«Quand ils ont peur, je comprends. Quand ils perdent espoir, je comprends. On dirait que juste par le non-verbal, nos psychés se comprennent.»

Ghayda Hassan est psychologue clinicienne, chercheuse et professeure à l’université. Elle se spécialise dans les questions de radicalisation et de violence, en plus de travailler auprès des victimes de guerre.

La thérapeute de 46 ans détient un postdoctorat en psychologie, mais ce qui fait toute la différence dans son intervention et sa compréhension des enjeux, c’est qu’elle a elle-même grandi dans un pays où les attentats à la bombe et les voitures piégées faisaient partie du quotidien.

«C’est grandir dans un contexte d’imprévisibilité, d’insécurité, de violence, et de privation de quelques besoins de base, comme les fois où on ne pouvait pas aller à l’école, où il n’y avait pas assez de nourriture, pas d’électricité, pas d’eau chaude, ou pas d’eau carrément», énumère la psychologue, rencontrée dans son bureau de l’Université du Québec à Montréal.

Ghayda Hassan est née à Beyrouth en 1974. Quelques mois plus tard, la guerre civile éclatait au Liban, et aura persisté pendant près de 16 ans. L’enfance de la psychologue en a été profondément marquée.

Un matin tu te lèves, il y a des bombes et tu vas te cacher dans l’abri. L’autre matin, tu vas à l’école et tu as déjà oublié hier.Ghayda Hassan

«Il y avait des moments de combat très intenses et des moments d’accalmie de plusieurs semaines ou mois, décrit-elle. Dans tout ça, j’étais quand même une enfant. Je pense qu’un enfant, ça a quelque chose de magique, dans le sens où on est dans le moment présent. Un matin tu te lèves, il y a des bombes et tu vas te cacher dans l’abri. L’autre matin, tu vas à l’école et tu as déjà oublié hier», observe-t-elle, pensive.

L’immigrante estime que ses parents ont été aussi protecteurs et sécurisants que possible pour leurs cinq enfants, mais malgré tout, ils étaient confrontés à de grandes difficultés, inhérentes au contexte de guerre.

«Ma mère devait gérer beaucoup d’imprévisibilité, s’assurer de notre protection et prévoir la nourriture en fonction des semaines de privation, explique Ghayda Hassan. Mon père était chirurgien d’urgence et il dormait à l’hôpital parce qu’il y avait tellement de blessés qui entraient chaque jour. Il voulait rentrer à la maison mais il ne pouvait pas parce qu’il y avait trop de bombardements.»

Mes parents ont toujours tout fait pour nous protéger.Ghayda Hassan

La psychologue raconte qu’en ce contexte de guerre civile, les personnes moindrement engagées politiquement pouvaient craindre pour leur vie. «Mes parents devaient faire affaire à des menaces de mort envers eux et à des tentatives d’assassinat, confie-t-elle. Mais ça, ce sont des choses que je raconte et que j’ai apprises plus tard. Ma mère ne nous disait pas “Aujourd’hui, j’ai reçu un appel et on a menacé de tuer ton père.” Mes parents ont toujours tout fait pour nous protéger.»

Dès l’âge de 14 ans, Ghayda Hassan savait qu’elle voulait devenir psychologue. Le désir de comprendre ce qui pousse l’humain vers la violence l’a poussée vers ce domaine, mais c’est aussi lorsqu’elle a côtoyé une femme atteinte de schizophrénie, qui aidait sa mère à la maison, que sa fascination pour l’être humain s’est confirmée. «J’ai été témoin de ses crises de décompensation psychotique. J’étais vraiment très curieuse de comprendre comment le cerveau fonctionne», se rappelle-t-elle.

Après avoir entamé ses études universitaires en psychologie, l’étudiante a dû quitter le Liban, où il n’y avait pas de programme de doctorat dans le domaine à l’époque. C’est donc en 1996, grâce à une bourse, qu’elle s’expatrie à Montréal. «J’étais euphorique!» se souvient Ghayda Hassan avec le sourire.

Une personne du jury m’a dit: «Peut-être que je mettrais fin à ta carrière» Ghayda Hassan

 Rapidement, celle dont le français n’est pas la langue maternelle est confrontée à des obstacles qui bouleverseront la suite de son cheminement.

À son arrivée, l’étudiante admise à l’Université de Montréal se fait dire qu’elle n’a pas été acceptée dans le bon programme et qu’elle doit obtenir des A+ partout pour y parvenir. Plus tard dans son parcours, on l’informe qu’elle est à risque d’échouer son projet de recherche doctoral. «Une personne du jury m’a dit: “Peut-être que je mettrais fin à ta carrière”», raconte la psychologue.

Suivant les conseils de deux personnes à la direction du programme, Ghayda Hassan change finalement de sujet de recherche et repart à zéro avec un nouveau directeur de thèse. Puis, en stage, la doctorante se fait mépriser; on s’en prend à elle et à sa culture. «J’ai appris plus tard que c’était une collègue très proche d’une prof au département avec qui j’avais eu des difficultés.»

Après avoir finalement obtenu son doctorat, la diplômée s’est fait dire par des personnes bien au courant de son cas à l’université que toutes les embûches rencontrées n’étaient pas reliées à des questions académiques. «On m’a dit: “Tu n’y étais pour rien”, raconte Ghayda Hassan, qui était à l’époque la seule immigrante musulmane de sa cohorte. J’ai découvert que c’était pour des questions de discrimination, tout simplement.»

Comprendre au-delà des mots

Malgré les nombreuses difficultés rencontrées durant son parcours universitaire, la thérapeute a su faire sa place, même que sa réputation n’est plus à faire dans son domaine.

Ghayda Hassan intervient auprès d’immigrants et de réfugiés de tous les âges, et naturellement, son propre vécu teinte son approche. «J’ai une idée expérientielle, je sais de quoi il s’agit», affirme la psychologue, qui insiste pour dire que malgré tout, elle ne peut pas prétendre que chaque victime vit la guerre de la même façon ou a subi les mêmes traumatismes.

«Quand ils ont peur, je comprends. Quand ils perdent espoir, je comprends. On dirait que juste par le non-verbal, nos psychés se comprennent», décrit la clinicienne.

Il m’arrive encore de me poser la question: pourquoi tant de violence? C’est l’enfant en moi qui est enragée, qui n’arrive pas à voir la fin de ça.

 Ghayda Hassan estime que parfois, le fait d’avoir elle-même vécu la guerre la rend plus fragile dans son travail. «Ça peut venir jouer sur mes propres traumatismes et me rendre un peu plus vulnérable par moments, admet-elle. Je ne peux pas prétendre avoir la distance que d’autres personnes ont par rapport à l’intervention. J’ai appris que je dois accepter ça et m’écouter. Quand ça me nuit, j’essaie de prendre du recul.»

La psychologue estime que l’humain est grandement résilient, mais à l’opposé, elle n’arrive pas à s’expliquer comment il peut y avoir autant de haine dans le monde. «Je ne comprends pas pourquoi. Il m’arrive encore de me poser la question: pourquoi tant de violence? C’est l’enfant en moi qui est enragée, qui n’arrive pas à voir la fin de ça», se désole-t-elle.

«Je pense qu’on est capable d’actions très, très bonnes, mais j’ai l’impression que ça glisse vers quelque chose d’un peu problématique dans certaines parties de la planète. Il y a des tensions qui s’exacerbent de plus en plus, une haine qui monte de plus en plus, une peur de l’autre», s’alarme celle qui est également cotitulaire de la chaire UNESCO en prévention de la radicalisation et de l’extrémisme violents.

À titre de chercheuse, elle s’intéresse à la radicalisation, un phénomène pour lequel les idées préconçues sont omniprésentes . «À un moment donné, j’étais vraiment dégoûtée de travailler là-dessus parce que quand on parlait de radicalisation violente au Québec, on ne parlait que de l’islam et de l’extrémisme islamiste de Daech. C’est hyper stigmatisant pour les communautés musulmanes», déplore-t-elle.

La spécialiste, souvent sollicitée par les médias pour commenter des nouvelles sur le sujet, continue de s’y intéresser, justement dans l’espoir de changer les mentalités. «L’extrémisme violent, c’est de tous les côtés. Beaucoup d’autres groupes, au quotidien, font de petites choses qui n’apparaissent pas dans les médias, qui font hyper mal et qui à long terme sont très dangereuses pour une société», s’inquiète Ghayda Hassan, faisant référence, entre autres, aux groupes d’extrême droite.

Dans ce contexte, elle s’en fait un devoir; la professeure de l’UQAM veut faire ressortir le meilleur de l’humain chez ses étudiants. «Je pense qu’un des problèmes majeurs, c’est qu’on n’apprend pas aux gens à être empathiques, souligne-t-elle. On apprend de plus en plus à nos enfants à être centrés sur leurs propres besoins et leur propre actualisation, et je suis tout à fait d’accord. Mais je pense qu’on oublie de leur apprendre à être profondément solidaires», poursuit Ghayda Hassan.

«La solidarité, pour moi, l’humanité ne peut pas survivre sans ça.»

 

https://quebec.huffingtonpost.ca/entry/beyrouth-montreal-psychologue-guerre_qc_5e61608ec5b691b525ef7d3a

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Par Florence Breton