L’affaire est passée quasiment inaperçue, pourtant elle a de quoi étonner. Le 26 mars dernier, le dirigeant du mouvement sectaire «la Grande Mutation» était mis en examen par un juge d’instruction parisien, avec cinq autres personnes, pour «abus de faiblesse». L’homme de 78 ans, qui prétend notamment pouvoir guérir des maladies aussi graves que le cancer grâce à sa science sur les énergies vibratoires, et ce au simple moyen d’un pendule, fait en effet l’objet de plusieurs plaintes. Sous son influence, certains adeptes atteints de pathologies sérieuses auraient ainsi arrêté leur traitement et mis leur vie en danger.

Une affaire somme toute assez banale dans le domaine des dérives sectaires de la santé. Ce qui l’est beaucoup moins, c’est le profil du présumé gourou. «Docteur ès sciences, agrégé de physiologie-biochimie, enseignant-chercheur à l’université de Paris Sud (Orsay)», peut-on lire au dos des quelques ouvrages ésotériques dont il est l’auteur. Un CV irréprochable et des titres qui, après vérification des enquêteurs, se révèlent être vrais. On est loin des intitulés exotiques dont se drapent la majorité des thérapeutes autoproclamés à la tête de ce type de mouvements sectaires. Est-ce l’exception qui confirme la règle?

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Montée en puissance}}

«Non, répond le Dr Patrick Romestaing, vice-président du CNOM (Conseil national de l’Ordre des médecins), de plus en plus de mouvements mettent en avant une personnalité avec un certain bagage universitaire, voire un médecin dans de rares cas, qui leur sert de caution scientifique.» Raison de plus pour prendre au sérieux la potentielle emprise du leader de «la Grande Mutation» sur ses quelque 200 adeptes. À la Caimades (Cellule d’assistance et d’intervention en matière de dérives sectaires) en charge de l’enquête judiciaire, on parle d’un «dossier d’envergure» avec une étendue géographique peu courante.

Depuis quelque temps, ce type de dérives – qu’elles proviennent de groupes organisés ou de gourous isolés – donne bien du fil à retordre aux pouvoirs publics. «La maladie a toujours été une porte d’entrée idéale pour les sectes mais ces dernières années, on assiste à une montée en puissance des pratiques déviantes dans le secteur de la santé physique ou psychique. Il représente à lui seul 30 % de nos signalements», constate Serge Blisko, président de la Miviludes (Mission interministérielle de vigilance et de lutte contre les dérives sectaires).

{{La vogue des médecines «alternatives»}}

Selon cette dernière, quatre Français sur dix – dont 60 % de malades du cancer – ont recours aux médecines dites «alternatives» ou «complémentaires», du jeûne thérapeutique au biomagnétisme en passant par l’hydrothérapie du colon. «La majorité de ces 400 pratiques ne sont pas sectaires, précise Serge Blisko, mais en l’absence de cadre légal le risque de dérapage est là.» Surtout lorsque ces pratiques s’adressent à des malades chroniques, par définition plus vulnérables. «Aujourd’hui, 15 % des patients sont sous un régime d’affections longue durée (cancer, sclérose en plaques, dépression…) avec des traitements lourds et des hospitalisations fréquentes. Ce sont des proies faciles car ils veulent à tout prix augmenter leurs chances de guérison.»

Ce qui doit alerter l’entourage des victimes? «L’arrêt brutal d’un traitement, le rejet de la médecine conventionnelle, la croyance aveugle en la thérapie de substitution et l’isolement», affirme Laure Telo, présidente du Centre contre les manipulations mentales d’Île-de-France. Anne a assisté impuissante à l’entreprise de destruction exercée sur sa fille atteinte d’un cancer du sein. Cette dernière avait stoppé sa radiothérapie sous l’influence d’une thérapeute adepte de la Biologie totale, une méthode qui prétend déclencher un processus d’autoguérison en identifiant le choc psychologique à l’origine de la maladie. «Quand je la poussais à reprendre son traitement, elle m’accusait de vouloir la tuer. C’est comme si on lui avait volé son cerveau», se souvient Anne.
Cette défiance vis-à-vis de la médecine traditionnelle, le Dr Patrick Romestaing en fait tous les jours le constat. «Bien sûr, les scandales comme le Mediator, les prothèses mammaires PIP, les vaccins contre la grippe H1N1 y ont largement contribué. Mais cela est aussi lié à l’évolution actuelle de l’offre de soins, plus technicienne, mais aussi plus dépersonnalisée.» A l’hôpital comme dans le privé, on croule sous le travail administratif, et dans le même temps la demande d’accès aux soins explose. «Pour enrayer le phénomène sectaire dans le monde médical, il faudrait commencer par donner du temps aux praticiens pour recréer le lien de confiance, l’écoute et l’empathie que les patients vont aujourd’hui chercher ailleurs», conclut-il.

{{Quand les pouvoirs publics veillent}}

Les initiatives pour sensibiliserla population aux risques de certaines médecines alternatives se multiplient. En 2012, la Miviludes dénonçait l’explosion des pratiques dangereuses dans son guide Santé et dérives sectaires (disponible sur le site www.derives-sectes.gouv.fr). Objectif: aider à repérer les situations à risques et conseiller les victimeset leur entourage. En 2013, le Sénat publiait un rapport sur les dérives thérapeutiques, prônant notamment un contrôle renforcé de la diffusion sur le Web de pratiques commerciales qui exploitent les peurs de la population. Enfin, en 2014, la campagne de prévention «Danger! Attentionaux traitements miracles et aux faux thérapeutes» était lancée dansles cabinets de santé. Dans chaque département, un médecin du Conseil national de l’Ordre est chargé de faire de la veille sur les dérives sectaires, afin de saisir la justice le cas échéant.

source : lefigaro.fr par Stéphanie Trastour