résumé
Sufi Order International (SOI) a été fondé au début du XXe siècle en Occident et pour un public occidental par Hazrat Inayat Khan, un musicien et disciple de l’ordre soufi indien de la Chishtiyya. Ce groupe offre l’exemple d’un soufisme occidental ayant trouvé sa place dans la nébuleuse New Age en embrassant des formes syncrétiques de spiritualité et en mettant l’accent sur l’universalisme du message soufi, par-delà l’islam per se. En retour, ce soufisme occidental a commencé à féconder les terres musulmanes en répondant aux demandes d’une bourgeoisie libérale et occidentalisée réfractaires aux offres religieuses généralement disponibles sur place et qui a trouvé dans ce discours soufi universaliste une voie d’accès acceptable à l’islam, passé au tamis de la modernité religieuse. Au travers de terrains en Suisse et au Pakistan au sein de SOI, cet article vise à analyser les dynamiques du mode de croyance contemporain articulées avec celles de la mondialisation religieuse.
Texte intégral
La « globalisation du religieux » se déploie selon des « configurations de réseaux » déterminées par la demande d’acteurs sociaux « en quête d’identité, de promotion culturelle et sociale, de restructuration personnelle ou encore de méthodes alternatives de santé et de mieux-être » (Bastian, Champion, Rousselet, 2001 : 11). Loin d’être enclavées dans une spécificité irréductible, les modes d’expression de la religiosité musulmane se développent elles aussi selon des logiques « transversales » (Roy, 2002). Les grandes dynamiques animant la scène religieuse contemporaine occidentale ne sont donc pas étrangères, loin s’en faut, aux sociétés perçues comme davantage « traditionnelles ». Ces dernières ne sont pas toutes confrontées au déboîtement généralisé des systèmes symboliques et des univers religieux, à cette « dislocation générale des codes de sens » (Hervieu Léger, 2001 : 90) faisant le nid des nouvelles offres et demandes spirituelles contemporaines. Elles sont, par contre, travaillées, comme le Pakistan, par des recompositions multiples des « catégories de sens » de l’islam et par de nombreuses tentatives de productions de la modernité à partir de la tradition.
Dans ce cadre, le soufisme, comme « voie mystique » de l’islam, a réussi à se déterritorialiser. Ce processus a engendré à la fois sa « dé-islamisation » et sa « stylisation », lui permettant de trouver sa place dans le marché religieux occidental, et plus précisément dans la « nébuleuse mystique ésotérique » (Champion, 1990), participant ainsi, aux côtés de la Kabale, du néo-hindouisme ou du zen, à ce que Campbell a appelé « l’orientalisation » de l’Occident (Altglas, 2001 : 58). Mais en retour, ce soufisme devenu New Age1 trouve pour sa part un écho dans les cercles de la bourgeoisie libérale pakistanaise, animés par les mêmes valeurs d’une société démocratique libérale marquée par l’indépendance individuelle, et hostiles aux expressions normatives, politisées et réactives de l’islam. Nous parlons bien de soufisme New Age et non pas de néo-soufisme ou de néo-confrérie (Roy, 2002 : 137), ces expressions désignant dans la littérature académique un soufisme orthodoxe engagé dans l’activisme social et surtout politique, autant d’orientations qui demeurent généralement absentes des cercles New Age. Les thèmes ésotériques développés par ce soufisme occidental présentent des continuités évidentes avec les mystiques orientales : l’idée d’un divin immanent, la focalisation sur la transformation intérieure ou encore la dimension émotionnelle de cette mouvance religieuse ne présentent pas de ruptures essentielles avec l’univers classique du soufisme. Ce qui est nouveau, c’est que le soufisme New Age soit « désorbité » de l’unique référence islamique et qu’il se revendique comme voie initiatique hors de toute orthodoxie. Nulle référence au Coran, à la loi islamique (charia) ou à la Tradition du prophète Mohammad (sunna) n’est invitée dans les cercles de SOI, même si au Pakistan on s’y revendique comme clairement musulman et on tente d’y réislamiser ce soufisme New Age.
Pour lire l’article en entier, activer le lien ci-dessous:
Source : Revue des mondes musulmans et de la Méditerranée, N°135, printemps 2014, http://remmm.revues.org/8487
jeudi 20 février 2014
ALIX PHILIPPON
http://www.cippad.com/2014/02/de-loccidentalisation-du-soufisme-la.html