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Les personnes fragiles, malades, en rupture familiale ou professionnelle, sont particulièrement victimes de ce type d’emprise mentale, fréquentes dans le secteur du bien-être. Georges Fenech.

L’ancien président de la mission sur les dérives sectaires, Georges Fenech, s’attaque aux charlatans qui pullulent et s’enrichissent dans le secteur de la santé et du bien-être. Un livre cinglant et très documenté qui n’épargne pas les pouvoirs publics

Votre livre montre que c’est davantage dans le secteur de la santé et du bien-être que dans le religieux qu’on recense le plus de gourous et de charlatans…

Très clairement, oui. Cela peut parfois se superposer avec la propagation d’une croyance d’ordre religieux mais la plupart des dérives sectaires s’opèrent sur la base d’une soi-disant thérapie. Le phénomène est toujours le même.

Il s’agit d’une emprise mentale au détriment de personnes fragiles, malades, en rupture familiale ou professionnelle, qui se raccrochent aux faux espoirs que représente un gourou qui profite donc d’un abus de faiblesse, souvent pour en retirer de l’argent.
Ces pratiques faussement médicales représentent un business qui se chiffre en milliards d’euros avec des livres, des CD, des objets, des salons ou des stages.

Non, bien sûr, cela peut aussi arriver à des personnalités au sommet de la pyramide sociale. Quand il a appris qu’il avait une tumeur cancéreuse au pancréas, Steve Jobs, le fondateur d’Apple, a préféré suivre les conseils d’un gourou, qui lui prescrivait des herbes bio et des jus de légumes. Quand il a compris qu’il devait revenir à la médecine traditionnelle, il était trop tard.

Comment peut-on croire à des pratiques comme la biochirurgie immatérielle ou l’urinothérapie ?

Si vous avez la réponse, je suis preneur. Une partie de la population est en totale perdition. Elle a perdu confiance dans la médecine à cause des grands scandales que nous avons connus, comme le sang contaminé ou le Mediator.

Il faut le reconnaître, la médecine elle-même a failli. Les gens se tournent donc vers des pratiques soi-disant plus naturelles. Ils cherchent d’autres réponses, d’autres remèdes, augmentant le risque de croiser la route de charlatans.

La médecine a failli mais le charlatanisme est vieux comme le monde…

Ceux que je rebaptise les « fake doctors » ou les « dérapeutes » ont en effet toujours existé. Désormais, les réseaux sociaux et Internet ont gravement amplifié le phénomène et la circulation des thèses complotistes. Internet, c’est l’open bar du charlatanisme.

” Les mouvements sectaires infiltrent la haute administration, notamment à l’Éducation nationale ou à la Santé, les milieux politiques “

Et c’est le cas avec l’épidémie de Covid-19. Les gens sont angoissés par le virus, confinés chez eux et passent encore plus de temps sur le web. Depuis le début de la pandémie, la Miviludes a reçu des centaines de signalements sur des produits bidon proposés à la vente sur Internet. Mais quand vous dénoncez ces pratiques, vous êtes aussitôt accusé de chasse aux sorcières, de maccarthysme, voire de dictature.

La Miviludes, justement. Vous assurez que sa récente dilution dans un autre organisme, rattaché au ministère de l’Intérieur, n’est pas innocente…

J’ai le droit de me poser des questions. C’était un organisme indépendant, rattaché à Matignon, avec un budget de 500 000 euros par an. Avec le temps, c’était devenu l’empêcheur de tourner en rond et elle finissait par gêner.

Il faut bien comprendre que les mouvements sectaires infiltrent la haute administration, notamment à l’Éducation nationale ou à la Santé, les milieux politiques et économiques. J’ai moi-même fait plusieurs signalements sur des comportements anormaux.

Georges Fenech : “Je préfère définitivement la science à la croyance et Louis Pasteur à Pierre Rabhi…”  © Crédit photo : Archives AFP

Vous mettez d’ailleurs en cause Jérôme Salomon, l’actuel directeur général de la Santé…

Quand j’ai écrit le livre, personne ne le connaissait et je n’évoque pas son action dans la lutte contre le Covid-19. Mais je rappelle que c’est lui qui a déroulé le tapis rouge à un colloque au ministère sur la méditation en pleine conscience, présentée comme une thérapie contre le stress ou la dépression, alors que cela n’a aucun fondement scientifique sérieux. L’un de ses zélateurs, Christophe André, a micro ouvert sur une radio publique. Le cas s’est reproduit à l’Assemblée nationale.

” Au nom de quoi est-ce à la société de financer une pratique qui relève plus de la croyance que de la science ? “

Un député a le droit de méditer chez lui s’il veut mais, chaque fois que la puissance publique, l’hôpital ou l’université crédibilisent et légitiment ce qu’on appelle une PNCAVT (Pratique non conventionnelle à visée thérapeutique), cela encourage les gens à y recourir en toute confiance, et c’est dangereux.

Lors du colloque au ministère de la Santé, la secrétaire générale de la Miviludes avait sévèrement mis en garde contre ces dérives. Et quelque temps après, la Miviludes a perdu son ancien statut. À l’Assemblée nationale, le groupe d’études sur les sectes a été dissous. On a le droit de s’interroger.

Vous approuvez la décision gouvernementale de dérembourser l’homéopathie. Dites-vous que cette médecine est du charlatanisme ?

Je ne la mets évidemment pas sur le même plan que de vraies escroqueries, comme l’instinctothérapie. Mais, sur Internet, des sites la recommandent contre le Covid-19. Il n’y a jamais eu la moindre étude scientifique sérieuse sur les bienfaits de l’homéopathie.

” Lors de l’épidémie, on entend forcément moins la voix des anti-vaccins.Hélas, vous verrez que cette mise en veilleuse des anti-vaccins ne durera pas…”

Chacun est libre de se soigner avec elle ou avec des plantes. Mais au nom de quoi est-ce à la société, donc vous et moi, de financer une pratique qui relève plus de la croyance que de la science ? Cette affaire a permis de mettre en lumière le lobbying politique avec notamment l’intervention du maire de Lyon, Gérard Collomb, en faveur des laboratoires Boiron.

L’épidémie actuelle ne recrédibilise-t-elle pas la médecine traditionnelle aux yeux de la population ?

Il est vrai que les Français voient et applaudissent le travail, le dévouement et les compétences du personnel soignant avec les méthodes considérées comme traditionnelles. Et on entend forcément moins la voix des anti-vaccins, hélas portées par certains médecins comme le professeur Henri Joyeux, ou des théoriciens fumeux comme Pierre Rabhi, qui bénéficie d’un incroyable soutien médiatico-politico-mondain et qui a été médaillé, en 2017, par la Ville de Paris.

Pierre Rabhi, agriculteur, essayiste et écologiste français.  © Crédit photo : Archives AFP

Hélas, vous verrez que cette mise en veilleuse des anti-vaccins ne durera pas. Et, sur Internet, vous trouvez encore tout et n’importe quoi pour combattre le Covid-19 ; le jus de carottes, l’huile de sésame et même l’urine d’un enfant, sans oublier le jeûne.

Ne craignez-vous pas de passer pour un rationaliste ronchon issu de l’ancien monde ?

Cela m’est égal et je dirais même que je l’assume. Je préfère définitivement la science à la croyance et Louis Pasteur à Pierre Rabhi.

Bio express

Magistrat de profession, Georges Fenech, 65 ans, a été juge d’instruction à Lyon où il a notamment instruit le premier grand procès impliquant la scientologie, en 1994. Il a également été député du Rhône (UMP puis Les Républicains), de 2002 à 2008, puis de 2012 à 2017. Proche de Nicolas Sarkozy, qui l’a nommé secrétaire national de l’UMP à la Justice, en décembre 2014. Georges Fenech a présidé la Miviludes de 2008 à 2012, nommé encore par Nicolas Sarkozy, alors à l’Élysée.

La publication de son livre, « Gare aux gourous » (Éditions du Rocher), était prévue le 2 avril mais, en raison du Covid-19, elle a été reportée au mois de septembre.

source : Par Propos recueillis par Benoît Lasserre

https://www.sudouest.fr/2020/04/16/des-charlatans-bien-portants-7417176-10142.php