal s’étira sur plusieurs semaines. On me posa toutes sortes de questions, depuis: “Avais-je volé quelque chose” à: “Avais-je fait quelque chose de contraire à l’éthique de la Seconde Dynamique” ou: “Avais-je fait quelque chose que je ne voulais pas que mes parents sachent?” La procédure d’interrogatoire reposait toujours sur les lectures d’aiguille de l’électromètre [NDLR: le principal instrument de manipulation mentale utilisé lors de ces séances]. […] La réponse de l’électromètre l’emportait toujours sur la vôtre. […] Ce qui rendait tout cela particulièrement éprouvant, ce n’était pas uniquement la nature intrusive des questions, mais le fait que ceux qui les posaient étaient impitoyables. Ils ne vous posaient pas la question une bonne fois pour toutes et c’était terminé, mais posaient la même question inlassablement, votre peur grandissant chaque fois que l’électromètre vous contredisait. […] La nature répétée des questions vous faisait douter de vous-même à un point indescriptible […] Quand ils vous posaient la même question encore et encore, avec des niveaux d’intensité qui augmentaient, vous commenciez brusquement à douter de vous-même. C’étaient des aveux pour des choses qui ne s’étaient jamais passées, vous le saviez parfaitement, et pourtant après avoir entendu la même question assez longtemps, vous commenciez à croire que votre réponse n’était peut-être pas bonne. Peut-être aviez-vous fait cela dans un univers alternatif, et quelque part, vous n’étiez pas au courant. Peut-être faisiez-vous de la rétention d’informations. […] C’est ainsi qu’à de nombreuses reprises je terminai une session sans avoir fait aucune des choses que j’avais avouées, mais simplement parce que c’était le seul moyen d’y mettre un terme.

[Le lendemain, Jenna commence l’EPF de la Sea Org.]

Il y avait environ une vingtaine de personnes avec moi dans ce camp, toutes âgées de moins de 18 ans. Un petit garçon n’avait que 9 ans. […] Notre tyran, Dave Englehart, jouait le rôle de sergent instructeur. Membre de longue date de la Sea Org, il avait travaillé avec LRH [NDLR: Lafayette Ron Hubbard, le fondateur]. Il avait la réputation d’être dur et sans pitié, avec une touche de folie […]. Lors des inspections des uniformes, il reniflait et disait: “Il y a quelqu’un qui pue ici!” Nous étions tous abasourdis, mais il hurlait de plus belle, fou de rage: “Qu’est-ce que c’est que cette odeur?” Une fois, il plongea et tira le pied d’un jeune Russe, qu’il fit tomber […]. “C’est toi, espèce de porc qui pue! fulmina-t-il. Va laver tes sales pieds! Et ne t’avise plus jamais de revenir à l’une de mes inspections en puant encore la merde! Plus jamais!”

[Jenna, 15 ans, conteste une sanction et est convoquée par son oncle Dave et sa tante Shelly.]

– Que fais-tu? s’enquit oncle Dave.

– J’écris mes crimes et secrets, comme me l’a demandé Mr.Rathbun.

– Humm, je vois, répondit-il, très distant. As-tu des problèmes d’éthique?

– Oui, Sir, affirmai-je, en éclatant presque en sanglots.

– Pourquoi?

– J’essayais d’appeler mes parents, et une bagarre a éclaté et…

Il m’interrompit d’un “Incroyable, juste incroyable” à voix basse, puis il haussa considérablement le ton et déclara:

– Tu n’auras plus droit à un traitement de faveur. […]

Tante Shelly était particulièrement en colère.

– Jenna, j’ai été une gardienne… non, un ange gardien pour toi, commença-t-elle. […] Je t’ai donné mon temps, me suis occupée de toi, et tout ce que tu as fait, c’est en profiter. […] Tu as été monstrueuse. […]

Elle cita mon habitude de courir chez mes parents chaque fois que j’en avais envie, les distrayant de leur travail […]. J’essayai de rétorquer que je ne les avais vus qu’une fois ces trois dernières années, alors comment cela pourrait-il être vrai? Mais elle m’interrompit.

– Ne t’avise surtout pas de me répondre! m’ordonna-t-elle.

Elle continua avec ses griefs, se servit de ma lettre et de tout ce qu’elle avait pu entendre sur mon comportement. J’étais excessivement “hors éthique” pour avoir flirté en cours, bien sûr, juste à deux doigts d’avoir des rapports sexuels en pleine audition. […]

– Où que tu ailles, tu abîmes tout ce que tu touches. […] Si tu continues ainsi, tu vas devoir changer de nom, car c’est complètement “hors PR [Public Relation]” (elle faisait référence au fait que j’étais une Miscavige, et donc, en tant que représentante de ma famille, ma conduite devait être exemplaire). Tu vas devoir aller au bout d’un programme, et tu as intérêt à coopérer. […]

– Accepterez-vous encore de me parler? l’implorai-je, tâchant de ne pas pleurer de nouveau.

– Je ne sais pas, Jenna, répondit-elle avec un certain remords et la manipulation qu’il fallait. Peut-être, si tu vas au bout de ton programme.

[Jenna, 16 ans, est reçue par des cadres de la Scientologie pour une annonce importante.]

J’attendis anxieusement. Mes mains avaient beau être froides, mes paumes transpiraient. […]

– Ecoute, Jenna, je ne sais pas comment le dire autrement, à part être direct. Ronnie et Bitty, fit-il en parlant de mes parents, ne font plus partie de la Sea Org.

Sa voix était blanche et sans émotion, et il attendit ma réaction. […]

– Que s’est-il passé? demandai-je d’un ton calme.

– Je ne peux pas entrer dans les détails, répondit-il.

Il se mit à m’expliquer ce qui allait se passer et quand il parla, deux choses devinrent claires. Premièrement, je compris que tout ce que j’avais vécu – les mois de contrôles de sécurité, le récurage des toilettes […] – ce n’était pas à cause d’un de mes actes, mais parce que mes parents quittaient la Sea Org, ce qui me surprit et m’énerva. Deuxièmement, je compris que la seule raison pour laquelle l’on m’avait fait subir tout cela, c’était parce que l’on m’expulsait. On me forçait à accompagner mes parents, où qu’ils fussent. […] Le but déclaré de ce genre de contrôle de départ était d’aider la personne qui partait à se débarrasser de ses crimes et secrets. Mais surtout, c’était de réunir des informations personnelles dont on pourrait se servir ultérieurement contre la personne si celle-ci disait franchement ce qu’elle pensait de l’Eglise. […]

– Alors maintenant je suis censée partir avec eux? […]

– Tu vas les rejoindre. Le plan, c’est que tu suivras des cours de Scientologie en ligne, et, quand tu auras 18 ans, tu pourras revenir si tu veux. […]

Voilà que j’étais censée laisser tout ce que j’avais connu, tous mes amis, toute ma vie. […] Je savais que mes parents seraient sûrement déclarés SP, et je décidai donc de ne pas mâcher mes mots :

– Si je pars, je me retrouve dans le même bateau qu’eux, n’est-ce pas? fis-je. […]

– Eh bien oui, pour être honnête. […]

Je devais prendre une décision rapidement, et ma réaction viscérale l’emporta.

– Je ne veux pas partir. […]

– Un jour, tu seras un excellent atout pour l’Eglise, observa Mr.Rinder en me gratifiant d’un grand sourire.

[Après avoir décidé de rester dans la Scientologie, Jenna est mise à l’écart de ses amis.]

On m’avait étiquetée “risque pour la sécurité” et on me prenait de nouveau tous les gens qui comptaient pour moi.

Cela avait peut-être été mon choix, mais je n’avais jamais cru que je perdrais tout. C’était une chose de perdre mes parents, aussi tendues que fussent nos relations, j’y étais préparée. Mais perdre mes amis et ma famille à Clearwater [NDLR: le siège central de la Scientologie] n’était pas quelque chose que j’avais prévu. […] On m’avait étiquetée “risque pour la sécurité” et on me prenait de nouveau tous les gens qui comptaient pour moi. […]

Le lendemain matin, je dormais encore lorsqu’une de mes gardiennes débarqua chez moi en hurlant:

– Debout là-dedans, c’est l’heure!

Elle était munie d’une pince et se dirigea droit sur moi.

– Avant tout, nous allons enlever ce piercing une bonne fois pour toutes.

Elle exigea que je ne bouge pas pendant qu’elle mettait la pince sur la pierre, la cassait en deux et arrachait le piercing.

– Aïe, dis-je, plus à cause de l’affront que de la douleur.

Ensuite elle sortit sa trousse de maquillage et décréta que j’allais renoncer à l’eye-liner bleu, cela n’était pas convenable pour un Commodore’s Messenger. Mr. Rodriguez voulait aussi que j’applique du fond de teint afin d’essayer de cacher ma peau d’adolescente. J’enfilai l’uniforme qu’elle me donna, un pantalon bleu foncé et une chemise bleu clair, et elle me dit que j’étais bien mieux comme cela. […]

Les mois suivants, tout dans ma vie fut extrêmement contrôlé: inquiets des risques que je représentais, ils faisaient tout leur possible pour me reprogrammer

Je devais maintenant faire une session de la Procédure de Vérité, une procédure pour découvrir le “Black PR” – la mauvaise propagande – à laquelle j’avais été exposée au cours de ma conversation avec eux [NDLR: ses parents]. J’allais être dirigée vers l’instant où j’avais cru ce que mes parents m’avaient dit, et une fois celui-ci trouvé, je devais localiser le crime que j’avais commis juste avant cet instant, et qui m’avait conduite à le croire. Avec du recul, je constate que c’était la procédure ultime de lavage de cerveau. […] Ensuite, on m’informa que je suivrai la formation PTS/SP, un cours important en Scientologie, qui traitait des SP, personnes suppressives, et des PTS, sources potentielles d’ennuis. […] La raison implicite pour laquelle je devais suivre cette formation était que mes parents étaient des SP. […]

Les mois suivants, tout dans ma vie fut extrêmement contrôlé: inquiets des risques que je représentais, ils faisaient tout leur possible pour me reprogrammer afin de s’assurer que je ne discutais pas de mes parents et ne me servais pas de leur départ pour répandre des pensées suppressives. Je ne pouvais aller nulle part, sauf aux toilettes, et pour cela je devais frapper à la porte de Mr. H et m’assurer une escorte. Je devais prendre tous mes repas avec Mr. H et Mr. Rodriguez, et ne pouvais que faire un signe de la main aux amis que je voyais au réfectoire. J’avais cru que j’en avais fini avec la captivité quand j’étais arrivée à Los Angeles mais non, la récompense pour ma loyauté était encore plus de sanctions.

source : L’Express

Par Claire Chartier, le 06/02/2013

http://www.lexpress.fr/actualite/societe/dans-l-enfer-de-la-scientologie-la-niece-du-gourou-temoigne_1217126.html