A rebours des idées reçues, 23% des 1132 Français impliqués dans les filières djihadistes seraient, selon le Ministère de l’intérieur, sont des français convertis, de «souche», qui n’ont pas été élevés dans la culture musulmane, selon les chiffres du Ministère de l’Intérieur
.De son coté, le centre de prévention contre les dérives sectaires liées à l’islam (CDSPI) révélait le profil type des candidat(e)s au djihadisme. Celui-ci ne correspondrait aucunement selon ses enquêtes, à l’imaginaire médiatique savamment entretenu: 80% des candidats au djihad sont issue de familles, sur les 160 ayant fait appel au CDSPI, se déclarent athées. Tout aussi surprenant, 67% d’entre-eux feraient issue des classes moyennes, les milieux populaires n’étant représentés que par 16% des candidats2.

Ces chiffres sont bavards. Ils dégoulinent de signification. Ils interpellent le sens commun et le mettent à rude épreuve. Ils en disent long sur l’élite, sa mentalité et son inefficacité face auphénomène djihadiste. Elle n’en comprend pas la réalité car elle se suffit de ses préjugés. Ils dévoilent la glauque réalité du désarroi d’une partie de la population française, notamment jeune, n’ayant de choix, dans le marasme économique et politique où nous baignons, qu’entre radicalisme religieux, extrémisme politique et émigration professionnelle. «Quand l’âme a soif, disait Victor Hugo dans Ruy Blas, il faut qu’elle se désaltère, fût-ce dans du poison!»,en l’occurrence celui du radicalisme salafiste et djihadiste.Ils révèlent aussi un affaissement intellectuel. Celui de la pensée musulmane d’un coté, incapable de colmater l’hémorragie djihadiste et de détruire les fondements idéologiques et théologiques du salafisme. Et de l’autre, celui de la RépubliqueFrançaise qui s’enferment dans un laïcisme borgne et un libéralisme aveugle qui l’empêche d’aborder en profondeur le phénomène djihadiste, au-delà des gesticulations sécuritaires et bavardages sur les chiffres.

En effet, ces chiffres et l’origine des djihadistes que révèlent les enquêtes perturbent la vielle chansonnette médiatique et confortable du «nous, les civilisés de souche, contre eux, les barbares immigrés ou leurs progénitures». Alors on pinaille sur les détails. Les chiffres et l’origine tiennent lieu de débat. L’absence de projet oblige au rejet. Mais sans l’épouvantail de service comment continuer ?

Sueur froide donc. La souche serait pure. Elle est française. Bien intégrée, assimilée, puisque d’origine. Quand l’enfer était l’autre, c’était plus rassurant. Cela vient de voler en éclat. Les politiques bégaient. Le désarroi s’affiche. La grille, rouillée, ne sert plus. Sa lecture de la réalité ne tient plus. D’où le bavardage que cela suscite. Mais elle est révélatrice de la vision des politiques et des pouvoirs publics. Ils y croyaient donc vraiment : le crime serait basané, barbu et pas « très catholique» ; le radicalisme, c’est sûr, ne peut être que religieux ; et l’intolérance ignoble, forcément, est musulmane. Aux yeux de l’égalitarisme fanfaronnant, niant les couleurs pour être «neutre», nous avons, en fait, la «couleur» qu’elle assigne en cachette à chaque groupe. Le mal aurait une peau, une origine, une religion. Elle serait forcément intrinsèque à certaines populations, puisque le système, la société, la République restent, intrinsèquement, immaculés de «blanches» vertus. Sinon comment comprendre la surprise et la réaction politico-médiatique sur ces chiffres? En quoi, en effet, l’origine immigrée ou de souche influe t-elle sur les faits ? Que révèle donc ces commentaires et débats sur l’origine française (c’est à dire blanche et donc de souche) de certains djihadistes issus de la France, si ce n’est que l’imaginaire des élites continue d’être habité par l’essentialisme coloniale et raciste qui classifiait la vertu et le mal, la civilisation et la barbarie, selon la couleur, l’origine et la religion. C’est l’une des causes de la cécité française et de l’inefficacité des élites. Les œillères de la suprématie empêchent de voir les fissures de l’écroulement et de percevoir les évidences.

Doit-on le répéter? La réalité des candidat(e)s au djihadisme, d’origine immigrée ou pas, est, à un certain niveau d’observation, la même: à savoir qu’ils sont issus de la même société, ont grandit dans le même pays, ont fréquenté les mêmes écoles de laRépublique et parlent, pensent et rêvent dans la langue deMolière. Il s’agit donc de personnes originaires, malgré les spécificités individuelles, familiales et sociales, du même terreau culturel: la France. Et c’est d’ailleurs ainsi qu’ils sont perçus à l’étranger, en Syrie ou ailleurs, et continuent de se désigner (sous le nom de al-fransi) malgré leur emprunt de surnoms arabes de guerre. La perte de vue de cette évidence en amont, brouille, en aval, toutes les analyses et réponses contre le radicalisme et le djihadisme (qui en est issu) et contribue peut-être même àaccentuer ces deux phénomènes. Car elle vient confirmer le sentiment de rejet et de non appartenance à la nation, qui est souvent à l’origine du basculement vers l’extrême. Ces autres, que nous aimons tant haïr pour nous conforter, sont en fait les nôtres, nos frères, nos sœurs, nos fils, nos filles, nos concitoyens. Il faut donc agir en conséquence, parce qu’en réalité, comme le dit si joliment khalil Gibran, ce poète de l’humanité:«de même que pas une seule feuille ne peut jaunir sans que l’arbre entier le sache tout en restant discret. Ainsi nul homme ne peut mal agir sans que vous tous le vouliez en secret ». Les graines du radicalisme se plantent sur nos champs de misère, d’injustice et de vide. Ils ne les justifient pas mais les accueillent et les arrosent. C’est la première leçon qu’il nous faut tirer pour agir.

La deuxième en découle logiquement : il nous faut comprendre le radicalisme religieux et le djihadisme comme un phénomène social universel et trans-civilisationnel qui prend ensuite les couleurs et spécificités du contexte culturel, politique et religieux de la société ou du groupe social dans lequel il sévit. Le radicalisme et le terrorisme n’ont pas de frontière, ni de couleur. Ils ne sontni islamiques, ni religieux, ils sont avant tout humain.Athéiste, laïciste, monothéiste ou polythéiste, bouddhiste, hindou, juif, chrétien, musulman ou autre, le phénomène du radicalisme, et l’histoire nous le montre, a pris et prend encore toutes les formes possibles. Et il est de fait à étudier au-delà desformes spécifiques qu’il prend. Car l’autre obstacle à toute résolution de ce problème se trouve dans son essentialisation dans une particularité, en l’occurrence l’Islam. Ce qui nous empêche toute action en profondeur et cohérence dénuée des préjugés formalistes qui ne font qu’inoculer au corps social les causes supplémentaires du radicalisme religieux ou politique.

Ce point est important. Le traitement efficace du radicalisme et du terrorisme par les pouvoirs publics, passe par là. Sinon l’on se contente de slogans rassurants et d’actions de surface, qui en rien ne règlent la situation, et finissent brisés telle l’écume, sur les rives de la réalité brute, qui, elle, n’a pas de religion et n’est ni de droite, ni de gauche et se contre-fiche des délires de l’extrême droite. Il faut donc «dé-musulmaniser », «dé-culturaliser» et «dés-idéologiser » notre appréhension du djihadisme sans pour autant oublier la complexité et multi-dimensionnalité de ses manifestations. C’est ce que peinent à comprendre, à cause de l’esprit partisan catho-laïc, de gauche et de droite, la République française et les élites de notre pays.

Deux autres enseignements sont à déduire des études concernant le profil des candidats au djihadisme ainsi que des chiffres avancés. La première se trouve dans le faiblesse numérique du nombre de ces candidats sur l’ensemble de la population musulmane française (5 millions). En effet, si l’on s’en tient aux chiffres donnés, le nombre de ces candidats, variant entre 1132 (celui du procureur de la république) et 4000 (le chiffre défendu par Marine le Pen) personnes, correspond à un taux variant entre 0,02% et 0,8% des citoyens et résidents de confession musulmane. Ce qui, non seulement est rédhibitoire et montre le caractère sectaire et minoritaire de ce mouvement, mais elle indique aussi la position de la très grande majorité des musulmans sur la question, malgré les cabales médiatiques et les discriminations subies, qui sont autant d’argument utilisés par les djihadistes pour légitimer leur action et convaincre leurs coreligionnaires. Le second enseignement, quant à lui, découle des profils et parcours de ces candidats, convertis depuis peu pour une partie importante ou récemment pratiquant pour la majorité. Ils se caractérisent tous, en tous les cas, par une connaissance sommaire et une immaturité spirituelle abyssale. On comprend dès lors que la culture et la connaissance religieuse, spirituelle et philosophique profonde (de la sienne et de celle des autres) sont un moyen des plus déterminant pour résister aux élucubrations salafi-djihadiste et à toutes les autres formes de sectarisme et de radicalisme religieux, idéologique et politique. Ce qui en soi exige un aggiornamento idéologique important de la part des femmes et hommes politiques sur la question de l’enseignement des religions et spiritualités et sa facilitation à travers l’école publique et privée (au même titre que la philosophie) et les associations. Cela devrait être possible, sans pour autant favoriser une religion ou une philosophie particulière ni remettre en question le principe de laïcité qui n’est pas le laïcisme. La neutralité (de l’État et du corps enseignant) pouvant et devant signifier dans ce cas, la possibilité donnée à chacun d’avoir les moyens de son cheminement et de son autonomie inter-dépendante. Moyens de cheminer qui passent aussi par l’existence et la connaissance des autres voies, et leurs expressions plurielles, dans une société qui assume son caractère «uni-diverselle» (contraction d’universelle et de diversité). Et où les principes d’unité s’affirment par le riche maillage, socialement nourri et politiquement entretenu, des cultures, religions et philosophies, sur un contrat et tissu social solide et solidaire.

Nous pointons ici la question du tissu social et du contrat social, à l’heure où la déshérence socio-économique exacerbée bat son plein et qu’aucune solution économique et politique ne semble venir au loin. L’inégalité et la misère (sociale et spirituelle) dévorent le tissu social et tuent la société au cœur de son contrat social et enfin isolent les groupes et individus dans les ghettos de l’égoïsme et de la pauvreté. On pense de là -haut « ce qu’il faut » pour maintenir l’ordre établi et on «culturalise» les méfaits sociaux qui en découlent et qui, paradoxalement, le justifie. Le déterminisme règne, l’espoir se perd. Or, le désespoir est un vide qui ne cherche à se combler que par ce qui lui ressemble…le vide.«L’extrême désespoir est une espèce de mort qui fait désirer la véritable » (Victor Hugo). La République Française, de la marche pour l’égalité, aux affaires de voiles jusqu’à la révolte des banlieues en novembre 2005, en passant par le débat sur l’identité Française, et durant trente années de politique néolibérale sans succès, n’a fait qu’accentuer le malaise et saper, dans son aveuglement «laïcide», idéologique et économique, les bases de la société en ne se préoccupant que du sommet. Or en tant de tempête, délaisser les fondements d’un édifice vacillant est pure folie. Car«la pierre la plus solide d’un édifice est la plus basse de la fondation.» (Khalil Gibran). Et cette fondation, pour laRépublique, c’est le peuple et les citoyens qui la composent, et que l’on décompose à coup d’ennemis intérieurs, de bouc-émissaires (musulmans et Roms) et d’abrutissement médiatique globalisé. Le djihadisme c’est l’hémorragie d’une société qui vacille sur ses fondements tout en croyant danser sur une «marseillaise» qui « dé-rap » et «dé-raï» à la lueur des feux de braise qu’elle prend pour ses «lumières». La France doit sortir du laïcisme borgne et du libéralisme aveugle si elle désire vraiment la laïcité et la liberté ; l’égalité et la fraternité. Si elle veut la prospérité. Et cela, en réalité, reste lié au devenir des banlieues et la place de l’islam dans notre pays, ainsi qu’à la capacité et le génie de notre société à faire de la présence et énergie de ces populations, avec celle des classes populaires et de l’ensemble de la jeunesse, une sève nouvelle de vigueur et de renouveau national, européen et mondial. Or, c’est bien l’inutilisation de ces énergies et leur relégation permanente depuis trente ans, au moins, qui alimentent les réservoirs du radicalisme religieux et politique, populiste ou djihadiste. La France ne peut survivre à une guerre civile larvée, où tout le monde se regarde en chien de faïence, la confiance laissant la place à la méfiance et où l’on passe de solidaire à solitaire.

Mais pour ce faire, en ce qui concerne en tout cas les musulmans et la lutte contre le djihadisme, rien de cela n’est possible tant que le doute concernant le rapport de l’islam à la violence ne sera pas réglé. Que dit vraiment le Coran, source ultime de l’islam, dans sa totalité reliée sur la question du djihad, de la violence et de la tolérance ? Et ce, en dehors des citations partielles et partiales (religieux ou idélogiques) et des appels incohérents et non convaincant à la contextualisation d’un livre qui se proclame universel et est vécu comme tel par la majorité des croyants (La suite dans la deuxième partie qui paraîtra la semaine prochaine).

source :
1www.lexpress.fr/actualite/societe/pourquoi-y-a-t-il-tant-de-convertis-parmi-les-djihadistes-francais-de-l-etat-islamique_1624282.html#swidmfPRjLWiwuhF.99 ,.

2http://www.valeursactuelles.com/societe/terrorisme-le-profil-des-djihadistes-francais-a-relativiser-49119

http://blogs.mediapart.fr/blog/ousmane-timera/271114/de-quoi-le-djihadisme-est-il-le-nom-partie-1
PAR OUSMANE TIMERA